31 janvier 2022

Pierre Corneille [Œuvres complètes] : Préface de Jean Vagne

Ah que coucou !

Des œuvres de Pierre Corneille, elles sont déjà nombreuses à être présentes sur ce blog. Les dites-œuvres sont préfacées par Voltaire... comme l'éditeur des dits-ouvrages avait décidé de ne pas tout éditer préfacés et annotés par Voltaire, il en manque, fatalement ;)... c'est pour cela qu'aujourd'hui nous plongeons dans la réédition des œuvres complètes de Corneille de 1961-62, préfacée par Jean Vagne, que vous connaissez déjà avec Racine...

Dans cette préface Jean Vagne parle du théâtre en France du 16e siècle, tel qu'il était pratiqué, tel qu'il était écrit, tel qu'il était joué et tel qu'il était écouté. Il nous parle aussi de ces troupes de théâtre nomades plus "forains" / "bohémiens" qu'"artistes"... d'ailleurs il nous parle de l'anecdote suivante : un jour la troupe devait jouer devant le roi mais les acteurs avaient si peur qu'ils ne vinrent pas et ce fut alors avec ses amis que l'auteur de la pièce joua la pièce devant le roi...
Ensuite il nous parle du théâtre au temps de Corneille, il nous parle de l'arrivée de Racine... et de cette fameuse querelle au sujet du Cid... bref il nous fait là une narration fort intéressante concernant Corneille et son époque... et, cerise sur le gâteau, il nous parle aussi d'un certain professeur de lettres à Strasbourg, spécialiste de Corneille, vous savez ? un certain Louis Herland ;)...


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Langue : Français

Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab

29 janvier 2022

Honoré de Balzac [Scènes de la vie privée et publique des Animaux] : Guide-Ane à l'usage des Animaux...

Ah que coucou !

L'usage prétend que les ânes sont bêtes... pendant longtemps, dans les écoles, les mauvais élèves devaient porter un "bonnet d'âne", de nombreuses expressions comme "faire l'âne" vont dans ce sens. Pourtant, quand on observe un peu mieux cet animal-là, il est très loin d'être bête, tout au contraire... par contre, il est bien têtu ;) mdrr !!

Dans ce conte, Balzac nous démontre que l'Ane, non seulement n'est pas stupide, mais qu'en plus il est très rusé... même plus rusé que les Hommes. Et l'Ane propose ici, sous la plume de Balzac, un procédé pour profiter des Hommes au maximum sans que ceux-ci ne s'en aperçoivent et en faisant de telle sorte que ces mêmes Hommes s'estiment fiers d'avoir réussi à... ;) Bref, ici on enseigne aux Animaux comment faire pour que l'Homme soit le Dindon de la farce ;)...

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Langue : Français

Bonne lecture !
 
Bisous,
@+
Sab

27 janvier 2022

Alphonse de Lamartine : Mon dernier coup de fusil (Les Annales : Pages Oubliées)

Ah que coucou !

Comme tous les textes de cette séries Pages Oubliées, ce texte est trop court pour en faire ici une description sans plagier l'auteur... et comme d'habitude, vous le trouverez en dessous de ma signature ;)...

Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab



Un jour, j’avais emporté à la chasse un volume anglais de traductions du sanskrit, langue sacrée des Indes. Un chevreuil innocent et heureux bondissait de joie dans les serpolets trempés de rosée, sur la lisière d’un bois. Je l’apercevais de temps en temps par-dessus les tiges de la bruyère, dressant les oreilles, frappant de la corne, flairant le rayon, réchauffant au soleil sa tiède fourrure, broutant les jeunes pousses, jouissant de sa solitude et de sa sécurité.

J’étais fils de chasseur ; j’avais passé mes jeunes années avec les garde-chasse, les curés de village, et les gentilshommes de campagne, qui découplaient leurs meutes avec celles de mon père. Je n’avais jamais réfléchi encore à ce brutal instinct de l’homme qui se fait de la mort un amusement et qui prive de la vie, sans nécessité, sans justice, sans pitié et sans droit des animaux qui auraient sur lui le même droit de chasse et de mort, s’ils étaient aussi insensibles, aussi armés et aussi féroces dans leurs plaisirs que lui. Mon chien quêtait, mon fusil était sous ma main ; je tenais le chevreuil au bout du canon. J’éprouvais bien un certain remords, une certaine hésitation à trancher du coup une telle vie, une telle joie, une telle innocence dans un être qui ne ‘avait jamais fait de mal, qui savourait la même lumière, la même rosée, la même volupté matinale que moi, créé par la même Providence, doué peut-être à un degré différent de la même sensibilité et de la même pensée que moi-même, enlacé peut-être des mêmes liens d’affection et de parenté que moi dans sa forêt ; cherchant son frère, attendu par sa mère, espéré par sa compagne, bramé par ses petits. Mais l’instinct machinal de l’habitude l’emporta sur la nature qui répugnait au meurtre. Le coup partit, le chevreuil tomba, l’épaule cassée par la balle, bondissant en vain, dans sa couleur, sur l’herbe rougie de son sang.

