20 avril 2013

Françoise Dorin : L’Etiquette


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Ah que coucou !
 
Comme vous vous en doutez en regardant l’image ci-dessus, pour des raisons juridiques je ne peux pas vous fournir, cette fois-ci, un exemplaire numérique gratuit de cette pièce de théâtre qu’est :
 
L’Etiquette
 
Par contre, je peux vous donner envie de la lire ;)…
 
Si vous aimez rire, si vous supportez que nos auteurs puissent nous amuser de nos défauts, en tant que peuple français, cette pièce est faite pour vous divertir. D’ailleurs, pour vous le prouver, consultez l'extrait que j'ai inséré au-dessous de ma signature et de la couverture du livre (vidéo, scène) où vous apprenez ce qu’est cette Etiquette… à quoi elle sert… depuis quand elle sévit en France ;)…
 
L’histoire débute ainsi…
Une troupe de théâtre amateur a décidé de présenter une pièce écrite par l’un d’entre eux : celui qui joue le rôle d’Arthur Caporet…
 
Quand on la lit/regarde au premier degré, on y trouve une retranscription moderne de la célèbre œuvre shakespearienne : Roméo & Juliette… A cause de l’Etiquette, les familles Montardu et Caporet sont ennemies. Toutefois notre Roméo, Arthur Caporet, est amoureux fou de sa Juliette, Georgette Montardu… et Georgette est amoureuse folle d’Arthur… Mais contrairement à la pièce de Shakespeare, Arthur et Georgette ne meurent pas à la fin… Evidemment, comme dans toute histoire qui doit bien se terminer, nous avons notre bonne fée qui, dans cette pièce, n’est autre que l’oncle paternel de Georgette, le demi-frère de Roger Montardu : Georges Rousseau qui va aider les jeunes amoureux à réconcilier leurs parents afin de pouvoir se marier… Mais pour cela, il faut passer outre l’Etiquette, celle qui définit et proclame au monde qui est C (Con) et qui est I (Intellectuel). Et oui, la famille Montardu fait partie de la première catégorie, tandis que les Caporet sont dans la seconde, ce qui représente un énorme obstacle infranchissable à nos 2 amoureux pour se marier. En effet, Georgette doit choisir entre un des deux fils Beauchard (qualifiés par l’Ordinateur de B.C. = Brave Con) pendant qu’Arthur est encouragé à épouser Stéphane Antinos (une I comme lui).
 
Mais si nous regardons cette œuvre d’un autre œil, nous y trouvons aussi un sujet philosophique mélangé à de la psychologie…
En effet, Françoise Dorin profite de cette pièce pour dénoncer certains de nos défauts...
 
Le Français, par exemple, aime bien cataloguer son contemporains (le faire entrer dans une case, une catégorie, un clan)… pour cela, regardez un peu autour de vous ! que voyez-vous ? Nous, qui restons souvent avec les mêmes personnes, dans le même groupe souvent très étanche… Certains vont même, quand il constate que des membres de leur groupe vont fureter un peu à droite et à gauche pour voir ce qu’il s’y passe, jusqu’à boycotter ce curieux et à demander aux autres membres du groupe d’abandonner ce coureur qui ne semble pas se satisfaire d’appartenir qu’à un seul groupe !
Et bien dans la pièce, nous y retrouverons ce phénomène… Georges, étant le demi-frère de Montardu, celui-ci estime qu’il doit être un membre à part entière du groupe C. Or Georges a l’esprit bien trop vif, même pour une I telle que Gabrielle Caporet (la mère d’Arthur) qu’il se permet de ridiculiser avec intelligence… Mais voilà, lors de recensement, quand Georges donne son questionnaire à la machine, celle-ci le classe dans une catégorie inexistante, il est Intellicontuel ! c’est-à-dire qu’il est, selon les normes strictes de la machine, autant C que I… Evidemment, le peuple français, représenté par son gouvernement et plus spécialement par le ministre du Recensement, n’accepte pas cette différence et si Georges refuse toute conciliation, Roger est obligé de l’accompagner à l’aéroport afin de l’expulser de la France !
 
Notre intolérance (qui n’est malheureusement pas une spécialité strictement française) est aussi mise en scène dans cette pièce.
Nous la trouvons enfouie profondément dans Roger Montardu (qui ne supporte pas le clan des I) et dans le personnage de Gabrielle Caporet (qui refuse que son fils puisse aimer une C de peur de la contagion). Ces deux personnages vont même jusqu’à parler de race quand il s’agit d’une évaluation intellectuelle.
 
