1 octobre 2013

Mythes et Légendes de la Grèce antique : L’Odyssée d’Ulysse (2/3)

Ah que coucou !
 
Comme annoncé hier (pour accéder à la première partie de cette légende, cliquez ici), voici la seconde partie et fin de l’Odyssée d’Ulysse que nous retrouvons endormi sur une des plages d’Ithaque…
 
Bisous,
@+
Sab
 
 
Dès que le dieu Poséidon apprit que les Phéaciens avaient aidé Ulysse, il se mit dans une colère épouvantable. Il demanda à Zeus la permission de les punir. Le navire était déjà en vue du port et le peuple s’assemblait pour faire la fête aux marins. Soudain, Poséidon émergea des vagues et frappa le bateau de la paume de sa main. En un instant, le bateau tout entier, avec tous ceux qui se trouvaient dessus, fut transformé en pierre et cette pierre coula à pic pour s’en aller reposer au fond de la mer.
Le roi Alcinoos avait tout vu, et fit entendre un long gémissement. Il venait de se souvenir d’une épouvantable prédiction qui lui avait été faite bien des années auparavant : il y était dit que Poséidon transformerait en pierre un navire phéacien rentrant au port, et qu’il encerclerait la cité d’une chaîne de montagnes escarpées. Il rassembla immédiatement le peuple pour offrir de grands sacrifices, dans l’espoir que Poséidon les prendrait en pitié et ne les enfermerait pas au milieu des montagnes. Tous se joignirent à lui.
Pendant ce temps, Ulysse se réveillait sur l’ile d’Ithaque, se levait et regardait tristement autour de lui. Après tant d’années, il ne reconnaissait plus sa patrie. Là où se dressait une colline dénudée, des arbres avaient poussé, et là où prospéraient des buissons verdoyants, des pierres blanches luisaient dans la lumière crue du petit matin. Désespéré, Ulysse commença à pleurer et à se lamenter : il croyait qu’il se trouvait de nouveau dans quelque pays étranger, et que les Phéaciens l’avaient trompé. Mais autour de lui étaient étalés tous les présents qu’ils lui avaient faits : les tridents, les vases, les joyaux et les magnifiques étoffes, rien ne manquait, tout était étalé sur le rivage.
Un jeune berger qui descendait d’une colline vint à la rencontre du héros. C’était la déesse Pallas Athéna qui avait revêtu cette apparence pour venir réconforter le malheureux.
Ulysse se réjouit de voir un homme sur ce rivage désolé. Le gardien de troupeau était habillé comme un jeune noble : il portait aux pieds des sandales ouvragées et tenait à la main une lance. Il n’avait pas l’air hostile, aussi le héros se leva et lui demanda où il était.
« Tu dois venir de loin », dit la déesse travestie, « pou ne pas connaître le nom de ce pays : cette côte est celle de l’île d’Ithaque ».
En entendant ces mots Ulysse eut de la peine à réprimer sa joie. Mais il cacha prudemment son identité et inventa une histoire pour expliquer au berger comment il avait débarqué.
La déesse sourit de la ruse, reprit son apparence normale et dit simplement :
« Je viens t’offrir mon concours, Ulysse. Je suis Pallas Athéna. »
Puis elle l’aida à cacher dans une grotte les précieux cadeaux qu’il venait de recevoir, et s’assit avec lui sous un olivier pour l’encourager et lui donner des conseils.
« Ne crains rien, je ne t’abandonnerai pas », dit-elle, « et d’abord je ferai en sorte que tu ne sois pas reconnu en Ithaque avant que  ce ne soit nécessaire. Je vais rider ton front, faire tomber tes cheveux et t’habiller de loques minables. Je vais éteindre le feu de tes yeux et les rendre fatigués par l’âge de façon à ce que non seulement tu paraisses hideux aux prétendants à la main de ta femme, mais que même celle-ci, même ton fils, te trouvent repoussant. C’est sous cette apparence que tu iras trouver le gardien de porcs Eumée. Il est honnête et t’est resté fidèle. Tu apprendras grâce à lui ce qui se passe dans ton palais. Pendant ce temps, je vais faire revenir de Sparte ton fils Télémaque. Il est parti chez le roi Ménélas pour essayer d’avoir de tes nouvelles. »
« Est-ce que mon fils va lui aussi errer sur les mers ? » demanda Ulysse avec anxiété.
La déesse le rassura :
« Ne te fais pas de souci pour lui. Il ne manque de rien. Je l’ai moi-même accompagné jusqu’à Sparte et j’irai le rechercher. »
Sur ces mots, Athéna toucha le héros de sa baguette magique. Aussitôt son teint se flétrit, son visage se couvrit de rides et ses vêtements se transformèrent en haillons qui pendaient sur ses épaules courbées. Elle lui donna un bâton et jeta sur son dos un affreux sac éculé.
Ainsi rendu méconnaissable, Ulysse partit à la recherche du gardien de porcs Eumée. La déesse lui indiqua le chemin à suivre.
