28 novembre 2012

Mythes et légendes de la Grèce antique : Jason et Médée


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Ah que coucou !
 
Il y avait une fois en Grèce un vieux roi qui mourut en laissant deux fils. L’aîné s’appelait Æson et le plus jeune Pélias. Le premier devait succéder au défunt roi. Or, à peine les lamentations funèbres s’achevaient-elles, à peine le corps du souverain finissait-il de se consumer sur le bûcher, que le cadet, cruel et rusé, détrôna Æson et le chassa de la ville.
Celui-ci vécut dès lors à la campagne mais là non plus il ne pouvait trouver la paix : il craignait pour la vie de son fils, Jason. Aussi imagina-t-il de simuler l’enterrement de son fils comme s’il était mort, pendant qu’en secret il l’envoyait dans les montagnes chez un sage et noble centaure.
Les centaures étaient moitié hommes, moitié chevaux : la tête et les épaules étaient celles d’un homme, le reste du corps était celui d’un cheval, avec quatre jambes et des sabots. Celui dont il est présentement question, Chiron, était fort et sage, et il avait déjà élevé plus d’un héros grec.
Jason vécut avec lui dans une grotte et s’habitua bientôt aux montagnes et aux forêts. Il apprit à se battre, à courir, à tirer à l’arc et il s’imprégna aussi de la sagesse de son maître.
Son corps et son esprit furent également entraînés, et lorsqu’il eut atteint vingt ans, il quitta sa retraite pour aller réclamer au roi Pélias le trône volé à son père, qui entre-temps était mort.
Sur son chemin, Jason rencontra une rivière en crue au bord de laquelle pleurait une petite vieille toute bossue :
« Oh voyageur, sois assez bon pour me porter de l’autre côté. Tu es jeune et fort, moi je suis vieille et faible. »
Comme il avait bon cœur, il la prit dans ses bras et la fit traverser le courant. En atteignant l’autre rive, son pied s’enfonça profondément dans la vase. Il ne s’aperçut qu’il lui manquait une sandale que lorsqu’il fut revenu à son point de départ.
Mais il ne perdit pas de temps à la rechercher et se hâta vers la ville. Pendant ce temps la vieille avait disparu, sans qu’il se doutât qu’elle était la déesse Héra, femme du roi des dieux, Zeus. Elle s’était ainsi transformée pour éprouver la bonté de Jason. Charmée par sa gentillesse, elle décida de le protéger dorénavant au cours de ses voyages.
A moitié chaussé, vêtu d’une peau de panthère et tenant une lance dans chaque main, le jeune homme arriva dans la cité. Il vit des gens assemblés sur la place du marché pour préparer des fêtes en l’honneur de Poséidon. A la vue de ce beau héros au visage de dieu, ils se dirent qu’une divinité était descendue parmi eux se joindre aux festivités.
Seul Pélias fut terrifié, quand il eut remarqué que l’arrivant n’avait qu’une seule sandale. il s’était souvenu d’une vieille prédiction qui le mettait en garde contre un homme au pied nu qui causerait sa perte.
Habitué à la ruse, le roi cacha son émoi et demanda :
« Qui es-tu, étranger, et que cherches-tu dans notre ville ? »
« Je suis le fils Æson », répondit Jason, « et je viens te voir, ô roi ! Je ne veux pas te retirer les richesses que tu as prises à mon père, je veux seulement que tu me rendes le trône qui me revient ».
« Je serais heureux de satisfaire ta demande », répondit Pélias sans hésiter, « mais je voudrais que tu me rendes un service : si je n’étais pas si vieux, je ferais cela moi-même. Voici de quoi il s’agit : chaque nuit, l’ombre de notre parent Phrixos m’apparaît et me demande d’aller en Colchide chez le roi Aiétès pour lui reprendre la Toison d’or. Son âme ne peut trouver la paix tant que la Toison ne sera pas revenue dans sa terre natale. Va, rapporte-la. Tu deviendras célèbre et notre mort trouvera le repos dans sa tombe. Ta mission accomplie, je te céderai le royaume. »
Le jeune homme acquiesça, car il ne savait pas quel danger il courait. Quant au fourbe souverain, il sourit à l’idée de se débarrasser, grâce à sa ruse, de cet encombrant prétendant.
Jason envoya des messagers à travers tout le pays afin de rassembler les plus valeureux héros de Grèce pour aller chercher la Toison d’or. Les plus braves se joignirent à lui : Héraclès et Thésée étaient parmi eux. Même Orphée, l’aède, répondit à l’appel. Un constructeur expérimenté leur construisit un solide bateau. Ils l’appelèrent l’Argo, et prirent pour nom : les Argonautes.
