Ah que coucou !
Et si aujourd’hui je vous proposais un autre mythe grec
riche en enseignement et en sagesse comme le savaient si bien le faire les
Grecs Anciens ? Comme vous l’indique le titre, je vous propose donc l’histoire
d’Eros, ce fils d’Aphrodite qui lance ses flèches dans le cœur des humains afin
qu’ils tombent amoureux, et de la princesse Psyché, dont Aphrodite devient
jalouse, narrée et traduite du grec par Eduard PetiŠka
et illustrée par Zdeněk SklenÁŘ.
Il y a bien, bien longtemps
vivaient une reine et un roi qui avaient trois filles. L’aînée était belle, la
seconde encore plus, quant à la troisième, elle était plus ravissante que les
astres du ciel. Elle s’appelait Psyché.
Les gens venaient de pays très
lointain, traversaient des mers, escaladaient des montagnes dans le seul but de
l’admirer.
Lorsqu’elle sortait du palais,
ils la regardaient avec émerveillement et s’écriaient :
« C’est la déesse de al
beauté et de l’amour, Aphrodite, qui a quitté l’Olympe pour venir nous voir.
Aucun enfant de parents humains ne pourrait être aussi belle, » disaient
les uns.
« Oh non, »
prétendaient d’autres, « ce n’est pas la divine Aphrodite. C’est une
nouvelle déesse qui la surpasse en beauté et en puissance ».
Et ils se prosternaient,
l’adoraient, lui offraient des sacrifices. Lorsque Psyché marchait dans la rue,
celle-ci s’animait comme pour une fête et son chemin était jonché de fleurs.
Pendant ce temps les temples
consacrés à Aphrodite étaient désertés par les fidèles. Les araignées y
tissaient leur toile, la cendre sur les autels était depuis longtemps refroidie
et personne n’immolait plus de victimes à la déesse déchue. Les marches des
sanctuaires se recouvraient peu à peu de mousse et de mauvaises herbes. Tous
étaient occupés à adorer Psyché et oubliaient Aphrodite.
Voyant sa renommée en péril,
celle-ci ne put supporter une telle humiliation et convoqua son fils, Eros,
pour l’aider à punir la folle princesse. Le fils ailé de la déesse s’envola
aussitôt pour la rejoindre. Sa main droite tenait un arc et il portait sur son
dos un carquois rempli de flèches. Celles-ci, bien qu’invisibles à l’œil humain,
atteignaient à coup sûr la victime choisie et la blessaient d’amour. Or
l’amour, s’il procurait à certains un bonheur ineffable, pouvait être aussi
source grands malheurs.
« Mon enfant », dit
Aphrodite, « il y a sur la terre une princesse du nom de Psyché. Elle est
assez impudente pour se permettre de se faire adorer telle une déesse. Tu vas
m’aider à la châtier en transperçant son cœur d’une flèche. Mais celle-ci ne
doit pas lui apporter la joie, bien au contraire. Je veux qu’elle épouse
l’homme le plus mauvais qu’elle pourra rencontrer. Personne ne s’occupera plus
d’elle lorsqu’elle sera malheureuse et humiliée. Le feu sacré s’élèvera à
nouveau sur mes autels et le parfum des sacrifices s’élèvera jusqu’aux
cieux. »
Eros acquiesça et s’envola
pour accomplir la volonté maternelle. Il se cacha au sommet d’un arbre devant
le palais royal et prit une flèche dans son carquois. Tout autour de la demeure
seigneuriale s’étaient rassemblés des pèlerins qui attendaient la sortie de la
ravissante princesse.
Elle apparut bientôt,
rayonnante de beauté comme un arc-en-ciel. La main d’Eros qui tenait l’arc
retomba et il regarda Psyché avec admiration. Puis il remit la flèche dans le
carquois et s’envola. C’était la première fois qu’il désobéissait à sa mère
Aphrodite.
