30 décembre 2021

Eugène Ionesco : Le Roi se meurt

Ah que coucou !

Voici la première œuvre que j'ai connue d'Eugène Ionesco et qui m'a donné l'envie d'en connaître d'autres ;)... et c'est par celle-là que je termine : dans ma bibliothèque, je n'ai pas d'autres livres d'Ionesco que ces 3 mis en ligne...

Accessible au téléchargement en cliquant ici
Format : pdf
Langue : Français


La mort... les croyances... la religion (oui, aussi ;))... voici le cocktail philosophique que nous propose Eugène Ionesco dans cette œuvre.

Le Roi, c'est Dieu... il commande et l'univers lui obéit. Mais voilà, il a trop profité de la vie, il doit maintenant laisser la place et mourir... car il se fait si vieux qu'il n'a plus la force pour combattre ses ennemis, par exemple, et ceux-ci en profitent pour le voler / spolier... de son royaume il ne lui en reste plus que quelques mètres carrés... de son peuple, il ne lui en reste plus quelques-uns...

Eugène Ionesco nous fait aussi réfléchir ici, en utilisant l'humour par l'absurde, au sens de la vie, pourquoi vivons-nous, qu'est-ce qui nous rattache à la vie...

Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab




28 décembre 2021

Paul Adam : Le Conte futur

Ah que coucou !

Voici un conte à ne pas faire lire aux enfants (tout comme aux âmes sensibles) car on y parle de guerre, sang, mort et il ne s'agit nullement là d'une happy end...

accessible au téléchargement en cliquant ici
Format : pdf
Langue : Français

Philippe est un officier Cornette (c'est-à-dire un "porte-étendard") de l'armée française. Il est très fier d'avoir participer aux guerres coloniales. Il est secrètement amoureux de Philomène, aînée des filles du colonel-gouverneur du Fort dans lequel il est muté.
Mais il sait que Philomène aime plus le Christ que les hommes (elle tiendrait ça de sa mère) et qu'en plus, son père la destine à un autre militaire...
Philomène n'est pas amoureuse de l'homme auquel son père la destine et préférerait, quitte à devoir se marier, épouser Philippe.
Suite aux horreurs commises dans les nouvelles colonies racontées fièrement par les militaires, Francine, cadette de Philomène, tombe gravement malade... ce qui retarde le mariage de sa grande sœur et, pour finir, l'annule quand le futur époux s'aperçoit que Philippe et Philomène s'aiment...
Donc voilà qu'une fois Francine guérie, Philomène épouse Philippe... même si Philippe sait qu'elle l'épouse par "obligation"... mais Philippe l'aime tant qu'il veut que Philomène soit fière de lui et quand la guerre éclate...

Et bien, je vous laisse découvrir la fin de cette histoire...

Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab

26 décembre 2021

Emile de la Bédollière [Scène de la Vie privée et publique des Animaux] : Mémoires d'un Crocodile

Ah que coucou !

Voici ici le récit des aventures qui transportèrent un crocodile des rives du Nil jusqu'au Havre et ce qui advint de lui, sur les terres de notre "Mère Patrie"...

accessible au téléchargement en cliquant ici
Format : pdf
Langue : Français

Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab

25 décembre 2021

Joyeux Noël 2021

Ah que coucou !

En ce jour merveilleux et tant attendu (surtout par nos p'tits amours) je vous souhaite :

un JOYEUX
ET
TENDRE
NOËL 2021 !!!


Que ce jour anniversaire de la naissance de notre Christ vous apporte : Joie, Bonheur, Amour.

Profitez surtout de ceux que vous aimez tant qu'ils sont là...
Profitez pour leur montrer que vous les aimez... et que rien n'est plus précieux, pour vous, que leur Amour...

Bisous,
@+
Sab

24 décembre 2021

Eugène Chavette : La question des Etrennes (Les Annales: Pages Oubliées)

Ah que coucou !

Texte trop court pour en faire la présentation sans plagier l'auteur. Vous le trouverez donc sous ma signature.

Nota: elle est marrante, la chute, hein ;) ?

Bisous,
@+
Sab




En ce moment tout est bruit autour de nous. On se sent étourdi. Mais il est une heure, heure sombre, où l’homme, sorti du vacarme, se trouve seul en présence de cet épouvantable cauchemar qu’on appelle « la question des étrennes ». Alors il reconnaît toute la vérité de cette phrase de Mme de Girardin à propos du premier de l’an :

« En France, nous avons un secret qui n’appartient qu’à nous, un moyen infaillible de changer en supplice tout ce qui doit nous être un plaisir. Notre misérable vanité est parvenue à nous faire de toute chose une agréable torture. D’un don généreux nous faisons un impôt qui accable... »

Nous sommes arrivés à l’instant de la crise aiguë, mais, avouons-le, les premières atteintes du mal avaient été douces. On s’y prêtait même de bonne grâce. – Dès le commencement du mois, on avait déjà préparé une liste dictée par une reconnaissance qui tenait compte des moindres services reçus pendant l’année. Tout s’y payait largement. Une simple tasse de thé devait être soldée par un cadeau de dix louis. Rien ne pouvait être assez beau et, d’avance, on faisait son choix dans ces mille « véritables occasions pour étrennes » que la réclame nous offre avec une richesse de littérature à laquelle je me permettrai de faire un emprunt :

« Infatigable dans sa course, le Temps poursuit sa marche éternelle. L’inflexible vieillard, sourd aux prières comme aux imprécations, s’avance d’un pas égal. Une année de plus va peser sur vos têtes.

