Tout ce que j'aime ici et ailleurs... sur notre petite planète bleue ou à l'extérieur... partagé sans modération aucune (enfin, dans la limite du possible ;))
31 août 2021
Alexandre Pouchkine : Le Cavalier de bronze / Медный всадник
29 août 2021
Maxime du Camp : Une Veuve au cimetière du Pera (Les Annales : Pages Oubliées)
Dans le grand cimetière de Péra, je fus un jour témoin d’un spectacle qui me toucha profondément. Je me promenais à l’ombre des grands arbres ; la chaleur était ardente, et j’étais venu chercher là un peu de fraîcheur et de solitude ; une femme passa devant moi portant un enfant de quinze mois environ, et tenant à la main un large bouquet de jonquilles. Machinalement je la suivis ; elle s’enfonça dans la profondeur du bois, et arrivée auprès d’un tertre fraîchement remué, elle s’agenouilla, se prosterna, et éclata en sanglots. Je m’appuyai contre un cyprès et la regardai.
Elle tira une fiole de dessous son manteau, et en versa le contenu sur la tombe. Pendant ce temps, l’enfant qu’elle avait déposé à terre avait pris, en folâtrant, le bouquet de jonquilles et l’effeuillait avec des petits cris de joie ; sa mère le lui enleva et recommença sa prière. Il se traîna sur les genoux, sur les mains et bientôt il eut reconquis les fleurs qu’il se mit à déchirer de plus belle. La malheureuse femme les lui arracha, et regarda de tous côtés comme pour implorer l’aide de quelqu’un contre les jeux de son fils. Elle m’aperçut, le saisit, se leva, et, sans me dire un mot, vint le placer entre mes bras, puis elle retourna sur le tombeau ; le pauvre petit se mit à pleurer.
Je m’assis à terre, je le fis jouer avec les bouts de ma cravate, et bientôt son charmant visage se dérida et rayonna de plaisir. Il s’amusa ainsi quelque temps, puis, sans doute, la fatigue le prit, car il inclina sa tête blonde sur mon épaule et s’endormit. Je restai ainsi au moins une heure sans faire un mouvement, de crainte d’éveiller le petit bambin qui sommeillait de si bon cœur. La mère se leva, s’avança vers moi, reçut l’enfant avec précaution, et me regardant avec des yeux mouillés de pleurs et pleins de reconnaissance, elle me salua en portant la main à ses lèvres et à son front ; puis elle se dirigea vers la tombe, la couvrit d’un pan de son manteau, y étendit son enfant encore endormi, s’agenouilla de nouveau, et demeura dans une immobilité si complète qu’on l’eût prise pour une statue ; elle semblait absorbée dans une contemplation extatique. Qui la retient donc ainsi ? Est-ce le spectacle de la beauté de son fils ? Est-ce le regret de celui qu’elle vient pleurer ? L’un et l’autre peut-être. Tout était là, dans cet insoucieux enfant qui dormait, et dans ce mort trempé de larmes. L’un avait quitté l’âpre chemin de la vie, l’autre y traînait à peine ses premiers pas. Quel était le plus heureux ? Celui que la terre enveloppait, n’est-ce pas, mon Dieu ! celui qui se reposait enfin des fatigues dont vous parsemez la voie où nous marchons ! L’autre qui maintenant dort paisiblement sur le sépulcre de son père, que lui adviendra-t-il ?
Comme à tous, des chagrins, des lassitudes, des rêves éperdus, de longues amertumes, des désirs effrénés pour ce que l’on ne peut atteindre, et, peut-être, si un jour sa mère lui raconte qu’il a dormi sur la tombe de son père, regrettera-t-il que le mort ne se soit pas relevé de son lit glacé, et qu’il ne l’ait pas emporté avec lui dans les régions inconnues qu’il habite.
L’enfant se réveilla, sa mère le prit et s’éloigna en me disant adieu d’un signe de tête. Je la suivis longtemps du regard, elle disparut derrière les cyprès, à travers lesquels j’apercevais son long manteau vert qui balayait derrière elle la poussière du sentier.
27 août 2021
Maurice Leblanc [La Robe d'écailles roses] : Noël tragique
25 août 2021
Alphonse Daudet : Mémoire d'un Homme de lettres : La petite Ville algérienne
23 août 2021
Camille Flammarion : La Lune est-elle habitée ?
accessible au téléchargement en cliquant ici
21 août 2021
Molière : L'Ecole des Femmes
19 août 2021
Maurice Leblanc [La Robe d'écailles roses] : Un Amour
accessible au télécharegement en cliquant ici
17 août 2021
Albert Wolff : Chère Indépendance ! (Les Annales : Pages Oubliées)
15 août 2021
Alphonse Daudet : Mémoire d'un Homme de lettres : Un Bohème
13 août 2021
Maurice Leblanc [La Robe d'écailles roses] : Ma Femme et son Mari
11 août 2021
Recueil de poésies du 19e siècle
- Alfred de Vigny ;
- Alfred de Musset ;
- Alphonse de Lamartine ;
- Gérard de Nerval ;
- Hégésippe Moreau ;
- Théophile Gautier ;
- Xavier Forneret ;
- Jean-Pons Viennet ;
- Victor Hugo ;
- Charles-Marie Leconte de Lisle ;
- Théodore de Banville ;
- José Maria de Heredia ;
- Paul Verlaine ;
- Stéphane Mallarmé ;
- Henri de Régnier ;
- Albert Samain ;
- Robert de Montesquiou ;
- Charles Cros ;
- Jules Laforgue.