Quand la fumée du coup de fusil fut dissipée, je m’approchai en pâlissant et en frémissant de mon crime. Le pauvre et charmant animal n’était pas mort. Il me regardait, la tête couchée sur l’herbe, avec des yeux où nageaient des larmes. Je n’oublierai jamais ce regard auquel l’étonnement, la douleur, la mort inattendue semblait donner des profondeurs humaines de sentiment aussi intelligibles que des paroles ; car l’œil a son langage, surtout quand il s’éteint.

Ce regard me disait clairement avec un déchirant reproche de ma cruauté gratuite : « Qui es-tu ? je ne t’ai jamais offensé. Je t’aurais aimé peut-être ; pourquoi m’as-tu frappé à mot ? Pourquoi m’as-tu ravi a part de ciel, de lumière, d’air, de jeunesse, de joie, de vie ? Que vont devenir ma mère, mes frères, ma compagne, mes petits qui m’attendent dans le fourré, et qui ne reverront que ces touffes de mon poil disséminé par le coup de feu, et ces gouttes de sang sur la bruyère ? N’y a-t-il pas là-haut un vengeur pour moi ou un juge pour toi ? Et cependant, je t’accuse, mais je te pardonne. Il n’y a pas de colère dans mes yeux, tant ma nature est douce, même contre mon assassin. Il n’y a que de l’étonnement, de la douleur, des larmes. »

Voilà littéralement ce que me disait le regard du chevreuil blessé. Je le comprenais, et je m’accusais comme s’il avait parlé avec la voix. « Achève-moi », semblait-il me dire encore par la plainte de ses yeux et par les inutiles frémissements de ses membres. J’aurais voulu le guérir à tout prix, mais je repris le fusil, par pitié cette fois, et, en détournant la tête, je terminai son agonie du second coup. Je rejetai alors le fusil avec horreur loin de moi, et cette fois, je l’avoue, je pleurai. Mon chien lui-même parut attendri ; il ne flaira pas le sang, il ne remua pas du museau le cadavre, il se coucha triste à côté de moi. Nous restâmes tous les trois dans le silence, comme dans le deuil de la même mort.

C’était l’heure de midi. J’attendis que le vieux berger qui ramène les moutons à l’étable pendant les heures brûlantes, repassât avec son troupeau sur la lisière du bois, pour lui faire emporter le chevreuil à la maison. En attendant, je tirai de ma poche un volume de ces restes de poèmes épiques de l’Inde, et je m’efforçai de me distraire par la lecture. Vain effort ! La page s’ouvrit par une de ces merveilleuses allégories poétiques dans lesquelles la poésie sacrée des Hindous incarne ses dogmes d’universelle charité. On y croit sentir, dans l’amour et dans le respect de l’homme pour tout ce qui a vie et sentiment, quelque chose de la charité de Dieu lui-même, pour sa création animée et inanimée.

Le poète racontait l’ascension graduelle d’un héros, d’épreuve en épreuve jusqu’au ciel, par les degrés ardus de l’Himalaya. A mesure que la route devient plus longue, plus pénible et plus glaciale, il est abandonné de lassitude par ceux qui l’ont le plus aimé sur la terre, qui ont d’abord tenté de le suivre, mais qui, rebutés de ses infortunes, retournent en arrière ou succombent à ses pieds sur les sommets de glace et de neige de son ascension. Parents, amis, frères, épouse même, finissent par se lasser de dévouement ou par s’épuiser de forces. Son chien seul, plus fidèle et plus inséparable de lui que l’amitié et que l’amour, suit, en haletant, les traces de son maître, pour mourir à ses pieds ou pour triompher avec lui.