Or, bien qu’elle soit révérée
par tous, Psyché n’était pas heureuse. Ses sœurs, moins jolies qu’elle, étaient
déjà mariées et étaient parties avec leurs époux. Mais personne n’osait faire
la cour à une si jolie princesse.
Aussi le roi pensait-il que
c’était là une punition des dieux, et c’est pourquoi il demanda à l’oracle ce
qu’il fallait faire.
Voici ce qui lui fut
répondu :
« Habille Psyché de
vêtement funéraires, ce sera sa parure de mariage. Emmène-la au sommet de la
falaise qui est derrière le palais. C’est là que son fiancé viendra la
chercher : ce n’est pas un être humain et il sait des choses
terribles. »
C’est en pleurant que le roi
accueillit cette prédiction. Sa fille préférée n’était donc pas née pour
l’amour humain et un monstre allait s’en emparer sur la falaise ! Pourtant
il n’osa pas désobéir à la volonté des dieux.
Il prépara donc une fête
funèbre, convoqua des musiciens et leur ordonna de jouer leurs airs les plus
tristes, puis il vêtit sa fille comme s’il allait l’enterrer. Lorsque la
lumière des torches se fut éteinte et que le silence fut revenu, Psyché sortit
du palais pour la dernière fois.
Le roi, la reine et tout le
peuple, en larmes, l’accompagnèrent jusqu’à l’endroit fatal.
Elle gravit la falaise seule
et s’assit en pleurant d’angoisse tandis qu’un gros nuage noir l’enveloppait.
C’est alors que Zéphyr, le vent d’Ouest, repoussa soudain la nuée et, prenant
tendrement la princesse dans ses bras, la fit descendre dans une vallée
embaumée parsemée de fleurs et d’herbes veloutées. Il essuya ses larmes et
Psyché regarda autour d’elle.
Elle vit un bois dont les
arbres murmuraient doucement et une source limpide qui scintillait dans leur
ombre. Non loin de là s’élevait un somptueux palais aux murs d’argent et au
toit fait d’or et d’ivoire.
La jeune fille s’en approcha
timidement. Les grandes portes étaient ouvertes et laissaient apercevoir les
rayons multicolores des parquets, incrustés de pierres précieuses.
« Qui donc peut habiter
un palais aussi splendide ? » se demandait Psyché. Elle gravit la
première marche de l’escalier, puis la seconde, puis la troisième. Rassurée,
elle courut jusqu’en haut du perron, risque un coup d’œil à l’intérieur et
entra dans la demeure.
Elle traversa plusieurs pièces
vides sans apercevoir âme qui vive et, tandis qu’elle admirait les vases
précieux et les statues de marbre, elle entendit la voix d’un être
invisible :
« Sois la bienvenue dans
mon domaine, Psyché. Tout ce que tu vois t’appartient aussi à partir
d’aujourd’hui. Si tu as le moindre désir, exprime-le et mes serviteurs se
feront une joie de l’accomplir. »
La princesse souhaita prendre
un bain, et aussitôt elle fut transportée dans un bassin d’eau parfumée. Après
quoi elle trouva une table couverte des mets et des boissons les plus raffinés.
Lorsqu’elle eut fini de dîner, un chanteur et des musiciens invisibles la
surprirent et la charmèrent. Elle écouta les douces mélodies jusqu’à ce que ses
yeux se ferment de fatigue. Alors elle trouva dans la pièce suivante un lit
accueillant.
Elle se coucha, épuisée, mais
ne put s’endormir tant elle était intriguée par le merveilleux palais et par
l’époux promis par l’oracle. Puis elle pensa à ses parents, qui devaient être
fort inquiets.