Est mise en scène aussi un autre point absurde et déjà traité sur mon blog, dans le billet « Peut-on quantifier l’intelligence ? » (pour y accéder, cliquez ici)… ou a été démontré qu’il était impossible avec des tests poussés de quantifier l’intelligence aux contraires des connaissances (malgré les croyances de certaines personnes), alors… une machine qui aurait dans son programme un logiciel permettant d’affirmer qu’un tel est plus intelligent qu’un autre ??? ;) mdrrrr !!! comme qui dirait, il n’y aurait que les C qui seraient naturellement susceptibles de le croire ;). Toutefois cette pièce nous parle de I qui croit en ce classement dur comme fer… mais bon… Gabrielle Caporet est-elle aussi intelligente que le prétend son étiquette ? Moi, j’en doute ;). Et elle ne doit pas être la seule quand on apprend que les I doivent toujours être sérieux, austère, et les C déconnards, joyeux, pas sérieux…
 
Sur cette pièce, il y a encore beaucoup à dire. Mais le mieux est que vous la lisiez ;)
 
Bonne rigolade ! et bonne lecture !
 
Bisous,
@+
Sab
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Roger
La littérature maintenant… Tu crois vraiment que c’est un moyen d’existence ?
Georges
En tout cas, c’est un moyen d’exister… Et puis, ça ou autre chose, ne t’inquiète pas, je me débrouillerai. Il y a plus de trente ans que je me débrouille.
Roger
Tu te crois toujours plus malin que les autres.
Georges
Ca dépend quels autres. L’intelligence est une notion relative : on est toujours malin par rapport à certains, et idiot par rapport à d’autres.
Roger
Ah non ! C’est fini tout ça.
Georges
Depuis quand ?
Roger
Depuis le recensement. L’étiquette a simplifié tout ça.
Georges
Quel recensement ? Quelle étiquette ?
Roger
Tu ne vas pas me dire que tu n’es pas au courant ?
Georges
Comment veux-tu ? Je débarque.
Roger
Ca a fait du bruit, même au-delà de nos frontières.
Georges
J’étais dans le monde du silence.
Roger
Enfin, en venant de l’aéroport jusqu’ici, tu as bien rencontré des gens.
Georges
Oui…
Roger
Tu n’as pas remarqué qu’ils portaient tous des étiquettes, là ? (Il désigne sa poche de poitrine). B.C. ; J.C. ; V.C. ; S.C.
Georges
Oui, j’ai vu. J’ai cru qu’ils appartenaient à des clubs et que c’était leur insigne.
Roger
Mais C, ce n’est pas l’abréviation de Club.
Georges
L’abréviation de quoi, alors ?
Roger
De con.
Georges
De con !?
Roger
Oui. De con.
Georges
Tu plaisantes ?
Roger
Non ! B.C. : Brave Con ; S.C. : Sale Con ; J.C. : Jeune Con ; V.C. : Vieux Con.
Georges
Mais pourquoi portent-ils ça ?
Roger
Parce que c’est obligatoire. Pour le monde. Sous peine d’amende.
Georges
Mais, moi, je n’en avais pas.
Roger
A l’aéroport, ils ont dû te donner une carte provisoire attestant que tu venais de l’étranger.
Georges
Une carte ?
Roger
Blanche avec un liséré rouge.
Georges (il fouille dans ses poches et en ressort une carte)
Ah ! oui. Je l’ai mise dans ma poche, pensant que c’était une publicité.
Roger
Encore heureux que tu ne l’aies pas jetée : tu serais tombé sur un contrôle, on t’arrêtait !
Georges
Mais le petit Caporet n’en avait pas, d’étiquette.
Roger
Si, sûrement ! Mais elle devait être cachée sous son écharpe.
Georges
C’est possible.
Roger
C’est certain. Ils en mettraient plutôt deux dans la famille. Tu penses ! Ce sont des I.
Georges
Des I ?
Roger
Oui, des I.
Georges
Ah bon ! Il n’y a pas que des C.
Roger
Ah non, il y a les I.
Georges
Les Idiots ?
Roger
Non, les Intellectuels.
Georges
Ca alors ! Mais… je n’en ai pas rencontré dans la rue.
Roger
Ils sont moins nombreux, c’est pour ça.
Georges
Et eux aussi, les I, sont subdivisés comme les autres ? En braves I, en sales I, en jeunes I et en vieux I ?