Le vieillard était assis dans un enclos qu’il avait construit pour ses bêtes et se fabriquait de nouvelles sandales en peau. Les jeunes bergers étaient dans les prairies. Dès que les chiens sentirent l’étranger, ils se précipitèrent sur lui en aboyant furieusement. Ils auraient sûrement mordu sérieusement Ulysse si Eumée ne les avait pas chassés en criant. Il reçut le pauvre voyageur avec bonté. Il jeta des fagots par terre et étala dessus une douce fourrure de façon à ce que son visiteur soit bien installé. Il tua même en son honneur deux cochons de lait, les découpa et les fit griller tout en parlant à l’étranger :
« Je ne peux t’offrir que ces deux petites bêtes », dit-il, « celles qui sont engraissées, je dois les donner au palais où les prétendants festoient nuit et jour. Les troupeaux diminuent de façon inquiétante pendant que les caves et les greniers se vident. Si mon pauvre maître était là, il y mettrait certainement bon ordre. Mais les dieux seuls savent où il est enterré. Il y a des années qu’il est parti se battre à la guerre de Troie. S’il était vivant, il serait sûrement déjà revenu, car le combat est fini depuis longtemps.
Le berger déposa la viande rôtie devant Ulysse et lui versa du vin dans un bol de bois.
Lorsque le voyageur eut repris un peu de forces, il dit au porcher :
« Voilà des années que j’erre sur les mers et à travers les terres. Dis-moi quel est le nom de ton maître : peut-être l’ai-je rencontré. »
« Mon pauvre seigneur », répondit l’homme, « s’appelait Ulysse. Il était bon  et juste. Je ne reverrai jamais de ma vie un roi aussi valeureux ! »
« Si ton maître est Ulysse », dit le héros travesti, « je peux jurer qu’il reviendra cette année. Tu me récompenseras de ce que je te dis dès qu’il sera apparu au palais royal. »
« Tant pis pour ton serment », dit le berger sceptique, « de toute façon tu n’auras pas de récompense car Ulysse ne reviendra pas. Je suis aussi inquiet pour son fils, Télémaque : il est parti chez le roi Ménélas, et l’on dit que les prétendants ont envoyé un bateau pour lui tendre une embuscade et le tuer. Mais maintenant, cher invité, c’est à toi de me raconter d’où tu viens et qui tu as rencontré sur ta route. »
Ulysse inventa une histoire. Il dit qu’il venait de Crète et qu’il avait eu beaucoup d’aventures. Il raconta aussi qu’il avait participé à la guerre de Troie et y avait rencontré Ulysse. Il l’avait d’ailleurs rencontré encore une fois quand Ulysse était sur le chemin du retour.
Le berger l’écouta attentivement, et crut tout le récit sauf ce qui concernait le prochain retour de son roi. Il pensa que l’étranger boulait se faire bien voir de lui en lui annonçant de bonnes nouvelles.
Le ciel s’obscurcit et les autres pasteurs revinrent à l’abri. Ils enfermèrent les animaux dans l’étable et se mirent à dîner. Dehors, les nuages avaient voilé la lune, et la pluie se mit à murmurer. Un vent glacial et humide traversa les fissures des murs et Ulysse eut froid. Il se demanda comment il pourrait se réchauffer, et décida d’éprouver les bergers.
« Ecoutez », dit-il, « je vais vous raconter ce qui m’est arrivé pendant le siège de Troie. Un soir que nous nous étions embusqués sous les murs de la ville, avec Ulysse, Ménélas et d’autres guerriers, pour préparer une attaque, le vent glacial se mit à souffler, et nous fûmes bientôt tous engourdis de froid. Les autres guerriers avaient des vêtements chauds et ne prenaient pas garde au fait que leurs boucliers se recouvraient de givre. Mais moi j’avais laissé mon manteau au camp. Vers le matin, je ne pus supporter le froid et je dis à Ulysse :
« Ami, dans quelques instants je vais mourir. Je ne suis pas couvert et vais périr de froid. »
« Tiens-toi tranquille une minute », dit Ulysse de façon à ce que personne ne puisse l’entendre. Il se leva et dit à ses guerriers :
« Un dieu vient de m’envoyer un songe. Nous nous sommes avancés trop loin et avons besoin de renforts. Que quelqu’un aille porter un message au roi Agamemnon. »
Aussitôt un homme se leva et, rejetant son manteau, partis en courant. Quant à moi, enroulé dans son vêtement, je dormis jusqu’à l’aurore. Si j’étais maintenant aussi jeune et vigoureux qu’alors, quelqu’un me prêterait sûrement un manteau pour me protéger du froid. »
« C’est vraiment une belle histoire », dit Eumée. « Nous aussi, vieil homme, allons te donner un vêtement. Et lorsque notre prince Télémaque rentrera, il t’en offrira un et te donnera tout ce dont tu as besoin pour voyager. »
Le berger prépara un confortable lit de peaux de mouton et, quand Ulysse fut couché, il le couvrit de son propre manteau. Lui-même ne se coucha pas mais prit une épée et une lance et sortit surveiller les troupeaux.
Ulysse ne dormait pas encore et lorsqu’il vit qu’Eumée s’en allait, il fut heureux de constater comme il gardait bien ses bêtes.