» Ah ! puisque la loi éternelle le veut, puisque le Temps est inexorable, empressez-vous d’employer les instants qu’il vous laisse, et tâchez d’oublier, dans les voluptés douces de la générosité, qu’un jour vous devez tomber sous cette faux dont la trempe ferait croire qu’elle sort des ateliers de la maison X, rue…, n°…., si célèbre par sa coutellerie fine pour étrennes. »

Quand on a lu cela, n’eût-on qu’une tante, on ne peut résister au désir de lui offrir des rasoirs.

Tous les cadeaux choisis, notés et cotés (sur le papier, bien entendu), on songe alors à faire l’addition :

« Comment ! quatorze mille francs !! je me serai trompé… recomptons… C’est juste.

» Voyons, ne confondons pas la générosité avec la prodigalité. Elaguons.

» Ah ! dix louis à Mme Aubray pour une simple tasse de thé, c’est de la folie, mettons cinq !… non, le thé était froid, un louis, un simple louis, c’est assez. Chez Brébant on paie la théière pleine trente sous, et, encore, on a du beurre ! – Elaguons, élaguons. – Tiens, un tableau de 20 louis à Rouillard ! où donc avais-je la tête ? il m’invite à dîner, c’est la vérité, mais c’est parce que je découpe à table. Il ne fume pas, un porte-cigare lui suffira, cela lui fournira l’occasion d’avoir des cigares sur lui quand je le rencontrerai. – Elaguons encore. – De quoi ? de quoi ? une fourrure de trente louis à Mme Barillet ! c’était bon du vivant de son mari, mon vieux camarade de collège, mort en juillet dernier. Au premier jour elle se remariera et elle entamera d’autres relations. Remplaçons par un bibelot de soixante francs. – Elaguons, élaguons. »

Il recommence son addition.

« Seize cents francs ! c’est plus raisonnable. Avec le premier chiffre, j’aurais fait rire de moi. Tenons-nous à seize cents francs, c’est une folie utile. »

Cependant le mois de décembre s’écoule jour par jour, mais à mesure que la fatale date s’approche, le martyr des étrennes compose avec lui-même.

Le feu de la générosité s’est éteint, et notre homme marchande avec sa reconnaissance. Il pèse les bienfaits reçus pour en alléger le remboursement :

Il se souvient que sur les neuf dîners de A… il a trouvé huit fois le pot-au-feu.

Chez B…, il songe qu’on affecte de le mettre au tout de la table. On ne l’invite que pour se débarrasser d’un gibier trop avancé.

Son ami D…, en le recevant à la campagne, l’a logé sous les toits, près des chambres de domestiques, tandis que les autres avaient des chambres d’honneur.

Il épluche si bien ses relations que, parmi tous les gens de son intimité, il finit par ne trouver que lui-même de bon, loyal, généreux et dévoué. A mesure qu’il fait ces navrantes découvertes, il élague, il élague, il élague toujours.

« Enfin, me voici à cinq cents francs ! » s’écrie-t-il au commencement de la dernière semaine ;

Il n’a conservé sur sa liste que les indispensables, les parents et les domestiques.

Le 28 décembre, il supprime les indispensables pour leur prouver qu’il est une nature droite et primitive qui sait se soustraire aux puériles exigences d’une civilisation étroite et avide.

Le 29 décembre, il raye les parents. Ceux-là connaissent trop sa position pour ignorer qu’il n’a pas le moyen de donner des étrennes. il ne veut pas les amuser de sa ridicule ostentation. Entre parents, un simple mot qui part du cœur ne vaut-il pas le plus riche bibelot ?

Restent les domestiques.

Ceux-là peuvent dormir tranquilles.

On consent à passer pour ladre, impoli ou ingrat devant ses égaux, mais on tient avant tout à l’estime des domestiques :

« Cent cinquante francs ! allons donc ! ce n’est pas assez, j’aurais l’air de les traiter en camarade ; redressons-nous. »

Il ajoute dix francs à une cuisinière, cent sous à un portier, trois francs à une bonne, etc. etc.

« Là ! Deux cents francs, arrêtons-nous à ce chiffre qui me paraît rond. »

Enfin, le 30 décembre, il s’adresse cette dernière et terrible question :

« A qui vais-je emprunter ces deux cents francs ? »

Car celui qui destinait quatorze mille francs aux étrennes n’a jamais le sou. C’est même pour cette raison qu’il avait poussé jusqu’à quatorze mille francs.

La nuit du 30 au 31 décembre est terrible à passer. Pas de sommeil. Le cerveau travaille pour trouver le moyen de réunir la somme qui fait défaut. Il invente les plus singuliers expédients pour se la procurer, il songe successivement à tous les procédés connus, mais il faut toujours revenir au plus vulgaire, à celui qu’une noble fierté lui faisait écarter, en un mot, à l’emprunt.

« Emprunter ! à qui ? »

Alors il reprend sa liste chargée de ratures et, parmi tous ces noms biffés, il cherche celui de l’ami dont il fera son prêteur.

La revue est accompagnée de commentaires :

« Si je m’adressais à Rouillard ? Après tout, je ne demande pas l’aumône. Il ne fera simplement que prêter… tandis que moi, moi, je l’avais inscrit là pour le don d’un tableau de vingt louis… Le beau rôle est de mon côté. – Ah ! ouiche ! Rouillard prêter ! Il a toujours l’air d’attendre une lettre chargée.

» Si j’allais chez Mme Aubray ? Son thé est exécrable, mais son cœur est excellent. Non, je ne puis emprunter à une dame.