L’obscurité tomba, et ce fut
la nuit. Dans le noir elle entendit le bruit d’une respiration : quelqu’un
qu’elle ne pouvait pas voir s’approchait de sa couche, et lorsqu’il fut tout
près d’elle il lui adressa la parole :
« Je suis ton mari,
Psyché. N’aie pas peur de moi. Tu ne manqueras de rien. Mes serviteurs
invisibles s’occuperont de tout. Mais tu ne devras jamais apercevoir mon
visage. C’est pour cela que je te rejoindrai seulement le soir et ce n’est que
dans l’ombre que tu pourras me parler. »
La voix de l’étrange époux
était si charmante et si tranquille que la princesse cessa d’avoir peur. Elle
promit qu’elle n’essaierait pas de voir son mari et qu’elle lui serait fidèle.
Pendant des journées entières
Psyché vécut toute seule.
Elle parcourait la riche
demeure, et la seule joie qu’elle connaissait était de rencontrer son époux la
nuit.
Le roi et la reine auraient
aimé avoir des nouvelles de leur fille. Ils se remémoraient l’affreux présage
et supposaient qu’elle avait dû être emportée par un dragon. Ses sœurs, qui
avaient entendu parler du triste destin de leur cadette, étaient venues
réconforter leurs parents.
Ce soir-là, le mari inconnu
dit à Psyché :
« Ma chérie, un grand
danger te guette : demain tes sœurs graviront la falaise et se mettront à
t’appeler en pleurant et en gémissant. Sans doute tu les entendras, mais il ne
faut absolument pas que tu leur répondes. »
La jeune femme se souvint
alors de son pays natal. Elle se mit à verser d’abondantes larmes et supplia
son époux de lui permettre d’inviter ses sœurs.
Elle leur dirait qu’elle
allait bien, et ainsi son père et sa mère seraient rassurés sur son sort.
Elle insista tellement qu’à la
fin son mari céda. Il lui permit même de leur faire des cadeaux, mais lui
défendit de dire la vérité à son sujet.
Psyché le remercia et lui
renouvela sa promesse de ne pas parler de l’invisible étranger. Elle avait hâte
d’être au lendemain et de revoir ses sœurs après une aussi longue séparation.
Le jour se leva enfin. Les
sœurs demandèrent le chemin qui menait en haut de la falaise et allèrent
jusqu’au sommet. Là, elles se mirent à gémir, à se lamenter, et à appeler
Psyché par son nom. Celle-ci les
entendit et envoya le vent d’Ouest pour qu’il les ramène au palais. Zéphyr
étendit ses ailes translucides et les fit descendre toutes les deux dans la
vallée.
La jeune princesse les
embrassa en riant gaiement, les assourdissant de questions et de bavardages.
Les sœurs se réjouirent de même, mais devant la magnifique demeure, elles
n’eurent qu’un sourire. Et lorsque leur cadette leur eut fait visiter les
chambres aux boiseries incrustées de pierres précieuses, elles cessèrent même
de sourire. Psyché ordonna à ses serviteurs invisibles de préparer un bain et
de dresser les tables.
Les sœurs se baignèrent,
goûtèrent des mets qu’elles n’avaient jamais mangé et burent des breuvages qu’elles
n’avaient jamais bu.
Pâles d’envie, elles
demandèrent :
« Et quand nous
montreras-tu ton mari ? »
La princesse, se souvenant des
recommandations de son époux, ne répondit pas. Mais les jalouses la pressèrent
de questions, se moquant d’elle et voulant la forcer à parler.
Psyché, souhaitant éviter la
suite de l’interrogatoire, leur dit la première chose qui lui vint à
l’esprit :
« Il est jeune et passe
ses journées à la chasse, c’est pourquoi vous ne pourrez pas le voir. »
Puis elle se hâta de leur
distribuer de l’or et des pierres précieuses, et appela Zéphyr pour qu’il les
ramène sur la terre.
Les sœurs emportèrent ces
riches présents, mais ceux-ci ne leur procurèrent aucun plaisir.
Elles enviaient leur cadette,
et leur jalousie était amère. L’aînée exprima ainsi sa vilaine pensée :
« Je me demande si Psyché
mérite de vivre dans un tel luxe et d’être servie par des serviteurs invisibles
comme si elle était une déesse. Et moi, qu’ai-je donc ? Un misérable mari.