Le héros arrive enfin aux portes du ciel. Elles s’ouvrent pour lui, mais elles se referment pour l’animal. L’homme, alors pénétré d’une justice sublime et d’une abnégation qui s’élève jusqu’à l’immolation de soi-même, refuse d’entrer dans le séjour de la félicité divine, si son chien, compagnon de ses peines et de ses misères, n’y entre pas avec lui. Les dieux, attendris de ce sacrifice de générosité, laissent entrer l’animal avec l’homme, et le ciel se referme sur tous les deux. J’ai noté ce fragment de charité universelle, et je le citerai dans les archives des beautés de l’esprit humain.

Cette lecture me fit comprendre et sentir, mieux que la lecture même des dogmes religieux de l’Inde, la beauté, la vérité, la sainteté de cette doctrine qui interdit aux hommes non seulement le meurtre sans nécessité absolue, mais même le mépris des animaux, ces hôtes de notre habitation terrestre, et dont nous devons compte à notre père commun, comme des êtres supérieurs d’intelligence et de force doivent compte des êtres inférieurs qui leur sont soumis. J’admirai, j’adorai cette parenté universelle des êtres, cette fraternité de la vie entre tout ce qui respire, entre tout ce qui sent, entre tout ce qui aime ici-bas, dans la mesure de son intelligence et de sa destinée. Je conclus que le poète indien était le sage, et que j’étais l’ignorant et le barbare d’une civilisation qui avait perdu tant de chemin sur la route de l’amour ou qui n’y était pas encore arrivée. Je pressentis que l’homme de l’Occident y arriverait un jour.

Je renonçai pour jamais à ce brutal plaisir du meurtre, à ce despotisme cruel du chasseur qui enlève sans nécessité, sans droit, sans pitié, l’existence à des êtres auxquels il ne peut pas la rendre. Je me jurai à moi-même de ne jamais retrancher par caprice une heure de soleil à ces hôtes des bois ou à ces oiseaux du ciel qui savourent comme nous la courte joie de la lumière et la conscience plus ou moins vague de l’être sous le même rayon.

« Il appartient à Dieu, me dis-je, Dieu m’a fait leur ami, et non leur tyran. La vie, quelle qu’elle soit, est trop sainte pour en faire ce jouet et ce mépris que notre incomplète civilisation nous permet d’en faire impunément devant les lois, mais que le Créateur ne nous permet pas d’avoir fait impunément devant sa justice.

De ce jour, je n’ai plus tué. Le livre, en commentant si pathétiquement la nature, m’avait convaincu de mon crime. L’Inde m’avait révélé une plus large charité de l’esprit humain.

25 janvier 2022

P.-J. Stahl : Les Aventures de Tom Pouce

Ah que coucou !

Il ne s'agit pas là d'une unième traduction en français du célèbre conte mais d'une adaptation française pour les p'tits anges francophones du 19e siècle et qui peut profiter aussi à ceux du 21e siècle...


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Format : pdf
Langue : Français

Qui, au delà de 3 ans, ne connaît pas encore Tom Pouce, célèbre héros d'un conte très souvent traduit ?

Une des différences que vous pouvez découvrir, entre autre (et qui ne porte nullement ombrage à l'histoire) est que dans cette version : la mère espère un fils, même de la taille de son pouce ; alors que dans la version anglaise  (cliquez ici pour accéder à une édition datant du 19e siècle, en anglais, gratuite): le père espère un fils, même s'il n'est pas plus gros que son pouce "although he were no bigger than his father’s thumb" ;)... pourquoi vouloir s'obstiner à "faire" différent" ? peut-être à cause de la situation politique de ce temps-là où l'Empire britannique n'était pas un ami de la France ;)... tout au contraire, en 1843 ;) !! rappelez-vous de vos leçons d'histoire ! les relations entre la France et le Royaume-Uni sont assez... tendues on va dire ;)... alors, comme tout bon Français de cette époque-là, on ne va pas traduire et faire de la publicité pour un conte britannique ;) mdrrr !!!
Pour ceux qui connaissent la version anglaise (et non celle des frères Grimm ou celle des Contes d'Andersen ; les quelques "transformations" / adaptations vous feront sourire...

Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab

23 janvier 2022

Louis Baude [Scènes de la vie privée et publique des Animaux] : L'Ours ou Lettre écrite de la montagne

Ah que coucou !

L'Ours, dans la caverne paternelle, ne se sent pas à l'aise ; lui, solitaire et aimant la solitude, est le contraire de son père : fêtard, sociale, aimant recevoir... L'Ours décide donc de quitter la caverne et de partir vivre en hermite dans la Montagne. Mais voilà, il a à peine fait quelques mètres qu'il rencontre un groupe d'hommes qui le fait prisonnier.