Cette nuit-là, à Sparte, Télémaque eut un sommeil agité. Il se réveillait sans cesse en pensant à son père. Soudain une apparition déchira l’obscurité environnant le prince : la déesse Pallas Athéna était devant lui.
« Rentre immédiatement dans ton pays », lui dit-elle, « mais prends bien garde en chemin. Les soupirants de ta mère t’ont tendu des pièges, ils t’attendent sur un bateau dans un détroit pour te faire prisonnier. C’est pourquoi tu dois éviter ce passage et ne naviguer que pendant la nuit. Lorsque tu auras atteint Ithaque, envoie tes compagnons à la ville, et toi, va tout seul chez le fidèle berger Eumée. »
Pallas Athéna remonta vers l’Olympe et Télémaque suivit son conseil. Il partit chargé de cadeaux offerts par le roi Ménélas et sa femme Hélène et embarqua sur son navire. Il contourna le détroit dangereux et, aidé par un vent favorable, accosta sans difficulté à Ithaque.
Il débarqua avant ses amis et se dirigea aussitôt vers la hutte d’Eumée.
Ulysse était assis avec ce dernier dans sa cabane lorsqu’ils entendirent les chiens aboyer joyeusement. Le berger se leva pour voir qui venait et reconnut son prince.
Dans son émoi, il lâcha la petite coupe de vin qu’il tenait. Il prit Télémaque dans ses bras tremblants et l’embrassa sans pouvoir retenir ses larmes.
Ulysse pouvait être fier de son fils : à son départ, c’était un enfant, et maintenant il voyait devant lui un jeune homme vigoureux. Mais il dissimula ses sentiments et offrit sa place sur la peau de mouton.
« Reste assis, étranger », dit le prince, « je trouverai bien un autre siège : il y a assez de place ici. »
Le pasteur rayonnant de joie déposa devant lui de la viande rôtie et du vin. Télémaque mangea de bon appétit, puis il demanda à l’invité d’où il venait. Eumée lui raconta alors l’histoire du voyageur. Il acheva son récit par ces mots :
« Il est venu me demander un abri. Maintenant que tu es rentré, prends-le sous ta protection, c’est un homme juste ». Après avoir réfléchi un moment, Télémaque répondit :
« Notre invité ferait mieux de rester chez toi. Je vais lui envoyer quelques bons vêtements et une épée et de la nourriture, mais je ne peux pas le prendre avec moi au palais. Les prétendants de ma mère sont tellement arrogants et frivoles qu’ils pourraient se moquer de lui ou lui faire du mal. Et ils sont trop nombreux pour que je puisse le défendre. »
Ulysse fut surpris que son fils supporte une telle conduite sous le toit de son père, et il écouta attentivement Télémaque lui raconter comment depuis son départ les nobles d’Ithaque et des îles voisines s’étaient rassemblés dans l’espoir d’obtenir la main de Pénélope, qui n’osait pas les défier ouvertement. Elle les recevait donc, mais toujours repoussait le moment fatal du choix. Pendant ce temps les prétendants festoyaient et les biens du roi disparu étaient dilapidés. Les troupeaux diminuaient et les greniers se vidaient. Le prince était jeune et seul. Il ne pouvait pas s’opposer à leur nombre.
Après avoir achevé ce triste récit, Télémaque s’adressa au berger et lui demanda d’aller porter à la reine la nouvelle de son retour. Eumée prit un bâton et se mit en route. Alors la déesse Athéna apparut à Ulysse et lui fit un signe. A son appel le faux mendiant sortit de la hutte et Athéna lui dit :
« Ne cache pas plus longtemps ton identité à ton fils. Dis-lui qui tu es et allez tous les deux au palais pour punir les arrogants soupirants. Je vous aiderais encore. »
Elle se tut et toucha le vieil homme de sa baguette magique. Aussitôt Ulysse redevint jeune et beau. Les haillons se transformèrent en riches vêtements, sa barbe noircit et sa faiblesse se changea en force.
Ainsi métamorphosé, il rentra dans la hutte. A sa vue, Télémaque fut saisi de crainte : il croyait voir un dieu de l’Olympe.
« Je ne suis pas une divinité », dit Ulysse, « je ne suis que ton père que tu attendais. »
Il serra son fils dans ses bras, mais celui-ci n’arrivait pas encore à le croire. Comment un simple mortel aurait-il pu ainsi changer d’apparence ? Il y a un instant c’était encore un vieillard !
« Pallas Athéna nous protège », expliqua le roi, « et les dieux peuvent transformer les hommes. Je vais à nouveau, mais pour la dernière fois, me déguiser en pauvre mendiant, et demain je me présenterai au palais. Pour l’instant, ne parle à personne de notre rencontre, pas même à ta mère ou à Eumée. Je veux me rendre compte par moi-même et savoir qui, chez moi, m’est resté fidèle, et qui est dévoué aux cupides prétendants ».
Pendant ce temps, le navire qui avait ramené le prince était rentré au port, suivi peu de temps après par celui qui lui avait tendu un guet-apens.
Les soupirants se précipitèrent vers le port sans pouvoir comprendre comment Télémaque avait échappé au piège tendu.