Avant leur départ ils offrirent un grand sacrifice au dieu Poséidon et à toutes les divinités de la mer, puis ils s’embarquèrent. Cinquante rameurs tiraient sur les rames, et bientôt le port fut hors de leur vue.
Ils naviguèrent sur des mers inconnues, ils contournèrent des îles et des pays étrangers. Profitant d’un vent favorable, ils hissèrent la voile et le bateau glissa en avant. Lorsque le vent tomba, ils ramèrent avec énergie, la sueur coulant de leur front.
Ce voyage était semé d’embûches. Parfois, de grandes rafales couchaient le bateau. Ils dérivèrent sous des tornades au milieu du tonnerre et des éclairs. Des géants diaboliques, assis sur les côtes qu’ils longeaient, jetaient des rochers dans leur sillage au point que des vagues immenses balayaient le pont.
Mais la déesse Héra veillait sur Jason. Son aide, le courage des héros et les flèches d’Héraclès eurent raison des mauvais sorts. Ce dernier, rappelé par Zeus pour d’autres tâches, quitta les Argonautes.
Le bateau navigua longtemps. Pourtant le but de leur voyage était encore loin. Le soleil devint de plus en plus cuisant, les Argonautes connurent la soif et n’eurent bientôt plus d’eau à boire. Aussi abordèrent-ils à la côte la plus proche. La plage était rocheuse et inhospitalière. Quelques marins partirent à la recherche d’une source. Lorsqu’ils revinrent, ayant rempli leurs outres, pour étancher la soif de leurs camarades, une maigre et sinistres silhouettes s’approcha d’eux. C’était un vieil aveugle, trébuchant parmi les galets, un bâton à la main. Il tomba épuisé sur le sol devant les héros qui se précipitèrent pour le relever.
« Je suis Phinée, » dit le vieillard d’une voix chevrotante. « Les dieux m’avaient donné le don de voyance et j’ai mal utilisé ce don. Regardez-moi : voilà comment punissent les immortels ! La déesse de la vengeance m’a privé de la vue et chaque jour les Harpies viennent arracher la nourriture de ma bouche. Peut-être êtes-vous justement ceux qui doivent, selon la prophétie, me délivrer de ma souffrance et de ma faim. »
Les Argonautes avaient entendu parler du terrible destin du roi Phinée. On le chantait dans toute la Grèce ; aussi promirent-ils de l’aider. Une petite écuelle fut remplie de viande grillée et offerte à l’aveugle. Mais à peine avait-il approché un morceau de ses lèvres que l’on entendit le battement des ailes des Harpies, bêtes hideuses aux têtes de vieilles femmes et aux corps de vautours. Elles tendirent leurs serres crochues pour voler les victuailles offertes au malheureux.
Les marins crièrent sans les effaroucher. Ce n’est qu’à la vue des glaives nus qu’elles prirent peur de ces lames étincelantes. Elles s’enfuirent et ne revinrent jamais plus.
L’infortuné vieillard pu enfin se rassasier. Il mangea goulûment et remercia ses libérateurs avec effusion. Pour les récompenser, il leur dit aussi ce qui les attendait dans les jours à venir et les conseilla pour la suite de leur voyage.
« Vous atteindrez bientôt deux énormes rochers, » leur dit-il. « Ce sont les Cyanées, ou Roches bleues. Elles ne sont pas fixées au fond de la mer et dérivent en se heurtant fréquemment. Entre elles, vous seriez écrasés comme des grains de blé. Ne passez pas entre elles avant d’avoir lâché une colombe. Si elle passe au milieu, tirez sur les rames et suivez-la rapidement. Puis dirigez-vous droit vers l’Est : c’est là qu’est Colchide. Vous reconnaîtrez facilement le palais d’Aiétès : il est couronné par plusieurs tours. Près de ce palais vous trouverez un bosquet dédié au dieu de la guerre Arès, et dans le bosquet vous verrez le gardien du trésor : le dragon qui ne dort jamais. Votre tâche sera périlleuse, mais la déesse Héra vous protège, et, si le pire survenait, Aphrodite, la déesse de l’amour, vous aidera. »
Le vieil homme se tut et son regard aveugle se fixa au loin, comme s’il voyait à l’horizon les tours du palais d’Aiétès et la futaie où la toison merveilleuse jette des éclats dans le ciel bleu.
Les navigateurs dirent adieu à Phinée et s’embarquèrent. Leurs efforts vigoureux les amenèrent bientôt en vue du royaume d’Aiétès.
Quelques instant après, ils entendirent au loin un fracas épouvantable. A leurs yeux apparurent les deux gigantesques roches, les Cyanées. Elles se heurtaient avec un bruit assourdissant, tandis que les vagues s’écrasaient contre le bateau des Argonautes. Les hardis marins immobilisèrent le vaisseau qui tanguait fortement, et lâchèrent une colombe. Les montagnes s’écartèrent et la colombe disparut entre elles. Puis elles se heurtèrent à nouveau, résonnant comme le tonnerre, et lorsqu’elles se séparèrent, les hommes virent l’oiseau qui battait gaiement des ailes de l’autre côté des rochers.