Ayant été assommé durant la lutte, quand il se réveille il découvre qu'il est attaché à une arbre, devant une bâtisse, et que la chaîne qui le maintient à l'arbre est accrochée, à lui, par un anneau nasal... C'est ainsi qu'il prend conscience qu'en ayant combattu pour sauver sa vie, il avait perdu sa liberté...

Toutefois, dans son malheur, il a la chance que son propriétaire soit bon et qu'il s'occupe bien de lui... cet homme, aubergiste de son état, organise un bal tous les dimanches auquel participe l'Ours... ils vivent ainsi "heureux" jusqu'au jour où arrive à l'auberge un poète anglais célèbre, un certain Lord B... qui achète l'Ours à l'aubergiste et le mène dans son château, en Ecosse... et...

Et ?!?

et bien la suite je vous laisse la découvrir dans ces quelques pages :

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Format : pdf
Langue : Français
 
Bonne lecture !
 
Bisous,
@+
Sab

21 janvier 2022

Guy de Maupassant : Son Décès, ses Obsèques

Ah que coucou !
 
Aujourd'hui je vous propose des articles de presse narrant le décès et les obsèques de Guy de Maupassant...


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Format : pdf
Langue : Français

J'ai opté pour les articles parus dans :

  • Le Gaulois car c'est dans ce quotidien que Guy de Maupassant commença ses prestations littéraires dans la presse. D'ailleurs, dans un des articles, le journaliste narre cette première collaboration...
  • Gil Blas car c'est pour le Gil Blas qu'il a écrit en dernier... et avec lequel Emile Zola et Henry Céard poursuivent leur collaboration.
C'est le Gil Blas qui nous permet aussi d'avoir l'intégralité du discours qu'Emile Zola prononça au bord de la tombe de Maupassant...

Dans ces articles nous apprenons les causes du décès de Guy de Maupassant, sa notoriété auprès des autres écrivains / auteurs, sa réputation auprès du public. Nous voyons mieux aussi son environnement familial, dans quel milieu social a-t-il été élevé, etc... bref, ces 2 journaux nous apprennent énormément sur Guy de Maupassant et sa vie et l'œuvre qu'il voulait écrire qu'il pensait intitulé L'Angélus... parce que les auteurs des dits-articles fréquentaient Guy de Maupassant... donc il le connaissaient, et pas seulement via ses écrits et les cancans que certains, aujourd'hui, nous répètent en prétendant qu'ils sont vrais ;)...

Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab

19 janvier 2022

François Coppée : Un sujet de pièce (Les Annales : Pages Oubliées)

Ah que coucou !
 
François Coppée nous narre là une anecdote dont il fait son personnage le narrateur afin de la proposer à un directeur de théâtre pour en faire une pièce de théâtre...

Vous trouverez le texte, comme d'habitude, quand il s'agit des Pages Oubliées ;), au-dessous de ma signature, même si celui-là est assez long pour être proposé en pdf... mais bon, comme nous en avons pris l'habitude comme ça, avec cette série littéraire-là... on continue !

Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab





On causait entre hommes dans le fumoir, après dîner. Le juif Péreira, le directeur de théâtre si connu par ses faux-col marmoréens et ses cravates triomphantes, posait devant la cheminée, tenant à la main un petit verre de curaçao.

« L’anecdote, disait-il, l’anecdote, tout est là. Une pièce n’est bonne que si on peut en raconter le sujet en cinq minutes… Quand un auteur vient me parler d’une comédie à l’heure de mon déjeuner, je l’arrête tout de suite : « M’auriez-vous dit votre affaire avant que j’aie fini cet œuf à la coque ?... » S’il ne peut pas, c’est que la pièce ne vaut rien ! »

Et Péreira goba son verre de curaçao.

« Je ne suis pas auteur dramatique, dit le grand Maurice, l’attaché d’ambassade, du fond du large fauteuil où il était enfoui, pourtant, si vous voulez, Péreira, je vous conterai une anecdote dont il me semble qu’un homme de métier tirerait parti… Mais le temps de manger un œuf, c’est bien court.

– Je vous accorde une omelette, répondit le juif avec un gros rire… Mais les idées de pièces des gens du monde… j’ai de la méfiance, comme dit le guillotiné par persuasion… Enfin, allez toujours.