» J’irais bien chez Moras ; mais je me souviens qu’il m’a dit un jour : Quand on veut m’emprunter, non seulement je ne prête pas la somme, mais encore je me fais faire un billet pour les intérêts.

» Bouchet est fort riche ; mais quand on veut lui emprunter,il se met à fondre en larmes en disant : Vous ne m’aimez donc plus ? Pourquoi chercher une cause de brouille entre nous ? Un prêt entre amis, c’est l’éternelle séparation.

» A qui diable vais-je emprunter ? Ah ! Constant ! je l’avais oublié… Il est vrai qu’il n’est pas sur ma liste. Ce cher Constant ! ne m’a-t-il pas répété cent fois : Entre nous la bourse est commune. – Sauvé ! je suis sauvé ! Courons chez Constant. »

Il s’élance, mais en ouvrant la porte il se trouve nez à nez avec Constant qui allait sonner.

« Tiens, c’est toi ?

– Tu sais, vieux, s’écrie Constant, que je t’ai dit souvent : Entre nous, la bourse est commune.

– J’y songeais il y a dix secondes.

– Eh bien ! voici le moment de me le prouver. Peux-tu me prêter vingt francs pour donner des étrennes à mon portier ? »

22 décembre 2021

Jules Vallès : Candidature académique (Les Annales : Pages Oubliées)

Ah que coucou !

Jules Vallès, s'il a laissé une trace dans la politique, est quasi inconnu dans la littérature... seuls sont ceux qui s'intéressent à La Commune qui savent réellement qui il était... Jules Vallès, perso, je n'en avais jamais entendu parler avant d'habiter une rue Jules Vallès... et comme la ville où se situe la dite rue est une ville trop colorée de rouge pour mon goût, j'avoue, je ne me suis jamais intéressée par ce qu'il avait écrit... et aujourd'hui, c'est bien la première fois que je lis un texte de lui...

Et parce que ce texte est dans la catégorie des Pages Oubliées, vous le trouverez au-dessous de ma signature...

Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab




J’ai connu un candidat à l’Académie : il est mort.
Vers 1855, un camarade qui se frottait aux gens de lettres me mit un jour en face d’un homme grand et gros qui, sur un corps de cinq pieds sept pouces, roulait une tête qui paraissait petite et par moment enfantine ; il avait la bouche en cerise, ce géant, et le regard clair et gai d’une fillette, clair et gai quand il avait mangé à sa faim. Cela ne lui arrivait pas tous les soirs.-- Il avait de l’éléphant dans cette dans cette célébrité, de l’éléphant qui est lourd et bon, énorme et espiègle, qui a l’air d’un morceau de fange vivant et en même temps qui a l’oreille frétillante et un petit bout de queue comique. L’homme avec qui l’on m’abouchait avait bien l’aspect pesant et gamin de ces pachydermes qui aiment à cueillir une fleurette comme à déraciner un reflet de la fange qui fait chemise sur la peau de l’éléphant, il paraissait pauvre.
Quoique je ne fusse pas riche, quoique mon acte de naissance ne portât pas plus de vingt-deux ans, quoique je n’eusse pas encore l’ombre d’un nom, je sentis que je pouvais être l’ami et arriverait à être un peu le tuteur de ce colosse qui avait deux fois mon âge et que toute l’Europe littéraire connaissait.
Oui, toute l’Europe littéraire le connaissait : on l’appelait Gustave Planche [(16.02.1808 - 18.09.1857) Critique littéraire et artistique à la Revue des deux mondes. (Source : Bibliothèque nationale de France)].
J’ai raconté ailleurs son existence douloureuse, mais je n’ai jamais raconté une aventure dont nous fûmes tous deux les héros.
J’étais devenu le secrétaire et la béquille de Planche. Je reçus un jour un mot pressé :
J’ai peur qu’au Café du Théâtre-Français on me refuse ce soir le crédit du dîner ; venez avec quelques sous, si vous pouvez.
Gustave Planche.