La colombe volait en direction du rivage le plus proche, celui de la Colchide. Comme preuve de son passage, il ne restait sur la mer qu’un petit tas de plumes arrachées à sa queue.
Nos héros tirèrent vivement sur les rames et le vent rageur les poussa dans le défilé. Ils mirent toutes leurs forces à échapper au danger. Déjà les Cyanées se précipitaient l’un vers l’autre, soulevant une énorme lame au sommet de laquelle oscillait l’Argo.
Les rameurs firent un effort désespéré et le bateau glissa de la vague. Ils étaient sauvés : derrière eux retentit un bruit effrayant. Dans l’épouvantable collision, seul leur gouvernail perdit son ornement.
Une mer tranquille s’étendait à nouveau devant eux. Ils poussèrent tous un soupir de soulagement, conscients d’avoir retrouvé la vie à deux pas des grilles du royaume des morts.
Mais avant d’atteindre la Colchide, ils rencontrèrent des compagnons inattendus. Quatre jeunes gens vêtus de haillons les appelaient de la plage d’une petit île abandonnée. Les Argonautes s’approchèrent et Jason débarqua, suivi de quelques hommes.
« Braves gens, aidez-nous ! » cria un des loqueteux, « nous avons fait naufrage et les vagues nous ont rejetés sur cet îlot désolé. »
« Soit, » répondit le héros, « mais qui êtes-vous et où devons-nous vous mener ? »
« Vous avez sûrement entendu parler de Phrixos, qui arriva en Colchide sur le bélier d’or. Le roi Aiétès lui donna pour femme Chalciope sa fille. Nous sommes les fils de Chalciope et de Phrixos. Notre père est mort et notre mère vit chez le roi Aiétès. Nous sommes partis en mer, la tempête nous a surpris et a fracassé notre bateau. »
Leurs ancêtres étant communs, Jason se réjouit vivement de pouvoir aider ses parents dans l’embarras. Il les invita à bord de l’Argo puisqu’ils allaient tous au même endroit, et il leur expliqua qu’il allait chercher la Toison d’or.
Les fils de Phrixos s’effrayèrent et tentèrent de dissuader les héros grecs de donner suite à leur projet.
« Aiétès est cruel », dirent-ils. « Il est aussi très puissant. Il gouverne un grand peuple et ne voudra pas livrer son trésor. »
Mais les vaillants navigateurs ne se découragèrent pas : ils savaient déjà que la tâche serait difficile et ils étaient résolus, en cas de refus du roi, à obtenir par la force l’objet de leur convoitise. Les fils de Phrixos furent vêtus de neuf, et ils voguèrent en compagnie des héros vers les côtes de Colchide. Nuit et jour les rames fendaient la mer.
Lorsqu’ils étaient sur le point d’atteindre le but de leur voyage, ils entendirent soudain au-dessus de leurs têtes le battement d’ailes gigantesques. C’était l’aigle qui volait vers le Caucase pour se repaître du foie de Prométhée. L’air était tellement agité que les voiles se gonflèrent et que le bateau fila de plus belle. Bientôt, les Argonautes entendirent les gémissements de la victime enchaînée. Lorsque l’aigle revint, les soupirs s’arrêtèrent. Le soleil fut un moment caché par l’ombre de l’oiseau qui survola le bateau et disparut à l’horizon.
Vers le soir la côte fut en vue. Les tours du palais se détachaient sur le ciel rougi par la lueur du soleil couchant. Fatigué par leur voyage, les héros jetèrent l’ancre et s’endormir.
Le lendemain, dès qu’Hélios fut monté dans son char d’or, Jason rassembla ses hommes pour les consulter. Ils décidèrent qu’il irait d’abord voir Aiétès, accompagné de deux hommes et des fils de Phrixos, pour essayer de convaincre amicalement le roi.
Sitôt dit, sitôt fait. Ils débarquèrent, allèrent en ville jusqu’au palais royal. Dans la cour, ils virent les quatre fontaines merveilleuses qui répandaient des flots de lait, de vin, d’huile et d’eau. Ce prodige les stupéfia, tout comme il avait stupéfié Phrixos bien des années auparavant.