Roger
Ah non, les I sont des I, c’est tout. Leur caractéristique c’est d’être intellectuels. Point final. Le reste se rattache à des notions bassement humaines qui ne les concernent pas.
Georges
C’est insensé ! Comment peut-on réunir sous une même étiquette des êtres aussi différents qu’un vieil intellectuel de gauche et un jeune intellectuel de droite ?
Roger
Il n’y a plus d’intellectuels de droite.
Georges
Ah bon !
Roger
Ils sont répertoriés dans les sales cons. Comme moi.
Georges
Ah ! parce que toi, tu es un…
Roger
S.C. Et j’en suis fier.
Georges
Et Mathilde ?
Roger
B.C.
Georges
Brave… euh…
Roger
C’est ça.
Georges
Le B est bien mérité.
Roger
Et Georgette est une J.C.
Georges
Et ton père a dû être un Vieux C exemplaire.
Roger
Il l’aurait été certainement, s’il n’était pas mort, hélas ! avant le premier recensement.
Georges
C’était quand ?
Roger
Il y a six ans. On en a déjà eu deux depuis. Le prochain a lieu demain.
Georges
Demain !
Roger
Oui ! Demain, tu auras ton étiquette.
Georges
Alors, ça, ça m’étonnerait, mais peu importe… Par simple curiosité, j’aimerais bien savoir qui a le culot de décréter qu’on est un I ou qu’on est un C.
Roger
L’Ordinateur.
Georges
L’Ordinateur ? Une machine !
Roger
Une merveille ! Tu remplis ta fiche de renseignements. Tu l’introduis dans l’ordinateur. Il se met en route. Il digère tout ça et, quelques secondes plus tard, il rend son verdict. Tu es tranquille. Il n’y a pas de problème.
Georges
Et si par hasard je ne suis pas d’accord avec lui ? Si j’estime mériter une autre étiquette que celle qu’il m’attribue ? Il n’y a toujours pas de problème ?
Roger
Non ! Pas de problème ! C’est toi qui as tort. L’Ordinateur ne se trompe jamais. L’erreur est humaine, pas mécanique.
Georges
Mais si néanmoins je suis persuadé du contraire, qu’il y a erreur, je peux me plaindre et demander une révision de mon cas ?
Roger
Bien sûr !
Georges
A un autre ordinateur ?
Roger
Non ! A l’Administration, mais je ne te le conseille pas. Tous ceux qui l’ont fait l’ont regretté.
Georges
Pourquoi ?
Roger
Ca dure des mois et des mois : on ouvre une enquête ; on t’envoie un fouineur assermenté qui fouille dans ta vie, comme un polyvalent dans tes comptes, et finalement on décrète…
Georges
… que l’ordinateur ne s’est pas trompé.
Roger
Exactement. Alors autant le croire tout de suite… et remplir sa fiche de renseignements avec soin et honnêteté. Je t’en donnerai une tout à l’heure. En tant que chef de section, ils m’en ont refilé une bonne pincée au ministère.
Georges
C’est le ministère des Finances qui s’occupe de ça ?
Roger
Ah ! non. Je n’y suis plus. J’ai été muté à celui du Recensement quand il a été créé. Mathilde aussi. Elle a été affectée au service de l’ordinateur. Moi, je supervise l’ensemble des opérations. Je suis comme qui dirait…
Georges
Chef de section.
Roger, enfilant sa veste
Voilà ! Tu me verras à l’œuvre demain. Je crois que tu seras épaté.
Georges
Oh ! Je le suis déjà… mais, dis-moi, qui est à l’origine de ça ?
Roger
De mes galons ?
Georges
Non, du recensement, de l’étiquette.
Roger
Antoine Blandichon, un député.
Georges
De gauche ou de droite ?
Roger
Il s’était présenté sans étiquette !
Georges
Un comble ! Et il est dans quelle catégorie ? Les intellectuels ou les autres ?
Roger
On ne sait pas, et on ne le saura jamais. Il est mort au lendemain de référendum, il y a sept ans environ.
Georges
Quel référendum ?
Roger
Celui où on nous a demandé de voter pour ou contre sa proposition.
Georges
Pour ou contre l’étiquette ?
Roger
Oui.
Georges
Et le vote a été positif ?
Roger
A 51%, comme d’habitude.
Georges
C’est incroyable !
Roger
Pourquoi ?
Georges