Il pèse la moindre obole dix fois avant de la donner et il est tellement avare
qu’il serait heureux de voir les poutres pourrir au-dessus de sa tête plutôt
que d’en mettre des neuves. »
« Et que dis-tu du
mien ? » rétorqua la seconde. « Il est vieux et malade. Jamais
il ne va chasser. La maison tout entière sent les médicaments et les tisanes.
Psyché, elle, est entourée de la suave odeur d’huiles et de parfums coûteux. Ne
sommes-nous pas plus âgées qu’elle ? De quel droit aurait-elle tout et
nous rien ? Nous ferions bien de ne pas raconter à nos parents ce que nous
avons vu : pourquoi devrions-nous répandre l’histoire de son
bonheur ? »
Ayant convenu de dissimuler ce
qu’elles avaient appris, les sœurs rentrèrent au palais royal en faisant
semblant de ne pas avoir retrouvé leur malheureuse cadette.
Dans le secret de leurs cœurs,
elles ne pensaient qu’à faire du mal à la pauvre Psyché.
Celle-ci était très heureuse
d’avoir résisté aux questions et de n’avoir pas dévoilé son secret. Lorsque
l’obscurité fut venue, elle entendit à nouveau la voix de son époux, qui la
félicita de son silence.
Mais il ajouta
tristement :
« Je me demande quand
même si tu ne me trahiras pas à la seconde entrevue. Tes aînées t’envient et
elles reviendront sûrement. Ne leur parle pas de ton mari et n’espère pas
savoir qui je suis. Si tu me voyais une seule fois, tu me perdrais pour
toujours et nous ne serions plus jamais réunis. »
Une fois encore Psyché
renouvela sa promesse. Ainsi que l’avait prédit l’inconnu, les envieuses
créatures revinrent bientôt. Sans même attendre Zéphyr, elles se jetèrent dans
le vide où le vent d’Ouest les rattrapa. Il les déposa à nouveau sur la prairie
devant le palais.
Psyché les reçut avec joie,
les fit souper et leur donna des cadeaux. Les sœurs se mirent à bavarder en
racontant ce qui se passait sur terre.
« Tu aurais dû voir nos
parents », mentaient-elles. « Comme ils étaient contents de ton
bonheur ! ‘Et qui est son mari ?’’ nous demandaient-ils. ‘Nous ne
l’avons pas vu, Psyché ne nous le montrera pas avant notre prochaine visite’. »
Oubliant l’histoire qu’elle
avait inventée, la princesse s’écria :
« Mais il n’est pas à la
maison : il est assez âgé et il est toujours en voyage. »
Puis elle appela immédiatement
Zéphyr et lui ordonna de reconduire ses sœurs.
Lorsque celles-ci furent
rentrées chez elles, l’aînée s’exclama :
« Comme c’est étrange, la
dernière fois elle avait dit que son mari était jeune et, aujourd’hui, elle a
dit qu’il était vieux. »
« Ou bien elle ne l’a
jamais vu, » dit la seconde, « ou bien elle ment. Nous devons y
retourner encore une fois pour apprendre la vérité. »
Les deux envieuses passèrent
la nuit au palais de leurs parents, attendant avec impatience le jour suivant.
Le lendemain, dès l’aurore,
elles coururent au sommet de la falaise et Zéphyr les emporta. Elles avaient
hâte de retrouver leur cadette.
« O chère petite sœur, ô
pauvre petite Psyché ! » s’écrièrent-elles en essayant de verser
quelques larmes, « tu ne sais pas ce qui t’attend : sais-tu seulement
qui est ton mari ? L’oracle avait dit vrai, il n’est pas un être humain
comme nous mais un horrible dragon. »
La figure effrayée de la
princesse la trahit. Elle n’avait donc jamais vu son mari.
Les horribles mégères
soupçonnant son désarroi continuèrent leurs mensonges :
« Des bergers l’ont vu
tournoyer autour de la falaise », affirma la première.