Les arrivants rencontrèrent d’abord Médée, la fille cadette du roi, qui poussa un cri de surprise. A son appel accourut Chalciope qui ouvrit les bras à ses fils et les embrassa joyeusement. Aiétès sortit aussi pour accueillir les visiteurs et leur offrir l’hospitalité. Médée les suivait comme une ombre et ne pouvait quitter Jason des yeux : au premier regard, elle était tombée amoureuse du beau jeune homme au visage de dieu et parvenait à peine à cacher son émoi. Pourtant personne ne le remarqua, tant le palais était agité. Les serviteurs apportaient des plats sur les tables, pendant que les héros buvaient et mangeaient. Durant le repas, les rescapés racontèrent leurs malheurs à leur grand-père, ainsi que la façon dont ils avaient été sauvés. Lorsqu’ils eurent fini, le roi leur demanda à voix basse qui étaient ces étranger. L’un des frères lui murmura :
« Ils sont Grecs, c’est Jason qui les conduit. Ils sont venus en Colchide pour que vous leur donniez la Toison d’or de notre père Phrixos. Un usurpateur s’est emparé du trône de Jason et ne le lui rendra que lorsqu’il sera en possession de votre trésor. Il espérait que Jason périrait au cours du voyage, ou que vous le tueriez. Les héros les plus braves l’accompagnent. Leur navire a jeté l’ancre devant notre côte. »
A ces mots, Aiétès rougit de colère et s’exclama :
« Vous pouvez remercier les dieux que je vous aie déjà acceptés sous mon toit comme des invités, sinon je vous aurais déjà fait mettre à mort. Vous venez réclamer la Toison, prétendez-vous, mais en réalité vous convoitez le trône de Colchide. Je n’avais pas encore compris que j’étais assis à côté de tels gredins. »
Les Grecs se levèrent, prêts à répondre sur le même ton abrupt. Mais leur chef les calma et répondit tranquillement :
« Pardonne-nous, ô roi. Nous ne sommes pas venus chez toi en voleurs, nous avons obéi aux ordres de notre souverain. Si tu nous donnes ce que nous voulons, nous sommes prêts à te prouver notre gratitude. En cas de guerre nous serons tes alliés, et si tu as besoin d’hommes forts et de glaives acérés, nous t’offrons nos bras et nos armes. »
Aiétès, le front soucieux, écouta la déclaration de Jason tout en se demandant comment il pourrait se débarrasser de ces gêneurs.
Il retrouva son sang-froid et dit :
« Pourquoi tant de paroles ? Si vous êtes des héros aussi braves que vous le prétendez, vous pouvez emporter la Toison d’or : j’aime la bravoure. Mais il faudra d’abord que vous la prouviez. J’ai deux taureaux aux sabots d’airain et dont les narines crachent le feu. Ils ont l’habitude de labourer nos champs. Dans les sillons je plante des dents de dragon dont jaillissent ensuite des guerriers. Je me bats avec eux. Le matin, je prépare la terre, et le soir je me repose après mon combat victorieux. Si tu peux faire aussi bien que moi, Jason, tu regagneras ta patrie avec le trésor. »
« Je n’ai pas le choix », répondit Jason, « je sais que l’épreuve que tu m’imposes est périlleuse, mais je ne peux pas rentrer chez moi sans la Toison ».
« Comme tu voudras », dit le roi, « mais il serait plus sage pour toi de renoncer à cette tâche et de quitter notre pays. »
Jason se leva de table et sortit du palais. Il alla raconter aux Argonautes l’accueil du roi et les conditions qu’il avait posées.
A une fenêtre du château, un visage voilé se profilait. Le regard de Médée suivit Jason jusqu’à ce qu’il ait disparu entre les vieux arbres du parc royal. Dans sa solitude, elle se mit à pleurer : elle avait pitié du jeune héros et se demandait si elle pouvait l’aider contre son père ou si elle devait l’abandonner à son destin.
Pendant ce temps, Aiétès avait appelé en consultation le conseil des sages de Colchide. Ils discutèrent sur la façon d’exterminer les étrangers et décidèrent que, dès que les taureaux auraient tué Jason, des hommes iraient mettre le feu au navire. Ceux qui ne seraient pas brûlés sur le bateau seraient massacrés sur la plage.
Inquiets sur le sort de leurs sauveteurs, les fils de Phrixos allèrent trouver leur mère Chalciope. Ils la supplièrent d’intercéder auprès de Médée, car elle seule pouvait aider le jeune héros : elle connaissait la magie capable d’empêcher un homme d’être blessé par le feu ou par les armes. La mère ne put résister aux supplications de ses fils et promit de parler à sa sœur.
Cette nuit-là, Médée fit un mauvais rêve : elle rêva qu’elle avait triomphé des taureaux et était victorieuse dans le combat contre les guerriers nés des dents de dragon. Mais Aiétès ne voulait pas donner la Toison à Jason, car il ne l’avait pas gagnée lui-même. Ils se querellèrent et Médée donna raison à Jason contre son père. Aiétès poussa un cri de souffrance et le songe prit fin.