« Il nous a peut-être échappé sur la mer », s’écria Antinoos, le plus ignoble d’entre eux, « mais sur terre il ne pourra se sauver. Nous allons le supprimer dans la ville. »
Un serviteur dévoué à la reine lui rapporta ces propos menaçants. Pénélope, effrayée par le sinistre projet d’Antinoos, alla immédiatement dans la pièce où étaient rassemblés les prétendants et les réprimanda violemment. Ceux-ci prirent peur et assurèrent la reine, avec force mensonges et sourires, que jamais de leurs vies ils n’avaient pensé à supprimer son fils. Mais dans leurs cœurs se formaient de noirs desseins.
Vers le soir Eumée revint dans la cabane en rapportant les nouvelles du retour des deux bateaux et des événements qui se déroulaient au palais.
Devant le berger, Télémaque traita son père comme un étranger :
« J’irai demain matin voir ma mère », dit-il à Eumée, « toi, tu me suivras avec ton invité de façon qu’il puisse recevoir des aumônes dans la vile. »
Le lendemain, Pénélope accueillit son fils les bras ouverts. Elle attendait avec impatience qu’il lui raconte ce qu’il avait appris sur son époux. Télémaque parla de la nymphe Calypso qui le retenait sur une île, mais ne souffla mot du retour de son père.
Lorsque le soleil fut bien haut dans le ciel, Eumée et Ulysse se mirent en route à leur tour. Le faux vieillard portait un vieux sac et s’appuyait de tout son poids sur son bâton de mendiant. Arrivés dans la ville, ils s’avancèrent vers le palais royal, d’où sortaient des cris joyeux et d’où émanaient de plaisantes odeurs. Eumée conseilla à Ulysse d’attendre dans la cour et il pénétra seul à l’intérieur.
Pendant qu’ils parlaient, un vieux chien malade, couché sur un tas d’ordures, souleva la tête. Ulysse l’avait élevé avant de partir à la guerre et l’animal qui l’avait reconnu remua la queue sans arriver à bouger davantage. Le roi le remarqua et essuya promptement une larme qui coulait de ses yeux.
« Comme c’est curieux qu’un tel chien soit abandonné dans les ordures », dit-il au berger, « même maintenant on peut voir qu’il s’agit d’une bête de race. »
« Ce n’est pas étonnant ! » répondit Eumée. « C’était le chien favori de mon maître. Ulysse l’emmenait toujours à la chasse, jamais je n’ai vu d’animal plus rapide et plus brave. Maintenant que mon seigneur n’est plus là pour surveiller les servantes, elles ne s’en occupent plus. »
Sur ces mots, le berger rentra dans le palais et Ulysse regarda un long moment son chien favori. Comme s’il avait attendu vingt ans ce moment, le fidèle compagnon pencha la tête et expira.
Dans la salle, Télémaque participait au festin des fourbes prétendants. Il aperçut Eumée e l’invita à s’asseoir auprès de lui, et à prendre part au copieux repars. Ulysse entra alors du pas chancelant d’un vieil homme et s’assit sur le seuil de la porte. Dès que le prince le vit, il lui fit porter par Eumée du pain et de la viande. Lorsque l’étranger eut fini de manger, il se mit à mendier parmi les convives comme s’il n’avait fait que cela toute sa vie. Chacun lui donna quelque chose et lui demanda d’où il venait. Ulysse leur raconta l’histoire qu’il avait inventée. Bien que personne n’ait offert quelque chose lui appartenant et que tous lui aient donné en fait des restes du repas, Antinoos refusa cette aumône.
« Si chacun donnait à ce pouilleux ce que je vais lui donner, il ne reviendrait pas de sitôt ! » s’écria-t-il, et il jeta un tabouret sur le pauvre vieillard. Il atteignit Ulysse au dos, mais celui-ci ne bougea pas plus qu’un rocher.
De sa chambre, Pénélope entendit les cris et souffrit en pensant qu’Antinoos avait frappé l’étranger sous son toit. Elle fit appeler Eumée et lui demanda qui était cet inconnu. Le berger lui raconta son histoire ; Lorsque la reine apprit que l’indigent avait connu Ulysse, et même l’avait rencontré dernièrement, elle fut impatiente de lui parler et envoya Eumée le chercher. Mais le mendiant se déroba à l’invitation et dit qu’il ne viendrait que le soir, car il ne voulait pas défier ouvertement les soupirants.
Après le repas, le berger se leva et retourna vers ses troupeaux après avoir promis de revenir le lendemain avec ses plus belles bêtes.
Les convives se mirent alors à danser et à chanter et le jour tomba doucement. Alors apparut à la porte de la salle un autre mendiant.