J’arrivai avec les sous que j’avais – une pièce de deux francs. – C’était une fortune à la fin du mois.
Nous allâmes dîner à nous deux avec ces deux francs, au restaurant le plus voisin, rue Fontaine-Molière. Cela s’appelait, je crois, Restaurant du Petit-Londres ; la maison était tenue par un monsieur Gérard, si j’ai bonne mémoire. Je ne dois pas me tromper, j’ai mes raisons pour cela.
Le repas était à prix fixe : 80 centimes. Pour 80 centimes, on avait droit à deux plats, dont un de viande. Je choisis comme plat de viande un pied de cochon grillé. Mais je n’aime le pied de cochon qu’avec de l’huile et du vinaigre ; je pris l’huilier et me fis une belle sauce. – J’étais en train de verser l’huile en belles gouttes d’or quand Planche me tira tout d’un coup par la manche :
« Il me semble qu’on cause de nous au comptoir ? »
En effet, tout le comptoir avait les yeux sur notre table.
Je voyais qu’on délibérait. La femme avait l’air de dire non, l’homme de dire oui. Le garçon attendait, avec la tête de Lassouche [Jean-Pierre Bouquin de la Souche (9.04.1828 - 29.04.1915) – Acteur de théâtre. – Joua et créa plus de 80 pièces au Théâtre du Palais-Royal. – Dessinateur et auteur dramatique. (Source : Bibliothèque nationale de France)], les cheveux en loup. Planche paraissait très inquiet.
« Il a peut-être tenu un café quelque part, disait-il en faisant mine de s’essuyer ou de se gratter pour tâcher de dévisager le patron à travers les doigts ou sous la serviette. Il me semble le reconnaître. Je lui dois, je crois, dix-neuf francs.
Le pauvre Planche était un galérien de la dette criarde et avait une peur affreuse des réclamations ; quelques-unes l’avaient attendu et assailli à la porte de la Revue des Deux-Mondes. J’avais dû, un jour que j’étais avec lui, étrangler un crémier qui emplissait la rue Saint-Benoit de ses cris. Planche s’ennuyait durant ce temps-là.
Cependant, le comptoir nous regarde toujours.
Pour me donner une contenance, je reprends l’huilier et j’ajoute un peu d’or à ma sauce… Je fais l’autruche, Planche aussi. Nous cachons nos têtes, nous baissons nos fronts, nous mettons du coton aux dents de nos fourchettes, nous ne faisons pas de bruit avec nos dents – nous en avions pourtant soixante-trois à nous deux (c’est à Planche qu’il en manquait une, pas à moi, parole d’honneur !) Je serrais même mon œsophage, si bien que le pied entrait mal : j’étouffais.
Une sueur !…
J’ai vu qu’on se déplaçait au  comptoir ; je l’ai vu sans lever les yeux, car j’ai toujours la figure dans mon assiette, et même de la sauce au bout du nez ; mais je sens approcher un malheur. – On me tape sur l’épaule.
« Monsieur... »
Je fais celui qui sort d’un rêve, qui était dans ses pensées.
« Monsieur, reprend l’homme d’une voix solennelle, que tout le monde entend et écoute autour de nous, on peut bien, pour 80 centimes, donner des pieds de cochon sans huile, mais avec de l’huile, c’est impossible, surtout quand on l’aime autant que ça… »
Il prend mon assiette et la promène sous les yeux des voisins.
« J’en appelle à monsieur, qui est avec vous », dit-il en finissant et en s’adressant à Planche.
Et Planche me lâcha ! Planche eut l’air de dire qu’en effet il y avait beaucoup d’huile ; il indiqua que lui, il avait mangé sec ; il tremblait, il était rouge.
C’est qu’aussi c’était grave ! Si on allait nous demander un supplément ? Nous avions acheté du tabac avant d’entrer ; ayant fait nos comptes, nous devions donner trois sous et trente-deux sous pour le dîner, cela ne fait jamais que trente-cinq sous, dans tous les pays du monde, même sous l’empire ! Nous avions laissé quatre sous à la civette. Il nous restait un sou pour faire les garçons, mais pas pour payer des suppléments !
En une seconde, de même que quand on va mourir on revoit, dit-on, toute sa vie, il me passa dans la tête des images de mercuriale entrevues dans des cours de journaux sur les tables de café. Quel pouvait bien être le cours des huiles ? Avec un sou, le restaurant de Londres serait-il payé de sa sauce ? Si c’était deux sous, nous n’avions qu’un sou à donner au garçon. Si c’était quatre sous, rien. Nous apparaissions pannés, comme mon pied de cochon !
On ne nous demanda pas de supplément. On préféra nous humilier : ils ne s’en privèrent point. Les murmures couraient de table en table ; on parlait de moi : « Si je faisais partout comme cela, je pourrais me régaler à bon compte… Ce sont les plus râpes qui sont les plus gourmands… Encore, moi, j’étais jeune ; mais le vieux (c’était sans Planche) il aurait dû me dire que ce n’était pas délicat… Pourquoi n’apportions-nous pas une petite fiole, pour y mettre de quoi faire notre salade chez nous ? »
Nous partîmes, au milieu de la déconsidération générale.
« Ah ! mon cher, me cria Planche, quand nous fûmes dehors, mon cher, tant pis, je vais faire mes visites ! Ce pied de cochon me décide. Il faut que je sois de l’Académie !
A ce moment-là j’étais déjà contre les Académies, mais la blessure était trop fraîche, le pied trop enfoncé dans mon cœur, pour que je pusse garder mes convictions farouches, et, ma foi, tant pis ! S’il fallait que Planche fût de l’Académie pour que nous pussions manger des pieds de cochon à la sauce, eh bien ! Planche en serait. C’est ainsi qu’on trahit.
Et le lendemain, j’écoutais sans m’indigner Gustave Planche causer avec Sandeau et Mérimée de la caricature au dernier fauteuil vacant. C’était au café du Théâtre Français même, celui où il avait eu peur de n’avoir pas crédit du dîner. Planche avait à côté de lui un garçon qui, ce soir-là, avait l’air très accablé et passait d’un geste tragique son mouchoir sur ses lèvres. C’était moi qui tâchais d’essuyer l’huile de la veille. Elle ne s’en allait pas : c’était la tâche de Macbeth !
Longtemps j’eus le pied de cochon sur le cœur. Planche, lui, avait absolument dit adieu à ses idées d’inflexibilité littéraire. Poursuivi par le souvenir du petit restaurant de Londres, effrayé des terreurs qu’une imprudence à l’huile pouvait accumuler sur deux têtes, quand on n’a pas quatre sous pour payer le supplément dans un restaurant à seize sous, il avait résolu d’être de l’Académie, non pour la gloire, mais parce qu’à l’Académie, on a des jetons de présence qui valent un louis, et que ça fait 1.500 francs au bout de l’année :
« On a bien des pieds de cochon pour 1.500 francs », me disait-il, en me tapant sur le ventre et en souriant, comme un enfant !

20 décembre 2021

Gustave Aymard : La Tour des Hiboux

Ah que coucou !