« Il est effrayant. Un
seul coup d’œil sur cette créature te rendrait malade, » renchérit la
seconde.
« Lorsqu’il t’aura bien
nourrie il t’avalera sûrement, » gémirent-elles ensemble.
« Mais que dois-je faire ? »
supplia Psyché attendant avec anxiété la réponse de ses aînées.
« N’aie pas peur, nous
allons te conseiller », dirent les sœurs en la consolant hypocritement.
« Allume une lampe à huile et cache-la sous ton lit. Cache la flamme sous
un vase de façon que le monstre ne la remarque pas. Dissimule aussi un couteau
pointu. Lorsqu’il se sera endormi, soulève la lampe pour l’apercevoir et
tranche-lui aussitôt la tête avec le poignard. De cette façon tu te libéreras
de lui et ensuite nous nous occuperons de toi. Après tout, nous sommes tes plus
proches parentes. »
La princesse leur exprima sa
gratitude et Zéphyr les emporta.
Toute bouleversée par ces
révélations, elle prépara le couteau et la lampe et attendit la nuit.
Après cette attente, qui lui
parut interminable, le soleil finit enfin sa course et le palais fut à nouveau
plongé dans l’obscurité.
L’époux de Psyché revint au
logis, particulièrement fatigué, et sitôt couché il s’endormit.
Dès que sa respiration devint
régulière, Psyché l’éclaira en tenant son arme de l’autre main. C’est alors que
la lumière lui révéla l’identité de son mari… elle avait sous les yeux le fils
de la déesse Aphrodite lui-même.
Ses ailes dorées scintillaient
à la lueur de la flamme. Il était si beau que Psyché poussa un profond soupir.
La main qui portait la lampe trembla et une goutte d’huile brûlante tomba sur
l’épaule du jeune dieu. Eros fut immédiatement réveillé par la douleur et il
vit sa femme penchée sur lui. Sans un mot il se leva du lit et s’envola dans la
nuit.
C’est en vain que la pauvre
épouse l’appela et l’implora. Un silence mortel s’était abattu sur le palais et
personne ne lui répondit. La princesse sortit en courant, trébucha sur les
racines et les pierres, se blessa les jambes et les bras sur les ronces. Elle chercha
Eros désespérément, essayant de percevoir le bruit de ses ailes. Mais la nuit
était muette.
Pendant ce temps le dieu
blessé s’était réfugié chez sa mère et lui avait avoué son aventure.
« C’est bien fait pour
toi, » dit Aphrodite en colère, « cela t’apprendra à m’obéir. Puisque
tu n’as pas su la punir, je la punirai moi-même. »
Eros resta chez la
déesse : sa brûlure lui avait causé une forte fièvre. Quant à Psyché, elle
continua à errer à la recherche de son mari, tourmentée par le remords et le désir
de le revoir. Elle questionna les gens dans les villes, les bergers dans les
pâturages et les pêcheurs sur les côtes.
Certains hochaient la tête
avec sympathie, d’autres se moquaient d’elle et tous pensaient qu’elle était
devenue folle car personne n’avais jamais vu Eros, bien que ses flèches aient
touché à peu près tout le monde.
Après avoir marché longtemps,
la malheureuse vint trouver sa sœur aînée et lui raconta son tragique destin.
Celle-ci fit semblant de la
plaindre, mais dès que l’infortunée princesse fut partie, elle courut vers la
falaise, l’escalada et appela Zéphyr :
« Emmène-moi chez ton
maître. Je veux être une meilleure épouse que Psyché. »
Et, disant ces mots, elle se
jeta dans l’abîme. Mais le vent ne lui obéit pas et la jalouse créature fit une
chute mortelle.
La pauvre Psyché fit aussi
part de ses malheurs à sa seconde sœur. Elle prit une mine apitoyée, mais sitôt
sa cadette disparue, elle se hâta vers le sommet de la falaise en
s’écriant :
« Eros, viens prendre ta
véritable femme, et toi, Zéphyr, emporte-moi ! » Aussitôt elle sauta
dans le vide, et connut le même sort que son aînée.