Son nom était Iros et il était connu de toute la ville. Bien qu’il ne fût pas très fort, il était énorme. Dès qu’il aperçut Ulysse sur le seuil il essaya de le déloger et se moqua de lui. Ulysse répondit doucement :
« Il y a assez de place pour nous deux. Nous sommes tous deux mendiants. Pourquoi se disputer ? »
Mais Iros répondit par un flot d’insultes et continua à le molester. Les soupirants écoutaient la querelle en riant. Alors Antinoos eut une idée :
« Amis », dit-il, « ce serait bien amusant de les voir se battre. Je propose de récompenser le vainqueur ave le plus grand boudin. Par la suite, il festoiera avec nous et sera le seul pauvre admis dans la maison. »
Les convives acceptèrent joyeusement la proposition d’Antinoos, mais Ulysse fit semblant d’hésiter. Il leur demanda de ne pas s’interposer dans le combat et de ne pas aider Iros. Ceux-ci donnèrent leur accord et Télémaque fit de même, en sa qualité d’hôte.
Ulysse releva alors les haillons  qui lui couvraient ses jambes, découvrant des cuisses et des mollets musclés. Il dénuda aussi sa poitrine et les soupirants de Pénélope furent impressionnés par sa puissance. Dès lors, ils ne doutèrent plus de la défaite d’Ios qui tremblait de peur à la vue de cette force tranquille.
Ulysse se demanda un instant s’il frapperait doucement le mendiant ou s’il atteindrait de toute sa fore. Il opta pour la première manière.
Iros attaqua le premier. Ulysse riposta sans trop d’acharnement, mais déjà son adversaire était tombé à terre en pleurant. Le vainqueur saisit le mendiant par le col et l’entraîna dans la cour où il l’assit devant le portail.
« Tu peux rester là », lui dit-il, « et chasser les cochons et les chiens, mais n’essaie pas de régner sur les étrangers et les mendiants ».
Lorsqu’il rentra au palais, les prétendants l’acclamèrent bruyamment et Antinoos lui donna le plus gros des boudins. Ils fêtèrent encore longtemps son succès et ce n’est que tard dans la nuit qu’ils allèrent se coucher. Télémaque et Ulysse restèrent seuls dans la salle. Le roi pensa à sa vengeance. Aussi dit-il à son fils :
« Mon enfant, il faut enlever d’ici toutes les armes qui sont suspendues aux murs. 
Le prudent Télémaque appela sa vieille nourrice Euryclée et lui expliqua que les épées et les boucliers risquaient d’être abîmés par la fumée des festins et devaient être rangés dans une pièce isolée. Il lui demanda aussi d’éloigner les servantes, car il était plus sage que personne ne soit au courant de ce changement.
« Mais, maître », lui demanda Euryclée avec sollicitude, « qui éclairera ton chemin sinon les servantes ? »
« Mon invité le fera », répondit Télémaque. « Puisqu’il mange mon pain, il peut aussi m’aider. »
Le père et le fils se mirent alors à transporter les boucliers, les casques et les lances tandis que Pallas Athéna illuminait la nuit avec une torche dorée.
Lorsque les armes furent en lieu sûr, Ulysse dit au prince d’aller se reposer, et lui-même attendit la venue de Pénélope. Celle-ci ne tarda pas car elle était très impatiente d’avoir des nouvelles de son époux. Le roi fut profondément ému de la revoir. A la lueur du feu de bois, il pouvait se rendre compte de ce qu’elle n’avait rien perdu de sa beauté, une vingtaine d’années s’étant écoulée. L’attente et le chagrin n’avaient pas abîmé ses traits et il comprit qu’il l’aimait toujours aussi tendrement. Mais la reine ne reconnut pas son époux sous cet affreux déguisement. L’homme ne l’intéressait pas, seul son récit comptait.
Ulysse lui raconta donc l’histoire qu’il avait inventée. Lorsqu’il eut fini Pénélope, touchée par son air sincère, se mit à pleurer. Longtemps elle ne put se calmer, puis, à travers ses larmes, elle lui demanda :
« Laisse-moi encore t’éprouver. Dis-moi quels vêtements portait Ulysse lorsque tu l’as rencontré ? »
« Il ne m’est pas facile de m’en souvenir après tant d’années », répondit le roi. « Mais si je ne me trompe pas, il portait un manteau de laine pourpre sur lequel était agrafée une broche d’or. Cette broche était un chef-d’œuvre d’orfèvrerie et elle représentait un faon attaqué par un chien de chasse. Le héros était accompagné par un garde du corps un peu bossu. »
En entendant ces détails, tout à fait véridiques, Pénélope se remit à pleurer. Ulysse la réconforta et lui assura que son mari reviendrait bientôt. Mais il n’arriva pas à convaincre la reine qui avait perdu l’espoir de retrouver son époux bien-aimé. Les yeux encore emplis de larmes, elle appela la nourrice Euryclée pour qu’elle lave les pieds de son invité.
Euryclée prépara l’eau. Elle posa le bassin devant lui, le dévisagea attentivement et dit avec surprise :
« Bien des étrangers sont venus chez nous, mais aucun ne ressemblait à notre roi autant que toi. »
Ulysse lui répondit vivement :
« C’est vrai, on me l’a souvent dit. »
Et il se retourna de façon à ce que sa tête reste dans l’ombre. C’est alors qu’il se souvint d’une cicatrice qu’il avait sur la jambe, à l’endroit où un sanglier l’avait percé de son boutoir. La vieille femme le lavait, lorsque, malgré l’obscurité, elle reconnut la blessure. D’émoi, elle lâcha le pied du roi et renversa le récipient.