Horrifiée, elle courut chez sa sœur. La crainte d’un malheur avait réuni les deux femmes. L’une craignait pour Jason, l’autre pour ses fils. Le roi haïssait les enfants de Phrixos, qu’il croyait alliés aux Grecs contre lui. Si un châtiment devait frapper les étrangers, il n’épargnerait pas les quatre frères.
« Aide-les par quelque sorcellerie, » pria Chalciope, « afin que Jason gagne cette terrible bataille : sa victoire sauvera ma famille ».
La plaidoirie de sa sœur ne fit que confirmer Médée dans son secret dessein d’aider celui qu’elle aimait.
C’est ainsi que s’accomplit la prophétie de Phinée disant que la déesse de l’amour, Aphrodite, aiderait les héros.
« Ne crains rien », répondit-elle, « ta vie et celle de tes fils me sont aussi précieuses que la mienne. J’aiderai les étrangers. »
La nuit tomba des montagnes du Caucase ; les Argonautes s’endormirent et seul leur chef resta éveillé.
Il se promenait sur la plage en songeant au combat. Soudain, il entendit dans l’obscurité un bruit de pas. Prudemment, il se saisit de son épée. Dans la faible lumière tombant des étoiles les silhouettes des fils de Phrixos se dessinèrent. Ils lui apportaient de bonnes nouvelles de la part de leur mère Chalciope : demain, au lever du jour, Médée attendrait Jason dans un temple situé un peu à l’écart, pour lui remettre un onguent magique.
Celle-ci passa une nuit agitée : « Est-il bien que je me dispose à aider un étranger contre mon propre père ? Ne vais-je pas encourir la malédiction de tout mon pays ? » Son courage revint avec l’aube. Elle dissimula sous ses vêtements une coupe d’huile merveilleuse, et se hâta vers le lieu du rendez-vous.
Lorsqu’elle aperçut la sombre silhouette du héros dans la faible lumière du matin, elle eut un mouvement de recul.
« Pourquoi as-tu peur de moi ? » dit-il avec douceur. « Ne crains rien, je suis venu chercher l’aide que tu m’as promise et je ne sais vraiment pas comment te remercier. »
Médée sourit timidement en lui tendant son présent et ils restèrent silencieux jusqu’à ce qu’elle se décidât à parler :
« Jason, » dit-elle, « il y a un onguent dans cette coupe. Mets-en sur tout ton corps et ni le feu ni les armes ne pourront t’atteindre. Il recèle la force qui te rendra aussi courageux qu’un dieu immortel. Cet effet ne durera qu’un seul jour, puis il disparaîtra. Aussi ne dois-tu pas remettre le combat. Je vais te donner un ultime conseil : après que les dents de dragon aient donné naissance aux guerriers, jette au milieu d’eux une lourde pierre. Ils se précipiteront dessus comme des chiens sur un morceau de viande. Ton épée aura alors une tâche facile. Tu obtiendras la Toison et pourras alors quitter la Colchide. »
Tandis qu’elle parlait, des larmes ruisselaient le long de ses joues.
« Dans ton pays, au loin, souviens-toi de Médée. Moi aussi je serai heureuse de penser à toi. »
« Jamais je ne t’oublierai, » répondit le jeune homme, « et si tu veux quitter la Colchide et me suivre dans ma patrie, tous chez moi t’adoreront comme une déesse et rien sauf la mort ne pourra nous séparer ».
Les paroles de Jason causèrent une grande joie à celle qui rêvait de quitter la Colchide et de s’embarquer pour la Grèce en compagnie du héros. Ce fut à contrecœur qu’elle se sépara de lui, mais, déjà, le soleil brillait dans le ciel.
Coiffé d’un casque d’or, portant un lourd bouclier, le roi Aiétès se rendait à l’endroit convenu, suivi d’une grand foule, curieuse de voir son intrépide adversaire.
Pendant ce temps le héros se baignait et massait son corps avec l’onguent magique. Ses bras devenaient d’une force surhumaine, et sa poitrine se gonflait d’un immense courage. Il était impatient de commencer l’épreuve.
Jason se fit débarquer par les Argonautes devant le champ en bordure duquel se pressaient les spectateurs. Il sauta du bateau, une épée à la main, et ce fut le silence.
Soudain, deux gigantesques taureaux s’échappèrent d’une caverne souterraine. Leurs sabots d’airain fouillaient le sol et leurs narines crachaient des flammes et de la fumée. Tête baissée, ils se précipitèrent sur l’homme. Mais celui-ci, le bouclier levé, parait leurs attaques comme s’il était planté en terre. De plus, protégé par l’onguent magique, il restait insensible au feu. Les Grecs, anxieux, retenaient leur respiration. Tout à coup, il rejeta ses armes, attrapa par les cornes les animaux déchaînés, et, avec une force inouïe, posa le joug sur eux. Attelés à la charrue, ils refusaient de bouger. Le héros saisit alors sa lance et, les en menaçant, les força à labourer.