Pendant ce temps, les
serviteurs de la déesse offensée avaient retrouvé l’imprudente princesse.
« Te voici
donc ! » s’écrièrent-ils. « Nous devons t’emmener chez notre
maîtresse, Aphrodite. »
Psyché ne protesta pas car
elle pensait ainsi revoir son mari dans sa demeure céleste. Lorsqu’ils
arrivèrent au palais, Aphrodite jeta à Psyché un regard mauvais et lui
dit :
« Les hommes ne te
rendent-ils plus hommage comme à une véritable divinité ? Où est le peuple
que te comblait de cadeaux et qui t’offraient des sacrifices ? Mon fils
est chez moi. Je l’ai soigneusement enfermé, aussi n’espère pas le revoir. Ta
folle désobéissance l’a rendu malade. »
Et la déesse ordonna à ses
servantes de mélanger du froment, de l’orge, du millet, du pavot, des pois, des
lentilles et des haricots. Puis elle fit asseoir sa prisonnière devant l’énorme
tas de graines mélangées et dit :
« Tu vas devoir abaisser
ton orgueil devant cette tâche. Trie ce tas sans te tromper, je viendrai ce
soir vérifier ton travail. S’il n’est pas achevé, tu seras cruellement
punie. »
Aphrodite partit et Psyché
n’essaya même pas d’exécuter l’ordre de la déesse. Qui au monde aurait pu
accomplir une telle tâche ? Elle vit avec chagrin tomber l’ombre du soir
et se rapprocher le châtiment promis.
Mais une industrieuse petite
fourmi traversa la pièce et prit la princesse en pitié. Elle alla chercher des
amies et elles se partagèrent le travail. Elles vinrent tellement nombreuses
que l’amas de graines disparut sous elles. Elles trièrent patiemment les
semences et lorsque le soir fut venu la tâche était terminée.
En revenant d’un banquet de
l’Olympe, Aphrodite, la tête couronnée de roses, vint narguer Psyché.
Quelle ne fut pas sa surprise
et sa colère lorsqu’elle vit les sept tas bien rangés :
« Ne crois surtout pas
que tu as gagné, » s’écria-t-elle. « Tu n’as sûrement pas fait cela
toute seule. Quelqu’un a eu pitié de toi et est venu t’aider. Tant pis pour
toi. »
Et elle lui lança un morceau
de pain noir avant de l’enfermer à nouveau.
Le lendemain la déesse revint
et, sans même regarder la jeune femme, elle ordonna :
« Vois-tu ce pré ?
Des moutons y paissent et leur pelage scintille comme de l’or. Vas-y et
rapporte-moi une touffe de leur laine. »
Psyché s’élança aussitôt, car
la tâche qui lui était demandée lui semblait bien plus facile que la
précédente. Comme elle courait le long de la rivière, les roseaux prirent pitié
d’elle et lui chuchotèrent :
« Ne te dépêche pas, ma
belle. Le matin, les bêtes sont farouches et elles te tueraient en te piétinant
de leurs sabots. Tu ferais mieux d’attendre jusqu’à midi : les moutons
font alors un petit somme et tu pourras ramasser des brins de laine accrochés
aux buissons. »
La princesse obéit à l’herbe
et se cacha derrière un arbre. L’après-midi, profitant du sommeil du troupeau,
elle ramassa la laine dorée et se hâta d’aller retrouver Aphrodite.
A sa vue, les yeux de la
déesse étincelèrent.
« Ne crois pas, » lui
dit-elle une fois encore, « que tu as gagné : tu as à nouveau reçu de
l’aide. Nous verrons bien si tu arrives à accomplir le troisième travail. Voici
une coupe de cristal. Rapporte-moi dedans de l’eau de la source noire. Elle
jaillit de terre là-bas, près du sommet de cette montagne. »
Psyché se hâta d’aller
accomplir le souhait de la déesse. Elle escalada les roches glissantes jusqu’au
sommet de la montagne de sous laquelle jaillissait la source noire.