La Tour des Hiboux est une vieille bâtisse qui se trouve à quelques kilomètres de Cadix (Espagne) où le narrateur décide de s'arrêter afin de se reposer après une soirée arrosée chez un de ses amis...


accessible au téléchargement en cliquant ici
Format : pdf
Langue : Français

Lors d'une réunion entre amis le narrateur estime qu'il ne s'est rien déroulé d'assez fantastique dans sa vie pour la raconter... malgré tout il aborde son séjour en Andalousie, le soir où il rencontra José Maria, célèbre voleur "à la retraite" et remplacé par El Niño. Malgré cette soirée un peu trop "arrosée" et malgré les conseils de son ami Don Torribio, le narrateur s'obstine à vouloir rentrer chez lui... mais voilà, en cours de chemin, trop fatigué pour continuer sa route, il décide de s'arrêter à la Tour des Hiboux où il découvre, dans la grande salle, un feu. Il se doute alors que la Tour n'est pas si abandonnée qu'il le croyait et...
 
Et quoi ? Eh bien je vous laisse le découvrir dans cette nouvelle.
 
Bonne lecture !
 
Bisous,
@+
Sab 

18 décembre 2021

Ernest Legouve : Un roi Lear de village (Les Annales : Pages Oubliées)

Ah que coucou !
 
Texte trop court pour être présenté ici sans risquer de plagier l'auteur. Vous le découvrirez donc au-dessous de ma signature.



Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab


Hier, je suis entré chez le vieillard. Une heure venait de sonner ; le fils était au travail, la fille à ses affaires de commerce. Je trouvai, jouant dans la cour, un petit enfant de cinq ans, à qui je demandai où était le père Boyer. « Il est là », me répondit le petit en me désignant une porte en bois donnant sur la cour. Je l’ouvre : ce n’était pas une chambre, c’était ce que les paysans appellent un fournil, et ce que nous appelons un chenil ! Pas de cheminée, pas de fenêtre, pas de lit ! Pour tout meuble, un escabeau, et sur cet escabeau, courbé en deux, les mains plongées dans ses cheveux en désordre, le corps couvert de haillons, le vieillard qui pleurait !

Le vieillard, au bruit de mes pas, avait levé la tête. Il me reconnaît. Il court à moi, et la face toute ruisselante de larmes : « Oui, monsieur, voilà l’état où ils m’ont réduit ! Tenez, regardez ! voyez ces quatre grosses planches mal clouées ensemble !… c’est mon lit !… Et cela !… s’écria-t-il en retirant la paillasse entassée dans ces planches, savez-vous ce que c’est ?... C’est la litière de leur âne, celle dont il ne veut plus. Eh bien, cette litière infecte, pourrie, pleine encore de fumier, c’est mon matelas, à moi, leur père ! Et cela, encore cela !… reprit-il en m’entraînant violemment au fond de la chambre, et me montrant une grossière écuelle de bois, c’est là-dedans que je mange ! N’accusez pas la Marianne ; c’est ma faute, je suis si maladroit ! Ma vieille main tremble tant ! J’ai laissé échapper l’autre jour une assiette, et je l’ai cassée, il a bien fallu me donner une écuelle de bois comme à un chien. Vous ne voulez pas me croire, je le comprends, c’est si horrible !… Et cependant, vous ne savez pas tout ! Regardez-la, cette écuelle, elle est vide, elle est sèche, car il y a trois jours qu’elle n’a pas servi ! Il y a trois jours que Marianne me refuse la soupe ! Elle ne donne que du pain ! Oh ! ce n’est pas pour cette soupe ! reprit-il d’une voix tremblante de larmes, qu’est-ce que cela me fait ? Je m’en suis bien passé quand j’étais jeune. Mais mon fils, mon fils que j’ai tant aimé ! que j’ai si bien soigné quand il était petit ! Mon Dieu ! qu’il n’ose pas résister à sa femme, je ne le lui en veux pas. Il est faible, c’est moi qui l’ai fait comme cela ; mais il pourrait bien, quand il la sait sortie, revenir de son travail et m’apporter en cachette ce qui me manque ; mais non, il est devenu aussi méchant qu’elle ! Il n’y a qu’une personne qui ait pitié e moi, c’est ce petit que vous voyez dans la cour. il est le dernier ; je ne lui ai jamais rien donné à lui, puisque je n’ai rien depuis qu’il est né. Eh bien ! monsieur… il m’apporte quelquefois la moitié de son souper, le pauvre petit ! Aussi, je l’aime bien ! autant que j’ai aimé son père. Oh ! monsieur, monsieur… s’écria-t-il tout sanglotant et épuisé par cet effort… oh ! un enfant !… un enfant qui ne nourrit pas son père !… ils me tueront ! ils me tueront ! »

Et il s’élança dehors comme un homme qui ne se connaît plus.


*

***


Le père Boyer s’est pendu ! On l’a trouvé accroché dans son fournil, par sa cravate, à une tringle de fer qui traversait une solive. On a essayé en vain de le ranimer, il était mort. La conscience publique s’éveille difficilement dans les campagnes ; mais quand elle fait explosion, elle ressemble à des tonnerres tardifs qui n’éclatent qu’après un long orage ; elle brise tout. On va jusqu’à dire que ce n’est pas le vieillard qui s’est pendu, que c’est son fils qui’ l’a tué ; on parle de présomptions graves, de preuves. Une vieille femme, voisine de Boyer, prétend avoir vu Boyer fils sortir du fournil un peu avant trois heures, c’est-à-dire au moment précis où a dû avoir lieu l’événement. Elle ajoute qu’il était très pâle, qu’il avait les yeux égarés, et qu’il s’est enfui comme un homme hors de lui, du côté des bois. Interrogé à son tour, le petit Boyer, qu’on a trouvé à la même heure jouant à quelques pas de là, a répété exactement ce qu’a dit la vieille.