La terre craqua et de profonds sillons s’ouvrirent dans le champ. Lorsqu’ils eurent fini leur travail, les taureaux furent détachés et ils regagnèrent leur caverne. Un esclave apporta en courant un casque rempli de dents de dragon. Le jeune homme les planta, puis il rejoignit se amis pour se reposer, apaiser une soif cruelle et reprendre des forces avec un solide repas. Les guerriers commençaient déjà à poindre, comme le blé vert au printemps. Mais, au lieu de tiges, c’étaient des lances, des glaives, des boucliers, des casques, des visages de pierre et des bras musclés qui apparaissaient. Le champ se remplit d’hommes armés.
Protégé par son bouclier, Jason lança à toute volée une pierre au milieu de la troupe hostile. Instantanément, tous s’entassèrent autour et se mirent à se battre. Lorsque le combat fut à son paroxysme, Jason se précipita et faucha les guerriers comme de l’herbe haute. Bientôt les sillons se remplirent de cadavres. Seul un homme se tenait droit au milieu du champ, et cet homme, c’était Jason. La sueur coulait de son front, mais ses yeux brillaient : il était victorieux.
Fort en colère, le roi Aiétès rentra chez lui sans dire un mot. Il était sûr que Médée avait aidé le jeune homme et projetait de la punir sévèrement pour cette folie. Il convoqua en toute hâte l’assemblée des sages pour décider du sort des Argonautes.
Pendant ce temps, la nuit avait succédé au jour. La délibération secrète se prolongeait. Quant à Médée, elle arpentait sa chambre, l’anxiété au cœur. Elle soupçonnait son père de préparer un piège aux étrangers. Finalement, après avoir ouvert les grilles du palais par une formule magique, elle s’enfuit sans être vue. Sur la plage, les navigateurs célébraient autour d’un feu la victoire de leur chef. La lumière permit à la jeune fille de les trouver.
« Sauvez-vous ! Sauvez-moi aussi ! » s’écria-t-elle, « mon père s’apprête à vous exterminer. J’obtiendrai pour toi la Toison d’or, Jason. Promets-moi seulement que tu ne me quitteras jamais. »
« Les dieux en sont témoins », répondit celui-ci ; « je te ramènerai dans ma patrie et tu seras mon épouse ».
Médée monta à bord du bateau qui dériva jusqu’en face du taillis où se trouvait le trésor, suspendu à un vieux chêne. La lumière qu’il répandait rejaillissait sur le sommet des arbres avec un éclat comparable à celui de la lune.
Médée et Jason débarquèrent promptement. Le dragon entendit leurs pas et toutes les feuilles du bosquet tremblèrent lorsqu’il se mit à siffler. La magicienne s’approcha de lui en le berçant de ses chants. Elle toucha sa tête avec une herbe ensorcelée. De la tige tombèrent quelques gouttes d’un liquide narcotique. La bête ferma ses yeux, puis ses mâchoires, et enfin s’endormit pour la première fois depuis de nombreuses années. Alors Médée fit un signe à son compagnon qui alla décrocher la peau du bélier. Ils la rapportèrent joyeusement sur le bateau où leurs compagnons leur firent un accueil triomphal. La Toison les laissa songeurs ; chacun voulut la toucher. Mais comme il était imprudent de s’attarder, ils tirèrent sur les rames et gagnèrent la pleine mer.
Aiétès découvrit bientôt le vol commis par les Grecs ainsi que l’absence de Médée. Il se hâta vers le rivage, accompagné de son fils Absyrtos et d’une foule de Colchidiens, mais ils arrivèrent juste à temps pour voir s’éloigner le sommet du mât et un morceau de la voile, qui disparurent à l’horizon.
Fou de rage, le roi ordonna à ses guerriers de s’embarquer sur les bateaux les plus rapides, sous le commandement de son fils Absyrtos.
La flotte royale partit à la poursuite des Argonautes à la vitesse du vent. Elle parvint à les dépasser et leur barra le chemin. Médée fut priée de descendre à terre, sur l’île de la déesse Artémis dont le souverain devait servir d’arbitre pour savoir si elle devait retourner chez son père ou poursuivre sa route.
La jeune fille se lamenta sur son sort lorsqu’elle sut qu’un roi inconnu serait son juge. Elle avait peur que les Grecs l’abandonnent.