Que les intellectuels aient voté pour, à la rigueur, je peux le comprendre, mais les autres, les C ? Et c’est pourtant la majorité.
Roger
Mais bougre d’andouille, les autres, ils ne savaient pas qu’ils étaient des cons, puisqu’ils n’étaient pas encore répertoriés. Ils ne l’ont su qu’après. Avant ils espéraient.
Georges
Quelques-uns, peut-être, mais quand même, la plupart devaient bien se douter qu’ils n’étaient pas des intellectuels… Des gens comme toi, par exemple.
Roger
Oui d’accord, il y en avait.
Georges
Alors, ceux-là, pourquoi ont-ils voté « pour » aussi ?
Roger
Parce qu’ils étaient cons !
Georges
Ah oui ! ça c’est logique.
Roger
Tu vois !
Georges
Mais les 49% qui étaient contre, ils n’ont rien dit ?
Roger
On est en démocratie. Quand l’urne a parlé, le peuple s’incline.
Georges
Et il n’y a pas eu des remous par-ci, par-là ?
Roger
Il aurait pu y en avoir, mais la disparition subite de Blandichon a calmé les esprits. On ne manifeste pas contre un mort.
Georges
Ah ! c’est vrai que Blandichon est mort !
Roger
Hélas !
Georges
Tué par un contestataire ?
Roger
Non, il est mort de joie en apprenant les résultats de son référendum.
Georges
Justice immanente ! Il a été tué par où il avait péché.
Roger
Injustice, oui ! Le père du recensement méritait d’assister au moins aux premiers pas de son enfant.
Georges
Son enfant ? Dis plutôt son monstre. Ah ! Je te jure que si j’avais été là, on m’aurait entendu.
Roger
Pas plus que les autres mécontents.
Georges
Ah si ! Crois-moi, et j’aurais hurlé si fort que j’aurais fini par réveiller ce troupeau de veaux résignés.
Roger
Mais non ! ça s’est passé à cheval sur juillet et août. Les gens revenaient de vacances ou ils y partaient, alors tu sais…
Georges
Ah ! ça n’a pas changé, ça ! Toujours le même procédé : les guerres, les dévaluations, les hausses de prix, les impôts nouveaux… on dilue ça dans le soleil de l’été.
Roger
En plus, cet été-là, il y avait un temps exceptionnel, alors forcément…
Georges
On pensait plus au bronzage qu’à l’étiquette.
Roger
D’autant que la première année, ce n’était pas obligatoire de la porter sur le maillot de bain.
Georges
Parce que maintenant, ça l’est ?
Roger
Heureusement ! Sur les plages, c’était encore plus utile qu’ailleurs. A poil, c’était la pétaudière. On ne savait plus qui était qui : un type te disait quelque chose que tu ne comprenais pas. Tu lui répondais comme si c’était un con. Manque de pot, c’était un intellectuel, ça devenait grave.
Georges
Parce que tu crois vraiment que l’étiquette supprime ce genre d’erreur ?
Roger
Evidemment ! Maintenant, à toute heure, en tous lieux, tu sais immédiatement à qui tu as affaire.
Georges
Personnellement, je préfère découvrir peu à peu et par moi-même.
Roger
Ca prend du temps.
Georges
Pas tellement, hélas !
Roger
Ah si ! quand on tombe sur des zigotos comme toi… avec lesquels on ne sait jamais sur quel pied danser.
Georges
Tu ne le saurais pas davantage si j’avais une étiquette.
Roger
Mais si !
Georges
Mais non ! Un être humain, si simple, si fruste soit-il, ne se définit pas aussi succinctement.
Roger
Si tu vas par là, le galon aussi, c’est succinct. Pourtant ça suffit pour définir le militaire.
Georges
Je ne te suis pas bien.
Roger
S’il n’y avait pas de galon, comment saurait-on si on parle à un colonel ou à un deuxième classe ?
Georges
Ca renseigne sur le grade, pas sur l’homme, pas sur le caractère, pas sur l’esprit.
Roger
Ca éclaircit déjà les choses. Comme l’étiquette. Et crois-moi, avec ceux qui ont les deux : ça (il désigne ses galons), et ça (il désigne son étiquette), il n’y a pas beaucoup de risques d’erreur.

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