« Tu es Ulysse », dit-elle, « comment pourrai-je ne pas reconnaître la cicatrice de mon maître ? »
Le héros lui mit promptement la main sur la bouche et lui murmura :
« Veux-tu ma perte ? Je suis Ulysse, mais personne ne doit encore le savoir. »
« Je me tairai », acquiesça Euryclée, rayonnante. « Tu sais que je puis être aussi muette que la pierre ou l’airain ».
Elle acheva sa besogne en enduisant d’huile aromatique les pieds de son roi. Ulysse rapprocha sa chaise du feu en recouvrant soigneusement sa cicatrice avec ses haillons. Perdus dans ses pensées, Pénélope lui parla comme si elle cherchait un conseil :
« Cher ami », lui dit-elle, « il faudra bientôt que je choisisse mon destin. Demain, je vais inviter tous les prétendants à une compétition athlétique. Je suivrai celui qui la gagnera. Je vais faire aligner douze haches comme le faisait mon époux. Ils devront, d’une seule flèche lancée par son arc arriver à les traverser. Je doute que l’un d’eux ait assez de force pour arriver seulement à tendre la corde !
Ulysse approuva la ruse de sa femme et lui conseilla de ne pas retarder la compétition.
« Ton époux reviendra », lui dit-il, « et personne ne réussira cet exploit, à part lui. »
La reine se retira alors dans ses appartements et le faux mendiant se coucha près de la porte.
Le lendemain matin, les soupirants se rassemblèrent à nouveau dans la salle des fêtes. Ils déposèrent leurs manteaux sur des sièges et se préparèrent à dévorer des cochons et des veaux tendres et bien nourris. Ils grillèrent la viande, mélangèrent le vin et se mirent enfin à manger. Le berger Eumée était au palais et aidait aux préparatifs.
Télémaque fit installer une table et une vieille chaise près de la porte pour Ulysse. Il posa lui-même devant lui de la nourriture et des boissons en disant :
« Restaure-toi en paix, je ne conseille à personne de t’insulter, et s’il le faut, je te protégerai contre les convives.  »
Stupéfaits par tant de fermeté, les prétendants serrèrent les dents en silence. Mais l’un d’eux se tourna en ricanant vers Ulysse et s’exclama :
« Cher invité, vous avez droit à une part égale de tous les plats. Moi aussi je vous ai préparé un cadeau ». Comme il disait ces mots, il saisit un énorme os de bœuf et le jeta sur Ulysse. Celui-ci s’écarta un peu et le projectile n’atteignit que le mur.
« Tu as eu de la chance de l’avoir raté ! » s’exclama Télémaque, « car sinon je t’aurais déjà tué avec ma lance ! Je préférerais mourir moi-même à voir maltraiter mes hôtes. »
« Télémaque a raison », dit un des convives, « mais s’il veut obtenir la paix, il n’a qu’à convaincre sa mère de fixer enfin son choix sur l’un d’entre nous. »
« Par les dieux immortels », répondit Télémaque, « cela fait longtemps que j’essaie d’influencer ma mère, mais je ne peux pas la forcer à quitter le palais ! »
Pendant que les prétendants discutaient en festoyant, Pénélope préparait la compétition. Aidée de ses servantes, elle avait sort l’arc, le carquois et les douze haches d’Ulysse. En prenant dans la main ces objets familiers, elle ne put s’empêcher d’être profondément émue. Mais la déesse Athéna lui inspira du courage et elle entra dans la salle du banquet. A sa vue, les soupirants se turent et écoutèrent ses paroles :
« J’ai décidé de prendre un mari, mais j’épouserai seulement celui qui aura réussi à tendre l’arc d’Ulysse et à traverser d’une seule flèche ces douze haches, ainsi que lui-même avait coutume de le faire. »
Sur ces mots, elle ordonna à Eumée d’apporter l’arme et le carquois. Télémaque installa les haches avec une précision étonnante. Il essaya de tendre l’arc et aurait peut-être réussi si son père ne lui avait pas fait un signe. Alors il le déposa contre le mur et revint à sa place. Antinoos se leva aussitôt et cria :
« Mes amis, tentons notre chance chacun à notre tour. Nous pouvons lancer les flèches de l’endroit où l’on verse le vin. »
Comme tous étaient d’accord, le premier concurrent s’avança. De toute sa force il essaya de tendre l’arc, mais en vain !
« Que l’on apporte de la graisse ! » ordonna Antinoos.
Les prétendants chauffèrent l’arc devant le feu et l’enduisirent de graisse pour le rendre plus flexible. Puis ils reprirent leurs efforts, mais sans davantage de succès. L’un après l’autre, ils mesurèrent leurs forces, mais tous durent abandonner.
Alors Ulysse sortit subrepticement et alla dans la cour rejoindre Eumée et les autres bergers.