– Eh bien ! l’histoire a fait le tour des salons viennois, du temps où j’étais là-bas.Il y avait alors à Vienne un médecin très renommé pour les malades du cœur ; il s’appelait, – je change les noms, naturellement, car la chose est tragique –, il s’appelait le docteur Arnold. Agé de quarante ans à peine, il avait déjà une magnifique clientèle. C’était un bel homme, fort élégant, avec une figure régulière, à grands favoris blonds, le type autrichien, enfin… mais une paire d’yeux à l’américaine, bleus et froids comme l’acier, qui donnait à réfléchir. Une famille russe résidant à Vienne – nommons-les, si vous voulez, les Skébéloff –, appela le docteur en consultation auprès de la fille de la maison, chez qui le spécialiste reconnut, au premier examen, un commencement d’anévrisme. Cela devait être fort troublant d’ausculter et de percuter Mle Macha… Songez donc ! Appliquer son oreille contre la poitrine d’une belle brune de dix-neuf ans et lui frapper sur le cœur, comme pour dire : Peut-on entrer ?...

– Maurice, interrompit le maître de la maison, pas de plaisanteries de vaudeville… Vous nous avez promis un drame.

– Vous l’aurez, soyez tranquille… Bien que reçus dans la bonne compagnie, ces Skébéloff étaient un peu suspects. Ils vivaient à l’hôtel. Le père Skébéloff avait trop de ganses, d’olives et de brandebourgs sur ses pelisses fourrées. Ces gens-là, menaient assez grand train, et les diamants de la maman passaient pour être faux… Avec cela, deux filles à caser, trop belles pour rien faire de bon… Enfin, du monde équivoque. Mais le docteur était pris de passion ; il demanda Mle Macha en mariage, fut admis à faire sa cour, épousa au bout de trois mois, et la famille Skébéloff, subitement dégoûtée de Vienne, s’envola vers de nouvelles tables d’hôtes. La femme du médecin, Frau Doktorin, comme on dit là-bas, plut beaucoup dans la société viennoise. Les nouveaux mariés étaient fort intéressants ; le docteur aimait à la fois Macha comme sa femme et comme sa malade ; il l’adorait et il la soignait. Ce petit roman enchantait les Allemandes sentimentales. Déjà Mme Arnold, de qui la santé se rétablissait à vue d’œil, se montrait souvent dans le monde, y valsait même quelquefois…

– Malgré sa maladie de cœur ?

– Oui. La jeune femme paraissait si bien guérie, que son mari lui permettait un tour de valse, comme médecin ; mais je crois qu’il l’aurait volontiers défendu comme jaloux. Car le beau capitaine de Blazewitz – un Apollon en uniforme blanc – était toujours inscrit le premier sur le carnet de bal de Mme Arnold et la serrait fort tendrement contre ses aiguillettes. Une fois de plus le vieux mythe de Mars et de Vénus se trouvait…

– Bon ! dit Péreira. Voilà votre exposition faite, Maurice, vos bonshommes posés… enchaînons maintenant, comme on dit en argot de coulisses, enchaînons !

– Soit !… Un jour, le docteur découvre un paquet de lettres…

– Bien usé, le paquet de lettres !

– Péreira, vous êtes insupportable ! Vous mettrez ici la ficelle que vous voudrez ; mais, dans mon anecdote, ce sont des lettres.

– Qui donnent au mari la certitude de son déshonneur, n’est-ce pas ?

– Apparemment.

– Et qui lui font concevoir un projet de vengeance !…

– Vous connaissez donc l’histoire, Péreira ? Alors, contez-la vous-même.

– Non, mon ami, mais je déblaie, – toujours pour nous servir de nos termes de métier –, je déblaie, voilà tout. Donc le mari se vengea…

– Par un de ces crimes qui restent toujours ignorés.

– Alors, comment l’a-t-on su ?

– Parce que le docteur a parlé… Oui, le coupable lui-même, plus tard, cédant à cet irrésistible, à ce fatal besoin de confidence qui existe chez tous les hommes, et qui fait de la confession des catholiques une des institutions les plus…

– Au fait, Maurice, au fait !

– Je ne dis plus un mot, grommela le jeune homme vexé.

– Ne vous fâchez donc pas, reprit ce gros insolent de Péreira ; nous vous évitons la peine de finir vos phrases… C’est le vrai style du théâtre… Voyez Scribe, Sardou… Tout en dialogue, avec des points suspensifs… Je me tue à le répéter aux jeunes auteurs : Pas de style, surtout ! Pas de littérature !… Il y a des pièces qui sont tombées par un adjectif… On ne sait pas le mal que peut faire une métaphore… Ainsi, les romantiques…

A votre tour, Péreira, fit le maître de la maison en regardant le juif d’un air goguenard à travers son monocle, quand vous aurez fini ?...