« Je ne te laisserai pas ici », dit Jason, « mais sans quelque ruse nous ne pouvons échapper à ce piège. Tous les peuples de cette côte sont les alliés du roi de Colchide et ils ne nous permettront pas de nous enfuir. Si nous pouvions supprimer le commandant de la flotte, Absyrtos, celle-ci ayant perdu son chef serait désemparée et nous aurions une chance de nous sauver ».
Médée dut se décider :
« Je ne peux revenir en arrière », pleura-t-elle, « je dois achever mon œuvre destructrice. Je pense que la trahison que j’ai commise et celle dont je vais maintenant me rendre coupable retomberont un jour sur ma tête, mais maintenant je ne puis reculer. J’arrangerai un rendez-vous secret avec mon frère et te le livrerai ».
Médée tint parole : elle fit savoir à Absyrtos qu’elle désirait le rencontrer de nuit sur l’île d’Artémis afin d’élaborer un plan pour reprendre la Toison d’or. Celui-ci ne soupçonna pas le piège. Il débarqua sur l’île, accompagné d’une escorte peu nombreuse.
Pendant qu’il parlait à sa sœur, Jason jaillit d’un buisson proche, un glaive à la main. Médée poussa un cri et se détourna. Absyrtos tué, les Argonautes entourèrent ses compagnons et les massacrèrent.
Avant que la flotte venue de Colchide se ressaisisse, ses ennemis avaient gagné le large. Craignant la colère d’Aiétès, les soldats ne retournèrent pas en Colchide et s’établirent là où ils avaient jeté l’ancre.
Sur le chemin du retour, poussés par le désir de retrouver leur patrie, les Grecs ramèrent avec une force accrue. Cette fois-ci, ils passèrent sans incident au milieu des Cyanées : depuis leur premier passage, les rochers n’avaient plus bougé et étaient restés au même endroit.
C’est devant l’île des Sirènes que les navigateurs faillirent périr. Ces nymphes aux voix magnifiques étaient assises sur les rochers près de la côté, et, aussitôt qu’elles voyaient un navire, elles se mettaient à chanter avec tant de charme que les rameurs et celui qui tenait le gouvernail ne pouvaient s’empêcher de s’approcher d’elles. Or sous l’eau étaient cachés des récifs pointus sur lesquels plus d’un navire était venu s’abîmer. Orphée pressentit le danger : saisissant sa lyre, il se mit à chanter jusqu’à ce que son chant couvre celui des Sirènes. L’homme de barre remit le vaisseau dans le droit chemin, et ils furent sauvés. Après cet incident, aucune embûche ne se dressa plus devant eux. Ils subirent avec courage les tempêtes, le soleil, la faim et la soif. La déesse Héra ne les abandonna pas.
Après cette longue et difficile traversée, ils aperçurent enfin leur pays. Ayant jeté l’ancre, ils envoyèrent à la ville un messager rapide pour dire à Pélias que Jason était rentré de son périple avec la Toison. Dès qu’il eut connaissance de cette nouvelle, le roi ordonna que fussent fermées les portes de la cité et que les soldats fussent placés sur les remparts.
« Je t’ai aidé à obtenir la peau du bélier, je t’aiderai maintenant à reprendre le trône qui te revient », dit Médée au héros. Et, murmurant une formule magique, elle reparut sous l’aspect d’une petite vieille qui portait un panier. Grâce à un enchantement, elle se retrouva immédiatement au milieu de la ville. Elle alla droit au palais royal, et dans la cour elle se mit à vanter les huiles rares, les pommades et les aromates qu’elle avait à vendre.
Les filles du roi, dont la curiosité avait été attirée par le manège de la fausse marchande, ordonnèrent à une servante de la leur amener. Dès qu’elle fut introduite, les sœurs se mirent à fouiller dans la corbeille, encouragée pas Médée qui entreprit de les flatter :
« Comme il est triste que vous soyez si jeunes et si belles ! Je connais une extraordinaire potion qui rend la jeunesse…, mais vous êtes aussi fraîches que des étoiles nouvelles ».
« Au moins montre-la nous, » demandèrent les curieuses.
« Faites amener un vieux bélier et je serai heureuse de montrer mes dons », répondit la vieille.
Peu de temps après, on lui amenait l’animal le plus âgé de tout le troupeau royal. Elle fit remplir d’eau une bassine de cuivre sous laquelle elle alluma un feu. Puis elle jeta dans le liquide bouillant une poignée d’herbes puisées dans son panier. Une odeur indéfinissable emplit la pièce.
Aidée par les filles du roi, Médée jeta le bélier dans le récipient. Bientôt un joli petit agneau blanc en sortit en bêlant.
Quelle puissante magie ! » s’écrièrent les princesses émerveillées, et elles allèrent chercher leur père. Celui-ci, d’abord, ne voulut pas croire à leur histoire. Mais lorsque la vieille femme eut recommencé l’expérience, il fut frappé de stupeur.