« Si quelque dieu ramenait Ulysse, qui défendriez-vous : les prétendants ou lui ? »
« Si notre sire notre roi revenait », répondirent tous ensemble, « il donnerait une rude leçon aux soupirants et nous en serions bien heureux ! »
Comme ils avaient ainsi exprimé leur loyauté, Ulysse leur révéla sa véritable identité en leur montrant la cicatrice qu’il avait à la jambe. Les pasteurs muets de joie l’embrassèrent avec ferveur. Ulysse lui aussi était fort ému.
« Lorsque nous serons retournés dans la salle », dit-il à Eumée, « tu me donneras l’arc ; quant à vous », ordonna-t-il aux bergers, « dites aux servantes de fermer la porte des appartements des femmes et de ne pas les laisser sortir même si elles entendent des cris et des plaintes. Tirez aussi la grille qui ferme le parc, et verrouillez-la solidement. »
Ils revinrent dans la salle au moment où le dernier concurrent, Antinoos, allait tenter sa chance. Comme les précédents, il craignait un échec, c’est pourquoi il préféra éviter de concourir. Il se souvint alors que ce jour était jour d’abstinence sacrée et qu’à cette occasion il était interdit de tendre un arc. Il avait l’intention d’offrir un sacrifice aux dieux, déclara-t-il, pour demander leur aide et puis terminer le concours.
« Tu as eu bien raison de remettre ton tour », lui dit alors Ulysse, « mais laisse-moi essayer ma force ».
La demande du vieil homme mit Antinoos en colère et il allait le frapper. Pénélope tenta de le calmer en lui disant :
« Pensez-vous vraiment que ce mendiant arrivera à tendre l’arc et à me prendre pour épouse ? »
« Nous n’avons pas peur de cela », protestèrent les prétendants, « mais nous avons peur des commérages : si jamais il réussissait, les gens se moqueraient de nous ! »
« Moi seul décide qui peut participer à la compétition, » dit alors Télémaque. « Les armes sont une affaire d’hommes. Toi, ma mère, va dans ta chambre et ne la quitte pas ! »
Pénélope regarda son fils avec surprise mais lui obéit et quitta la salle. Eumée prit l’arc et le donna à Ulysse. Les convives se mirent à crier et voulurent l’arrêter.
« Va, Eumée, je te l’ordonne », dit Télémaque en l’encourageant. « Si seulement je pouvais commander à tous ces gens comme je te commande à toi ! »
Les soupirants s’esclaffèrent et Ulysse prit l’arc. Il l’examina soigneusement et parut tirer à peine la corde. Celle-ci chanta comme une hirondelle. Alors un puissant coup de tonnerre retentit dans le ciel : Zeus lui-même manifestait ainsi sa bienveillance au héros. Celui-ci saisit une flèche, tendit l’arc d’une main ferme, et sa flèche traversa les douze haches. Les prétendants, stupéfaits, pâlirent, et eurent à cet instant le pressentiment qu’il allait leur arriver un grand malheur.
Télémaque saisit son épée sa lance et se mit au côté de son père. Ulysse rejeta ses haillons de mendiant, déposa ses flèches devant lui et s’exclama d’une voix terrible :
« Le premier concours est fini. Maintenant je vais choisir une cible que personne n’a encore atteinte. »
Sur ces mots, il tendit à nouveau son arme et une flèche partit. Antinoos venait d’élever une coupe de vin à ses lèvres quand le trait lui transperça la gorge. Pris de panique les convives cherchèrent leurs armes mais ne purent les trouver : on les leur avait subtilisées.
« C’est Ulysse qui se tient devant vous ! » cria le héros aux prétendants terrifiés. « Il est venu vous punir de vos forfaits. Vous n’avez craint ni les dieux ni les hommes, maintenant l’heure est venue de payer ! »
Il banda son arc, tirant flèche après flèche et chacune atteignait son but. Les uns après les autres les prétendants, gorgés de vin et de chair, tombaient à terre.
Télémaque bondit dans la salle d’armes et rapporta des glaives aux fidèles bergers. Mais dans son émotion il oublia de refermer la porte et un serviteur félon en profita pour rapporter aux prétendants survivants des épées et des lances. Mais il ne peut renouveler son exploit car les bergers se saisirent de lui et l’enfermèrent.
Ulysse sentit son courage l’abandonner lorsqu’il vit tant d’armes dressées contre lui. Mais à ce moment Pallas Athéna lui vit en aide : tous ses ennemis ratèrent leur cible. Une lance atteignit la porte, une autre le mur, mais aucune d’elles ne blessa le héros ou ses compagnons.
Le bruit de la bataille et les râles des mourants emplirent le palais. Sur la demande de son fils Ulysse épargna le serviteur et l’aède. Lentement le fracas des armes décrut tandis que le dernier des prétendants rendait l’âme.
Ulysse fit le tour de la salle pour voir si aucun ennemi ne se cachait. Puis il appela la vieille nourrice Euryclée. Lorsqu’elle vit son maître vainqueur, pareil à un lion superbe, elle commença à se réjouir bruyamment, mais Ulysse l’arrêta :
« Les vivants ne doivent pas », lui dit-il, « être heureux de voir des morts. Aussi cache ta joie et va chercher les servantes qui m’ont trahi et ont participé aux folles réjouissances des prétendants ».