Le désir de revoir Eros lui
faisait franchir les obstacles les plus dangereux, et cet espoir, si elle
arrivait à satisfaire Aphrodite, lui donnait la force de marcher à côté des
précipices.
Elle s’approcha tellement de
la source qu’elle pouvait entendre le grondement de l’eau se précipitant dans
l’abîme. Là, elle se raidit de peur sans parvenir à faire le pas suivant. De
monstrueux dragons soulevaient de terre leurs horribles gueules et regardaient
Psyché de leurs yeux injectés de sang. C’set alors que de l’eau s’éleva une
voix :
« Va-t’en de
là ! » criait-elle. « Sois prudente sinon tu es perdue !
Cours ! »
Psyché se mit à pleurer
amèrement. Elle avait atteint son but et à présent elle n’osait pas remplir le
vase !
Son chagrin et sa souffrance
émurent un aigle. Il descendit des nuages et lui dit :
« Comment as-tu pu
imaginer que tu arriverais à accomplir une tâche aussi difficile ? L’eau
de cette source noire tombe directement dans le monde inférieur, dans le
royaume des morts, et aucun mortel ne pourra jamais en récolter la moindre
goutte. Mais donne-moi ton récipient, je vais t’aider ! »
La princesse tendit la coupe à
l’oiseau qui la serra fermement dans son bec, plana bravement entre les
monstres, récolta un peu d’eau et la rapporta à Psyché. Celle-ci remercia
joyeusement l’aigle et courut rapporter son butin à Aphrodite. Sur le chemin
elle prit bien garde de ne pas renverser la moindre goutte.
La déesse adressa à la jeune
femme un sourire plein de fiel :
« Tu sembles vraiment
être une enchanteresse bien puissante. Mais j’ai encore un travail à te demander.
Prends cette petite boîte et va au royaume des ombres. Donne-la à Perséphone et
demande-lui d’y mettre un peu de baume pour mon fils. Puisque tu l’as brûlé,
tâche au moins de le soulager. De toute façon, ne reviens pas sans la
pommade. »
C’est le cœur lourd que Psyché
quitta le palais de la déesse.
« Seuls les morts peuvent
rendre visite aux morts, » pensait-elle. « Ceux qui descendent dans
les profondeurs n’en remontent jamais. »
Pourtant la princesse désirait
de tout son cœur rapporter l’onguent pour guérir la blessure de son mari.
« Il devait avoir
mal, » se disait-elle, « peut-être gémissait-il ? » Le sang
battait à ses tempes.
Pleine de confusion, elle
cherchait le chemin le plus court qui l’amènerait aux Enfers.
Dans son agitation elle courut
à une tour élevée.
« Je vais sauter et la
mort m’emportera immédiatement dans le royaume des défunts », se dit-elle.
Et forte de cette décision, elle se mit à gravir les marche de l’escalier.