– C’est juste… Maurice nous disait donc que le mari…

– ... Imagina une vengeance terrible, mais seulement permise à un homme de sa profession. Macha n’était pas complètement guérie – il le savait bien, le spécialiste – de cette maladie du cœur pour laquelle il l’avait soignée, pendant deux ans, avec tant de zèle et d’amour. Il entreprit de la lui rendre. Contenant sa colère, il se borna à garder auprès de sa femme l’attitude d’un mari inquiet et soupçonneux, et fit naître ainsi la crainte et l’angoisse dans l’esprit de l’adultère. Il savait, par les lettres qu’il avait surprises, quelle passion insensée éprouvaient les deux amants ; il était sûr qu’ils chercheraient toujours à se voir, même au milieu des dangers. Ce Machiavel domestique profita de cette situation. Depuis lors, une puissance mystérieuse mit toutes sortes de petits obstacles entre Macha et M. de Blazewitz, sans les séparer tout à fait cependant ; elle faisait manquer leur rendez-vous, interrompit leurs correspondances, troublait et empoisonnait leurs amours ; et, dans cette vie pleine d’émotions vives et douloureuses, la santé de Mme Arnold s’altéra de nouveau très profondément. Le docteur tuait sa femme avec autant de certitude et de précision qu’il l’avait guérie naguère. A l’heure de folle terreur qui donne à la circulation une activité morbide, l’habile homme faisait succéder les longues journées de tristesse, qui congestionnent le cœur et y retiennent le sang. Puis, soudain, il feignait de n’avoir plus aucune jalousie, se montrait touché jusqu’aux larmes des souffrances de sa femme. – « Mais que se passe-t-il donc, ma pauvre Macha ? lui disait-il. Mon diagnostic n’y comprend plus rien. Vous avez tout l’air d’une personne qui mourrait de chagrin. N’êtes-vous pas heureuse avec moi ? » Et, tout en observant avec une diabolique volupté les progrès du mal, il crucifiait sa victime de ses désespoirs hypocrites. Au bout de six mois, les syncopes étaient plus fréquentes, les palpitations plus rapides ; les symptômes les plus inquiétants de l’anévrisme avaient reparu… Ah ! ah ! Péreira, vous ne m’interrompez plus maintenant !

– Eh bien, oui… c’est le second acte, le nœud de la pièce. Mais le dénouement… le dénouement !

– Le dénouement demandé ! cria Maurice avec l’accent d’un garçon de restaurant qui apporte un plat, voilà !… Un soir, le docteur entre chez sa femme comme une tempête : – « Madame, je sais tout, M. de Blazewitz est votre amant. » La pauvre Macha devint pâle comme un linge, et les violettes de la mort apparurent sur ses lèvres. – Tuez-moi ! dit-elle – C’était bien ce qu’il voulait.

– Je ne porterai pas la main sur une femme, reprit Arnold. Votre complice a payé pour deux. Je viens de me battre avec M. de Blazewitz… Je l’ai tué ! » Et Macha tomba raide sur le tapis. Mais le docteur mentait ; il n’eût pas osé toucher la moustache du beau capitaine, qui passait pour le premier tireur de Vienne. Il s’agenouilla près de sa femme étendue à terre, lui prit la main. Le pouls palpitait encore, elle vivait. Alors le bourreau lui donna des soins, la ranima : – « Vous allez mettre une robe de bal, tous vos diamants, ordonna-t-il, et m’accompagner au bal de l’ambassade de France, où nous sommes invités. » – « Jamais… je ne pourrai jamais ! » – « Vous allez vous habiller, et nous partons. J’ai pris, pour mon duel avec M. de Blazewitz, le prétexte d’une querelle de jeu. Mais, vous êtes compromise. Il faut qu’on vous voie, ce soir, à mon bras dans le monde. Sinon, l’on croirait que je me suis battu à cause de vous, et je serais déshonoré… Habillez-vous, je le veux !... » Il fallait bien que la malheureuse obéit. Comment résister à l’homme qu’elle avait si cruellement outragé ? Elle fit sa toilette, quelle agonie ! et son mari la traîna au bal de l’ambassade. Là, brisée, elle s’affaissa, plutôt qu’elle ne s’assit, dans le salon d’entrée, où le huissier, à chaque minute, criait le nom des arrivants. Le docteur, en grande tenue, superbe, avec tous ses ordres, se tenait debout derrière le fauteuil de sa femme. Tout à coup, après un coup d’œil jeté dans l’anti-chambre, il se pencha à l’oreille de Macha, comme pour y glisser une galanterie. – « La douleur ne t’a donc pas tuée, misérable ? » – « Pas encore, malheureusement, murmura la suppliciée. » – « Eh bien, regarde alors, ajouta-t-il en lui montrant la porte, et meurs de joie ! » En ce moment, l’huissier annonça d’une voix sonore : « Le capitaine baron de Blazewitz ! » Le bel officier entra le sourire aux lèvres, et tout d’abord, comme il faisait toujours, il chercha sa maîtresse du regard. Il la reconnut à peine. Elle venait de se lever de son siège, toute droite, comme mue par un ressort, livide sous ses parures, effrayante ! Elle lui jeta un regard égaré, porta la main à sa gorge et retomba lourdement sur le parquet, morte, bien morte, cette fois !… Ce fut un affreux esclandre. Le docteur se jeta sur le corps de sa femme en poussant des cris, et le désespoir de M. de Blazewitz aurait fait scandale, si un ami ne l’eût entraîné ! Tous les invités s’enfuirent ; les laquais mangèrent le souper, et l’ambassadrice fut très mécontente, car elle avait fait fabriquer tout exprès pour le cotillon des têtes grotesques dont elle attendait un grand effet. »