Quand les femmes furent devant lui, il leur reprocha leur infidélité et les punit en leur ordonnant d’emporter les corps et de nettoyer la salle.
Ensuite Ulysse fit brûler du soufre dans tout le palais et lorsqu’enfin tout fut propre et rangé il demanda à Euryclée d’aller chercher sa femme. La nourrice qui n’attendait que ce moment se précipita sur ses vieilles jambes pour aller annoncer la bonne nouvelle à sa maîtresse.
Pénélope, qui s’était endormie, et dont l’appartement était situé dans une aile éloignée de la salle des banquets, n’avait entendu ni les cris ni le bruit des armes. Euryclée l’éveilla et lui raconta ce qui s’était passé et comment elle avait reconnu son maître grâce à sa cicatrice.
Mais Pénélope ne la crut pas et la suivit sans vraiment espérer que l’homme qui l’attendait était son époux. Elles franchirent ensemble le seuil de la salle et la reine s’assit sans un mot en face d’Ulysse.
Par instants elle croyait reconnaître en lui son mari, puis de nouveau il lui semblait être un étranger. Elle craignait beaucoup une imposture, et voulait entendre de sa bouche un détail connu d’eux seuls. Alors Ulysse lui rappela comment il avait construit leur chambre à coucher, au palais. Cette pièce avait été faite autour d’un olivier dont il avait lui-même coupé les branches, son tronc servant de pilier. Puis il décrivit les ornements d’or et d’argent de leur lit : il l’avait sculpté lui-même.
A cet instant Pénélope comprit que cet homme était vraiment Ulysse, l’époux tant attendu. Elle l’embrassa en pleurant de joie, et tous deux se mirent à parler sans fin.
Pour que le silence qui s’était abattu sur le palais ne paraisse pas suspect, Ulysse eut l’idée d’une nouvelle ruse. Il ordonna à l’aède de chanter de gaies chansons et organisa une fête pour ses fidèles serviteurs. Ainsi tous ceux qui passaient près du palais pensaient que les prétendants festoyaient encore. De cette façon, il remit à plus tard l’annonce du massacre.
Le lendemain à l’aube, Ulysse fit ses adieux à Pénélope en lui recommandant de ne pas quitter sa chambre. Il partit avec Télémaque voir son père dans sa retraite de la campagne. Deux fidèles bergers l’accompagnaient. Ils traversèrent la ville, mais il était si tôt que personne ne les vît.
Quand ils arrivèrent à la maison de Laërte, elle était vide : tous étaient dans les champs. Ulysse partit lui-même à la recherche de son père. Il le trouva dans le verger, sarclant la terre autour d’un buisson.
Sa figure était sillonnée de rides et portait les marques de la souffrance causée par l’absence de son fils.
Le cœur d’Ulysse se mit à battre de chagrin. Il ne se fit pas reconnaître mais fît semblant de rechercher le fils de Laërte, Ulysse, qu’il avait, disait-il, rencontré cinq ans auparavant.
Dès que le vieillard entendit le nom de son enfant, ses yeux s’emplirent de larmes et sa voix trembla. Alors Ulysse ne put se cacher davantage : il lui montra sa cicatrice et lui parla des arbres que son père lui avait donnés. Dès qu’il comprit son bonheur, le vieil homme défaillit de joie. Mais un instant plus tard, il était revenu à la vie avec la même ardeur que s’il était redevenu jeune. Tous deux rentrèrent à la maison où Laërte prit un bain, s’aspergea d’huiles odorantes et se vêtit d’un magnifique manteau de laine. Ainsi transformé, il s’assit à table avec son invité, en plaisantant et en riant.
Pendant qu’ils se réjouissaient, la nouvelle du massacre s’était répandue dans la ville. Poussé par les familles de ceux qui avaient trouvé la mort, le peuple se rassembla tumultueusement sur la place. Mais ils n’étaient pas tous du même avis : les uns considéraient que ces morts avaient subi une punition bien méritée, les autres criaient à la vengeance. Les plus combatifs de ces derniers étaient dirigés par le père d’Antinoos. Ils s’armèrent de lances, d’arcs et de flèches et allèrent trouver Ulysse dans le domaine de son père.
Ulysse entendit le grondement de la foule qui se rapprochait et sortit armé avec sa poignée de fidèles. Laërte tua le père d’Antinoos d’un coup de lance. Une bataille terrible s’ensuivit et beaucoup de sang fut répandu. Ulysse et ses amis auraient massacré toute la foule si la vois d’Athéna n’avait soudain retenti :
« Cessez de vous battre entre vous, hommes d’Ithaque ! Ne perdez pas vos vies en vain. »
Alors la petite troupe lâcha ses armes et s’enfuit terrorisée vers la ville.
La paix régna enfin sur Ithaque.
Longtemps, Pénélope avait fidèlement attendu son mari, et il était revenu. Ulysse, de son côté, avait mis beaucoup de persévérance à rejoindre son foyer, et il s’y trouvait de nouveau. Le temps passa, et leurs cheveux blanchirent dans une vieillesse ensoleillée.
 

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