Le juge d’instruction est venu.

« Pourquoi êtes-vous entré dans le fournil ? à quel moment ? qu’y avez-vous fait ? »

A chacune de ces questions, le misérable, pâle, hébété, balbutiant, ne répondait pas autre chose que :

« Je ne sais pas ! Je ne peux pas dire !

– A quelle place de la chambre était votre père quand vous êtes entré ? était-il suspendu à ce clou ?

– Oui ! Et même, ajouta-t-il avec un accent de terreur sombre, ses pieds qui ballottaient m’ont heurté le front !

– Et vous n’avez pas détaché son corps ?... Vous n’avez pas cherché à le ranimer ? Pourquoi ? pourquoi ?

– Je ne sais pas !… répétait-il chaleureusement. Je ne peux pas dire !…

– C’est vous qui l’avez tué ! répliqua vivement le magistrat.

– Non, monsieur, non !…

– Si ; vous l’avez étouffé d’abord, et vous l’avez pendu ensuite pour faire croire qu’il s’était tué lui-même !

– Non, monsieur le juge ! je vous jure que non ! dit le malheureux avec un peu de force.

– Mais alors, je vous le demande, pourquoi ne l’avez-vous pas secouru ? Il respirait peut-être encore. Il suffisait peut-être de couper la corde pour le sauver ! Si vous n’êtes pas coupable, pourquoi l’avez-vous abandonné ? Répondez !… mais répondez donc, ou je vous déclare coupable, et je vous arrête !

– Je vais répondre ! dit le malheureux d’une voix tremblante. Je me suis sauvé, parce que j’ai eu peur…

– Peur de quoi ? de la vue de la mort ?

– Non ! ah ! non !… j’ai eu peur que si on me trouvait près de son corps, on ne m’accusât de l’avoir tué !…

– Et c’est pour cela que vous l’avez laissé mourir ?... Comment avez-vous pu croire que l’on aurait un tel soupçon ?

– Nous avons été si méchants pour lui, monsieur !... »

Ce mot, si profond dans sa naïveté, nous pénétra d’émotion et de surprise ; quelques larmes, les premières qui jaillirent des yeux de ce malheureux, nous disposèrent à accepter sa déclaration comme vraie. Un témoignage irréfutable acheva de nous convaincre. On nous apporta un papier trouvé dans la paillasse du père Boyer, et qui annonçait sa fatale résolution. Dès lors, Boyer fils était libre de droit.

Il s’éloigna en chancelant, et nous restâmes frappés de ce coup inattendu de la justice divine… Ainsi, voilà un homme qui, à la fois innocent et coupable, a causé peut-être la mort de son père, de peur d’être accusé de cette mort ! Voilà un misérable que la conscience même de son impiété filiale a comme forcé à porter cette impiété jusqu’au crime ! Certes, en entrant dans ce fournil, en voyant le corps de son père se débattre dans les convulsions de l’agonie, il a voulu, il a désiré courir à lui et le secourir, il ne l’a pas pu ! Dieu ne le lui a pas permis ! Pour le punir d’avoir été ingrat, il l’a condamné à être parricide.

16 décembre 2021

P.-J. Stahl [Scènes de la vie privée et publique des Animaux] : Les Aventures d'un Papillon

Ah que coucou !

Voici un petit moment que je n'avais pas mis en ligne des nouvelles tirées du recueil Scène de la vie privée et publique des Animaux... eh bien, avec Noël qui approche, voilà une belle occasion pour continuer la mise en ligne de ces "contes" pour enfants de 0 à 100 ans...

accessible au téléchargement en cliquant ici
Format : pdf
Langue : Français
 
Le Singe et le Perroquet, rédacteur en chef du journal réservé aux animaux, ont reçu par courrier le témoignage d'un Hyménoptère neutre, devenue gouvernante d'un Papillon, suite à la mort de son père et en remerciement parce qu'il lui a sauvé la vie. Elle témoigne donc de la vie de cet être éphémère depuis sa naissance dans un parc parisien jusqu'à son décès à Strasbourg...

Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab

14 décembre 2021

Georges Courteline : Les Linottes

Ah que coucou !

Source : Académie Française, 7e édition

Voici la définition telle qu'elle était, au temps où a été écrite cette œuvre...

Robert Cozal et Stephen Hour composent une opérette qu'ils souhaitent "révolutionnaire" : Madame Brimborio. Au moment où commence cette histoire, seul les 2 premiers actes sont "écrits" (Stephen Hour doit travailler encore la musique) et Robert Cozal estime qu'il peut terminer d'écrire le 3e acte en 8 jours...
Stephen Hour est l'amant d'Hélène, une jeune voyou de Montmartre d'à peine 18 ans qui disparaît régulièrement... A chaque fois qu'elle rentre, elle rapporte à Steph un contrat... Stephen Hour, pour la remercier, la bat souvent... Toutefois, elle semble "ravie" par ces coups... Hélène sait "chanter" et, c'est elle qui interprétera le rôle de Mme Brimborio, contre l'avis de Stephen Hour...
Robert Cozal est un coureur de jupons... à l'heure actuelle sa maîtresse est une certaine Marthe Hamiet, épouse de Frédéric Hamiet, rêveur camelot...
Un jour Frédéric rentre chez lui, ce qui empêche les 2 amants de se retrouver régulièrement... pourtant, Frédéric, lorsqu'il croise Robert Cozal, lui signifie qu'il sait que son épouse est amoureuse de lui et, de ce fait, l'invite chez lui. C'est ainsi que Robert Cozal devient un "intime" et qu'il "raconte" à son nouvel ami Madame Brimborio. Frédéric est si emballé par l'aventure qu'il décide d'y prendre part et, à l'aide des fonds récoltés auprès du Juif Gütlight, achète un théâtre et monte la pièce.