« Je vais te demander », lui dit-il, « d’essayer ton pouvoir sur moi. Je suis déjà vieux et si je redeviens jeune, jamais Jason n’aura mon trône. Rends-moi aussi très fort afin que je puisse me battre avec lui ».
Dans son impatience, le roi Pélias sauta de lui-même dans le liquide bouillant et mourut dans un hurlement.
Epouvantée, ses filles cherchèrent la vieille, mais elle avait disparu. Elle était entrain d’annoncer à toute la ville la mort du souverain, ce qui réjouissait fort la population.
On n’avait jamais aimé ce roi cruel. Aussi accueillit-on avec joie le retour des Argonautes.
Dans son nouveau pays, Médée ne découvrit ni le bonheur ni la paix. Jason oublia sa promesse et se fiança avec une autre. Ainsi s’accomplit le pressentiment de Médée, fille malheureuse du roi Colchide, que ni le crime ni la trahison n’aideraient à trouver le bonheur sur terre.
Follet de chagrin, elle égorgea ses enfants et empoisonna sa rivale. Quand après cet acte monstrueux Jason se mit à la recherche de Médée, il ne put la trouver. Désespéré, il sortit du palais. Un bruit étrange se faisait entendre au-dessus de sa tête. Levant les yeux, il vit dans le ciel un char tiré par des dragons. La jeune sorcière les conduisait, sa superbe chevelure flottant au vent.
Personne depuis lors n’entendit parler d’elle.
 
Ce mythe, nous pouvons le découper en plusieurs parties, par exemple :
 
A – Introduction :
1 – Vol du trône par Pélias
2 – Départ de Jason pour prendre son trône
3 – Rencontre d’Héra par Jason
4 – Marché pour que Pélias rende son trône à Jason
 
B – En route pour prendre la Toison d’or
1 – Préparations du voyage
2 – Les Argonautes rencontrent Phinée
3 – La traversée
4 – Sauvetage des fils de Phrixos
5 – Arrivée en Colchide et rencontre avec le roi Aiétès
6 – Songes de Chalciope et de Médée
7 – Combat de Jason contre les taureaux aux sabots d’airain et contre les guerriers
8 – Vol de la Toison par Médée et fuite des Grecs
 
C – Retour en Grèce
1 – Nouvelle trahison de Médée et mort d’Absyrtos, son frère et fils héritier du trône d’Aiétès.
2 – Ruse de Médée pour entrer dans la cité
3 – Potion magique pour la jeunesse éternelle
4 – Mort de Pélias
 
D – Conclusion
1 – Assassinat de l’épouse et des enfants de Jason par Médée
2 – Fuite de Médée
 
Où nous abordons plusieurs points comme la trahison : le frère cadet trahit son frère aîné, la fille trahit son père et trahit ensuite son frère, l’amour de l’étranger (Médée tombe amoureuse de Jason dès le premier regard), la volonté d’aller à l’encontre des décisions divines (Phinée qui peut manger et se désaltérer après le passage des Argonautes), le devoir de respecter la promesse faite (Pélias qui promet de rendre le trône à Jason en contrepartie de la Toison d’or mais qui espère que celui-ci mourra pendant sa quête ; Aiétès qui promet à Jason de lui donner la Toison s’il parvenait à vaincre les guerriers nés des taureaux aux sabots d’airain pour prouver sa vaillance) mais ses promesses n’ayant pas été respectées sont responsables de la mort de Pélias, d’Absyrtos, de la trahison et du malheur de Médée, et indirectement de l’empoisonnement de l’épouse de Jason et de la mort de ses enfants…
Oui, ce mythe aborde de nombreux sujets…
 
Et la moralité de cette histoire est tout aussi étayée que le mythe…
La première qu’ont voulu nous enseigner les Anciens est, à mon avis, celle qui nous dit qu’une trahison n’apporte jamais le bonheur. Nous ne pouvons construire notre bonheur futur en ayant trahi ou spolié les siens… même par amour, car, comme nous le montre cette histoire, arrivés en Grèce Jason, qui avait promis l’amour éternel à Médée, a épousé une autre femme dont il a eu des enfants, pendant que Médée vivait une vie malheureuse, seule et sans amour.
La seconde est que, quelque que soit le but rechercher, il ne faut jamais faire des promesses en l’air. Pélias avait promis son trône à Jason, pour éviter de le lui donner il a fait fermé les portes de la cité, il est mort. Aitès avait promis la Toison d’or à Jason s’il était le vainqueur, non seulement il n’a pas tenu sa promesse mais sa volonté de punir sa fille Médée lui a fait envoyer à la mort son fils Absyrtos, héritier de son trône.
 
Bisous,
@+
Sab
PS : le prochain mythe sera celui d’Héraclès.