Maurice se tut ; il y eut un moment de silence. On avait presque frissonné, et Péreira lui-même eut le tact de ne pas dire quelque lourde sottise.

Mais la maîtresse de la maison se montra, soulevant la portière de tapisserie du fumoir.

« Eh bien, messieurs, avez-vous fini vos cigares ? Les dames vous réclament. »

En passant au salon, Péreira prit le bras de Maurice.

« Et le docteur, qu’est-il devenu ?

– Comme je vous l’ai dit, il s’est presque vanté, qui échappe, d’ailleurs, à tout châtiment. Mais le séjour de Vienne lui devenait difficile. Aujourd’hui, il est à Varsovie, où il fait beaucoup de clientèle, et où il continue à répéter aux malades de sa spécialité : « Pas d’émotion surtout, pas d’émotions !… » Mais que pensez-vous de mon sujet de pièce ?

– Impossible, mon cher. Tous les feuilletons diraient que c’est imité de la Julie d’Octave Feuillet. »

17 janvier 2022

Emile de la Bédollière [Scènes de la vie privée et publique des Animaux] : Cour criminelle de justice animale

Ah que coucou !

Afin de mieux protéger, comme on dit, "la veuve et l'orphelin", le Roi Lion a décidé de suivre l'exemple des Hommes et d'instaurer des tribunaux, dans un lieu tenu secret, dans lesquels sont jugés tous les crimes commis par nos amis les Bêtes... Le greffier, un Corbeau, vient avertir les chefs de la rédaction de ce qu'il s'y déroule... pour illustrer ses propos il utilise le journal des Canards...

Comme partout, il y a des "petits" crimes et des beaucoup plus importants... sur ces "petits" le greffier ne parle pas au contraire d'un des plus grands qui a défrayé la chronique du journal des Canards : l'assassinat d'une Brebis et de son Agneau par le Loup... qui, pour se défendre, prétend que le crime a été commis par le boucher...

Le Loup est-il innocent comme il le prétend ? ou coupable comme le prétend l'avocat général, le Vautour ?
Vous le saurez en lisant la nouvelle suivante :

accessible au téléchargement en cliquant ici
Format : pdf
Langue : Français

Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab

15 janvier 2022

Franz Kafka : La Métamorphose / die Verwandlung

Ah que coucou !

Voici une œuvre de Kafka que j'apprécie fort... pourquoi ? parce qu'on peut la lire au premier degré, et dans ce cas il s'agit là d'une histoire "fantastique", ou au second dégré, et là, il s'agit d'un texte philosophique ayant pour sujet l'évolution du moi...

Un jour, Gregor se réveille en retard et ne se sentant pas tellement bien... d'ailleurs il a du mal à se mouvoir et à sortir de son lit. Ce qui l'inquiète fort et le met un peu en rogne contre lui car il craint la réaction qu'allait avoir son patron en apprenant qu'il ne s'était pas présenté pour prendre le premier train.
Justement, alors qu'il ne parvient pas à atteindre la porte de sa chambre pour l'ouvrir et demander de l'aide ou à ses parents ou à sa sœur, arrive le fondé de pouvoir de l'entreprise pour laquelle il travaille. Celui-ci exige de savoir pour quel motif Gregor n'est pas allé travailler et suite à quelques menaces et remontrances, fait que Gregor parvient à atteindre la porte de sa chambre avec beaucoup de difficultés et à l'ouvrir...
Là aussi bien sa famille que l'envoyé de son patron comprennent pourquoi Gregor parle si étrangement et pourquoi il ne s'est pas présenté à la gare pour prendre son train et aller en clientèle.