La suite ? vous la connaîtrez en lisant la pièce suivante :

accessible au téléchargement en cliquant ici
Format : pdf
Langue : Français

Cette pièce est aussi disponible sur le site de l'INA sous le lien suivant :


dans laquelle les "compositeurs" sont devenus des "peintres"...

Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab

12 décembre 2021

Agatha Christie : Les Pendules

Ah que coucou !
 
Sheila R. Webb travaille comme sténo-dactylo dans l'agence Cavendish. Cette agence est une société qui propose à ses clients de bénéficier d'une secrétaire pendant quelques heures. Ce 9 septembre après-midi Sheila doit se rendre chez Miss Pebmarsh, institutrice, qui l'a expressément demandée puis elle doit se rendre auprès de Mr Purdy, archéologue.
Quand Sheila arrive chez Miss Pebmarsh, celle-ci est absente, Sheila fait donc ce qu'on lui dit de faire au cas où la cliente n'était pas arrivée encore : entrer dans la maison, et s'installer dans le salon.
Mais voilà que derrière le canapé elle y découvre :
le cadavre d'un homme d'une soixantaine d'années que quelqu'un a poignardé !
C'est à ce moment-là que Miss Pebmarsh arrive...
Sheila s'enfuit de la maison en criant et...

Et quoi ?

Eh bien vous le découvrirez en lisant le roman suivant :

 accessible au téléchargement en cliquant ici
Format : pdf
Langue : Français

Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab

10 décembre 2021

Evgueni Ivanovitch Zamiatine : Le Miracle du Mercredi des Cendres [О чуде, происшедшем в Пепельную Среду]

Ah que coucou !

La maternité assumée par les hommes... certains hommes rêvent de pouvoir enfanter et bien c'est ce qui arrive au chanoine Simplice dans la nouvelle suivante :

accessible au téléchargement en cliquant ici
Format : pdf
Langues : Français & Russe


Le chanoine Simplice, chanoine "favori" de l'archevêque Benoît, joue 1 soir / semaine aux dominos avec le Dr Voïtchek. Malgré qu'ils soient de bons amis, le chanoine hésite à parler au docteur d'une douleur dans l'abdomen qu'il ressent depuis le début août, et c'est quelques jours avant la fin février que le chanoine se décide enfin à aborder ce problème (malgré qu'on lui dise qu'il grossit et que "grossir" à cette époque-là signifiait "être en bonne santé"). Suite à un examen rapide, le docteur conseille au chanoine de venir le voir le mercredi soir, dans l'hôpital où il officie.
Le dit mercredi le chanoine se présente au rendez-vous et, alors qu'il attend, il fait la connaissance d'une femme, mère de 3 enfants, venue à l'hôpital pour accoucher par césarienne...
La suite ?... je vous laisse la découvrir.

Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab

8 décembre 2021

Jules Janin : Une Visite académique (Les Annales : Pages Oubliées)

Ah que coucou !
 
Texte trop court pour le présenter sans plagier l'auteur. Vous le découvrez donc sous ma signature.
 

 
Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab
 

Alfred de Musset s’était paré comme aux plus beaux jours de sa première jeunesse. Il était content de lui-même et des autres, et s’en allait, tout radieux, faire une tournée électorale… académique, veux-je dire. Il avait été déjà le bien reçu par les hommes lettrés de l’Académie, et ces messieurs, étonnés de trouver ce parfait gentilhomme, en avaient été très contents. Bientôt, quittant Paris pour la campagne, il s’arrêtait à quatre ou cinq lieues de Paris, sur le seuil d’un antique château situé dans un lieu magnifique.

Le château d’Etioles était une glorieuse maison, bienveillante et lettrée, où l’ordre et le bon sens et la grande renommée avaient posé leurs tabernacles. Comme il entrait dans la longue avenue, en repassant ce qu’il voulait dire au maître de céans, le poète est abordé par un chien errant qui, trouvant l’homme à son gré, se met à le suivre à tout hasard. O misère ! à peine la porte est ouverte, cette bête immonde entre, et voilà ce bohémien de l’auberge et du grand chemin qui, sans façon, s’installe en un coin, sur le carreau brodé par la petite-fille pour sa grand’mère. Il se faisait si petit que pas un ne l’aperçut.

L’instant d’après, voici venir le maître de céans qui reçoit le poète à merveille. Il n’était pas, non, certes, de ces dédaigneux qui disent aux meilleurs écrivains : « Nous ne lisons plus, nous relisons ». Il était juste et lisait tout ce qu’il faut lire. Il était honnête homme et ne rebutait pas les juvenilia de la jeunesse. Il avait lu tous les vers du poète. « Voulez-vous, lui dit-il, faire un tour dans mon jardin ? » Ils vont au jardin ; ils parcourent le parc séculaire écorné par la Révolution française ; mais le vieillard pardonne à la Révolution, qui donnait la liberté à trente millions d’hommes. Un bel arbre où sa famille est à l’abri des ardeurs de l’été suffit au sage. Ils allèrent ainsi, le jeune homme et le vieillard. Cependant, le chien se prélassait dans le salon. Ce vagabond connaissait la campagne, et de reste ; il eût donné Meudon, Saint-Germain, Bellevue et Saint-Cloud pour un os à ronger.