Mais même les froides pierres
peuvent s’émouvoir, et devant la détresse de Psyché la tour s’éveilla et lui
parla d’une voix humaine :
« Arrête-toi, pauvre
petite. Pourquoi veux-tu te détruire ? Si tu meurs, tu ne pourras plus
jamais revenir dans le monde. Marche toujours vers l’Ouest jusqu’à ce que tu
atteignes une grotte cachée dans des rochers noirs. Entres-y et traverse le
sombre couloir qui mène aux Enfers. Mais tu ne dois pas partir les mains
vides : prends avec toi deux gâteaux au miel et mets deux petites pièces
d’argent dans ta bouche. Sur ta route, ne parle à personne. Jette un gâteau à
Cerbère, le chien à trois têtes, et il te laissera passer. Lorsque tu auras
atteint les bords du Styx, laisse Charon lui-même prendre une pièce de monnaie
dans ta bouche. Le cadavre d’un vieil homme flottera sur l’eau et te suppliera,
les bras tendus, de le faire monter dans ta barque. Ne fais pas attention à
lui. N’aide personne sur ton chemin, tu pourrais ainsi perdre ton gâteau et
plus jamais tu ne reverrais la lumière du jour. Quand Perséphone aura rempli la
boîte avec la pommade, ne l’ouvre pas. Rapporte-la fermée à Aphrodite. Au
retour, offre une autre pièce au nocher et jette le deuxième gâteau au chien à
trois têtes. Si tu suis très scrupuleusement tous mes conseils, ta mission sera
couronnée de succès. »
Psyché remercia la tour et
partit vers l’Ouest. De braves gens qu’elle rencontra lui donnèrent les deux
gâteaux au miel et les deux petites pièces d’argent. Ainsi pourvue, elle arriva
jusqu’à la grotte menant au monde inférieur. Suivant les directives de la tour,
elle put revenir sur terre et son retour fut salué par le chant des oiseaux.
Le voyage se terminait bien.
C’est alors que la curiosité, qui la tenaillait depuis longtemps, l’emporta.
« Si j’ouvre la boîte
pour une seconde seulement, il ne m’arrivera rien, » pensa-t-elle, et
aussitôt elle souleva le couvercle.
Malheureusement, ce n’était
pas de l’onguent qu’il y avait dans la boîte, mais le sommeil infernal de la
Mort.
A peine avait-elle entrouvert
le coffret quel e sommeil s’échappait et la faisait tomber à terre, telle une
défunte.
Pendant ce temps, la blessure
d’Eros s’était guérie et le jeune dieu commençait à s’ennuyer sans sa femme. Il
la chercha partout, et la découvrit enfin, gisant sur le sol. Porté par ses
ailes d’or, il se posa doucement auprès d’elle, effaça soigneusement le sommeil
de la mort et le remit dans la boîte.
Puis il l’éveilla en la
frappant doucement d’une flèche à l’épaule, et s’envola vers le palais de sa
mère, où il voulait arriver avant le retour de Psyché. Dès qu’elle eut retrouvé
ses esprits, celle-ci courut aussi rejoindre Aphrodite.
Eros supplia sa mère de
pardonner à la jeune femme, mais la déesse restait inébranlable. Ce ne fut que
grâce à l’intervention de Zeus qu’Aphrodite consentit à oublier l’affront dont
elle voulait se venger.
Alors Zeus envoya Hermès pour
qu’il ramène Psyché sur l’Olympe, et il lui tendit lui-même une coupe de nectar
divin pour la rendre immortelle.
Tous les dieux assistèrent au
magnifique mariage et les Muses charmèrent tous les convives de leurs chants.
Comme vous venez de le lire, ce mythe est très riche car
il nous enseigne et nous rappelle de nombreuses choses comme « la jalousie
est un vilain défaut » et ceci qu’on soit déesse (Aphrodite) ou simple
mortel (les deux sœurs de Psyché). Pour la première sa jalousie lui fait
souhaiter les pires souffrances et malheurs à quelqu’un, tandis que pour les
autres, elle les entraîne vers la mort quand elle est mélangée à de la
convoitise. Elle nous rappelle aussi que nous devons tenir parole et honorer
nos promesses (Psyché ne l’a pas fait, et elle a failli perdre Eros à jamais).
Elle accentue sur le fait que, quand on souhaite quelque chose, il faut tout
faire pour l’avoir (Psyché voulait revoir Eros, elle s’est obstinée à
satisfaire Aphrodite, cela se voyait tant que même les pierres l’ont aidée à ne
pas tomber dans tous ces pièges mortels dans lesquelles Aphrodite la dirigeait,
en récompense Eros a fini par l’aider lui-aussi et pour finir Psyché a été
accueilli dans l’Olympe par Zeus, le dieu des dieux).
Bisous,
@+
Sab
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