9 août 2021
Alphonse Daudet : Le Veuvage de Tourterelle
7 août 2021
Maurice Leblanc [La Robe d'écailles roses] : L'Enveloppe aux cachets rouges
5 août 2021
Alphonse Daudet : Mémoire d'un homme de lettres : Les salons littéraires
accessible au téléchargement en cliquant ici
3 août 2021
Jules Claretie : "Voici une histoire de caissier..." (Les Annales : Pages Oubliées)
Voici une histoire de cassier qu’on me contait hier :
Semblable au Castanier de Balzac, ce caissier avait longtemps vécu parfaitement honnête, et vieilli sans aucune erreur d’addition ou de probité, mais ses appointements étaient peu considérables. Parfois l’envie d’une campagne, d’un carré d’arbres, d’un coin quelque part lui vient. Pour réaliser ce rêve, vingt mille francs suffiraient. Et il avait, chaque jour, cent, deux cent mille francs à manier ! « Si le quart de cette somme était à toi, lui murmurait le génie de la propriété, quelle aubaine ! » C’était la pente. Il n’avait jamais eu, jusqu’alors, l’idée qu’un seul de ces billets qu’il maniait pût être un jour à lui. Deux semaines après, il se demandait pourquoi ils ne lui appartiendraient pas tous. Deux mois plus tard, il se traçait la route à suivre pour se les approprier.
Notre homme prend ses précautions. La caisse ferme le samedi, le dimanche n’ouvre pas. Comme ordinairement il n’arrive guère à son bureau que sur les dix heures du matin, on ne s’inquiétera de sa disparition que vers onze heures ou midi. Avant qu’on se soit assuré du départ, il sera deux ou trois heures. Il a donc quelque chose comme quarante-huit heures devant lui.
Quarante-huit heures ! C’est deux, trois fois plus de temps qu’il n’en faut pour atteindre la Belgique ou l’Angleterre.
Sa valise est prête, toutes ses valeurs empaquetées.
Le samedi, il prend congé comme à l’ordinaire, dit au revoir à celui-ci, donne une poignée de main à celui-là et, une fois libre, il monte dans un fiacre.
« Au chemin de fer du Nord. »
Mais en voiture, une pensée lui vient. Il part. Quand pourra-t-il revenir ? Dans dix ans, – le jugement une fois périmé ! Et que de choses se passent et que d’hommes passent en dix ans ! Sur le chemin de la Belgique est le chef-lieu de canton où son père habite ! Il ne sait pourquoi, mais il veut le revoir. Au lieu de prendre son billet directement pour Bruxelles, il s’arrête à Amiens. A Amiens, une voiture le conduira où il veut aller.
Le caissier arrive là, au milieu de la nuit. Pas de voiture. Il faut attendre le lendemain. La petite diligence qui fait le service d’Amiens à *** part à la première heure.
Vous savez quelle physionomie bizarre et sombre prennent les villes de province, une fois les gens couchés. Les rues sont vastes, désertes, noires, les hôtels fermés.
Le caissier descend, il n’a d’autre colis que sa valise. Il sort de la gare, cherche un hôtel. Tout est éteint. Dans des cas pareils il vous prend des envies de dormir à la belle étoile.
Tout à coup, au détour d’une rue, il aperçoit un premier étage éclairé, il entend un bruit de voix, et, par les fenêtres ouvertes, les tintements de l’or. On joue. C’est un cercle. Il se rappelle le nom. Il y a peut-être des amis. Il se demande s’il doit monter.
C’est un excellent moyen de passer là une nuit, – d’attendre. Mais il lui faudra se nommer, donner la cause de son voyage. Bast ! une fois en Belgique, il s’inquiétera bien de tout cela.
« Montons ! »
Il monte.
Il se fait annoncer. Il est du pays ; on lui demande de ses nouvelles ; on l’accueille ; il dit ce que bon lui semble. Pour tuer le temps, il risque un louis dans une partie. Il n’est pas joueur, il n’a jamais joué ; il gagne.
La partie s’anime, il s’assied, se livre au baccarat tout entier, corps et âme, joue au hasard, sans songer, sans calculer, retournant les cartes avec un bonheur insolent, et il gagne, gagne toujours, gagne toute la nuit.
Le jour venu, il compte machinalement son gain ; il en est écrasé, hébété. Il a gagné vingt-deux mille francs, et on lui doit des centaines de louis sur parole.
« Une petite fortune ! se dit-il. Avec cela on pourrait vivre honnête ! »
Honnête ! Le mot lui plaît, tourne dans sa tête, le chatouille. Pourquoi ne serait-il pas honnête ? Et, vraiment, est-ce qu’il n’est pas honnête ? Non, puisqu’il a volé.
Il emporte la caisse ! Ce premier louis risqué sur le tapis n’était pas à lui. Les valeurs qu’il a dans son portefeuille, sur sa poitrine, sont à ses patrons.
« Ah ! se dit-il, si j’avais gagné hier ce que j’ai gagné aujourd’hui ! »
C’est là le premier pas vers la réaction. Soudain, une idée lui traverse le cerveau. Encore un peu, il pousserait un cri de joie.
Le lendemain, notre homme prenait le premier train d’Amiens pour Paris, arrivait chez lui à midi et se couchait, et le lundi matin, à l’heure militaire, ouvrait sa caisse d’un air placide, se frottait les mains et disait à ses compagnons de bureau, du ton calme que donne une conscience tranquille :
« Eh bien ! Joseph, avez-vous pris hier beaucoup de goujons ? Duplanté, acceptez donc une prise ! »