En devisant, l’heure approchait où toute la famille allait se réunir.

Le vieillard présente le jeune homme à tous les siens qui lui font grand accueil.

Nous comptons bien, disait le châtelain, que M. Alfred de Musset nous fera l’honneur de dîner avec nous ?

Au mot : dîner ! voilà le maudit chien, ce pelé, ce galeux qui relève la tête et s’en vient flatter le maître du logis. Ce galant homme, s’imaginant que cette affreuse bête appartient à son hôte, lui fait à regret une petite caresse. « Il faut avouer que les poètes ont de vilains compagnons », se disait le seigneur d’Etioles. Le poète, de son côté, se disait : « Que vient faire ici ce vilain dogue ? un boucher n’en voudrait pas. »

Le dîner est servi, la dame prend le bras du poète, et le chien suit dans la salle à manger. Timide encore, il s’arrêtait sur le seuil, car c’était l’heure où d’ordinaire on le chassait à coups de pied.

La première honte étant passée, il suivit hardiment le dernier convive, et comme ils étaient gens bien élevés, pas un, de l’aïeule à l’enfant, ne témoigna la moindre surprise de cet hôte effronté. Les domestiques, se réglant sur la réserve de leurs maîtres, ne parurent pas s’apercevoir de l’introduction de cet horrible animal, déchiré aux deux oreilles, velu, crotté, pelé, avec un reste de gale au museau.

Bientôt… comme il vit que les bâtons le laissaient au repos, au contraire, enhardi par la bonne réception et par la bonne chair, et comprenant confusément qu’il y avait en tout ceci un quiproquo dont il devait profiter, cet hôte immonde envahit la salle à manger. Il se frôlait contre la vieille dame, et, d’horreur, la vieille dame laissait tomber, dans cette gueule horrible l’aile de poulet qu’elle portait à sa bouche. Il aboyait à l’enfant qui, de ses belles dents fraîches, allait mordre à sa pitance, et l’enfant se laissait dérober son dîner. Que vous dirai-je ? il n’y avait plus ni repos, ni sécurité pour personne en cette salle ou régnaient, naguère, la grâce affable et la charmante bonne humeur, si faciles à ces antiques maisons.

Seul, le bouledogue effronté régnait sur les convives, étrange roi de ce festin ! Il mangeait le pain, il buvait la viande, il aboyait… il hurlait si quelque victuaille excitait son insatiable voracité.

Au moment où l’on apportait sur un plat d’argent le rôti cuit à point, l’affreuse bête, en grognant, s’empara du rôti et disparut… « Voilà un chien de bon appétit ! », dit M. de Saint-Aulaire avec un léger soupir.

Vous pensez si l’aimable et douce causerie était dérangée par cette bête féroce ; le vieillard restait muet, le poète était interdit ; jamais repas si triste au château d’Etioles ! Et lorsqu’enfin on se leva de table, ô misère ! ô malheur ! ce parasite affreux, pour montrer sa joie, renversait un plateau de la plus belle porcelaine aux armes de Mme la duchesse du Maine ; ce chef-d’œuvre avait aussi appartenu à M. de Malézieux. « Ah ! ma tasse ! Hélas ! mon sucrier, ma soucoupe ! » Et voilà toute cette famille au désespoir, ramassant quelqu’un de ces débris précieux.

Rentré au salon, le chien vainqueur, voyant sur le canapé une mantille en dentelle noire, sauta sur la mantille et fit : « Ouf ! ah ! respirons enfin ! » Le drôle est endormi. Cette fois, le poète était perdu, bien perdu, sans un rayon d’en haut qui l’éclaira. « Monsieur le comte, s’écria-t-il, et vous, mesdames, avez-vous donc pensé que cette bête affreuse était à moi ? Et moi, stupide, je l’ai prise pour le chien de la maison ! » Un soupir d’allégeance, à cette nouvelle un peu tardive, s’exhala de ces poitrines oppressées. « Comment donc, monsieur de Musset, reprit le seigneur d’Etioles avec un charmant sourire, il est donc vrai que cette horrible bête n’est pas à vous ? »

Et, d’un geste, il ordonnait au maître d’hôtel de mettre à la porte ce mendiant fougueux. Pensez donc si le maître à l’instant fut obéi ! Réveillé en sursaut, le chien regardait tous ces gens d’un œil hagard, et ne comprenant pas comment, après tant de politesse, on le pouvait traiter avec ce sans-gêne. Aussitôt qu’il eut compris qu’il fallait déguerpir, il prit la fuite, à la façon des parasites, sans honte et sans vergogne. On les chasse, ils se consolent en songeant qu’on pouvait les chasser avant le dîner.

Délivrés de cet hôte incommode, et toute chose étant remise à sa place accoutumée, il advint que les habitants de cette maison retrouvèrent bientôt leur bonne grâce et leur sang-froid de tous les jours. Tout reparut, l’à-propos, l’enjouement, le bel esprit reprirent bien vite leur toute-puissance.

Enfin, le sourire et le rire éclatant se montrèrent de nouveau dans cette troupe heureuse de jeunes femmes et d’enfants jaseurs, pendant que le poète, à l’aise enfin dans cette hospitalière maison, s’abandonnait volontiers à son inspiration naturelle, se voyant écouté et compris.

Quand Alfred de Musset eut pris congé de son hôte illustre : « Il a bien fait, disait le vieillard, de n’être pas le propriétaire de ce triste animal ! En dépit de toute sa poésie, il n’aurait jamais eu ma voix… Et voilà à quoi cela tient ! et comme on est juste chez nous ! » disait-il en souriant.