Pourquoi ? et bien lisez cette nouvelle et vous le saurez :

accessible au téléchargement en cliquant ici
Format : pdf
Langues : Français & allemand

Dans la vie, tout le monde change, en bien, en mal... cela dépend exclusivement de notre propre expérience de vie. Ces changements, plus ou moins visibles rapidement, sont plus ou moins bien vécus par notre entourage.
Kafka, ici, nous parle d'un changement / d'une métamorphose aussi mal vécue par l'individu chez qui elle s'opère que par son entourage professionnel et familial. Ce changement interfère aussi dans le comportement de tous les personnages ainsi que dans leurs relations sociales et ils nous font réfléchir sur quelle réaction devons-nous adopter quand survient dans notre vie ou celle d'un de nos proches un si profondément changement qui affecte la vie jusqu'à la mort.

Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab

13 janvier 2022

Honoré de Balzac : La Pièce nouvelle et le Début

Ah que coucou !

Balzac nous propose ici une piècette de théâtre mettant en scène 1 acteur et 3 actrices entre le moment de la Générale et la 1ère représentation de la pièce de théâtre Débutante... La scène se passe dans le foyer des artistes (là où l'on reçoit certains membres du public pour y savourer Champagne et canapés après les 1ere).


accessible au téléchargement en cliquant ici
Format : pdf
Langue : Français

Chaque artiste a son caractère personnel (comme tout le monde ;))... et si Mademoiselle Dejazon et Mademoiselle Adeline sont tolérantes (pour l'époque, ne l'oubliez pas, l'action se situe au 19e siècle ;)) avec les hommes, ce n'est pas le cas de Mle Sophie Béranger qui refuse même le baiser du comédien qui joue le 1er rôle dans la pièce pendant les répétitions et qui ne regarde jamais un homme droit dans les yeux... Parce que Mle Sophie Béranger énerve un tantinet soit peu ses collègues plus libertins qu'elle, ceux-ci décident de se "venger" et... parce que M. Lebel a des dettes qu'il doit rembourser, c'est lui qui va tout organiser de telle sorte que Mle Sophie Béranger ne puisse plus jamais réapparaître sur une scène. Le soir venu...

La suite ?
A vous de la lire.

Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab

11 janvier 2022

Paul Féval (père) : La Famille (légende bretonne) [Les Annales : Pages Oubliées]

Ah que coucou !
 
Qui parle de la Bretagne et des Bretons, surtout avant le XXe siècle, parle souvent d'un terroir à fort consonance catholique, religion que les Bretons avaient la réputation de tous avoir. Il est donc normal, dans une histoire qui se passe en Bretagne, au XIXe siècle, d'y trouver des mentions religieuses d'ordre catholique - ici illustrée par la Sainte Vierge.

La Vierge Marie a aidé le couple formé par Amel et Penhor a avoir un enfant, qu'ils ont baptisé Raoul, c'est pour cela que Penhor, non sortie encore entièrement des couches, offre son fils unique à la Sainte Vierge...

Quelques heureuses années après, arrive sur cette terre bretonne, la plus terribles des tempêtes qui inonde tant les côtes que l'église de Saint-Vinol (là où se situe l'action) se trouve sous les eaux...
Habitant un peu plus haut, Amel et Penhor  tentent de sauver leur vie et celle de Raoul.

Y arriveront-ils ? Vous le saurez en lisant ce court conte (que vous trouverez sous ma signature) :



Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab


Voici une histoire que j’ai racontée bien souvent, sous diverses formes, et que je raconterai plus d’une fois encore, s’il plaît à Dieu, parce qu’elle est grande et douce.

Quoiqu’elle soit bretonne, elle me fut dite pour la première fois au pays des Normands, sur le côteau d’Avranches qui regarde un des plus admirables paysages de la terre. Nous étions deux, l’autre est mort, voici trois ans déjà, en souriant aux promesses de Dieu. Il avait aimé, souffert et prié.

Pendant qu’il me parlait, je me souviens que les sables mouvants de la grève, où l’on se noie comme dans la mer, étincelaient sous nos pieds ; à l’horizon, l’eau bleue montait jusque dans les nuages ; entre le sable et l’eau, cette orfèvrerie monumentale, le mont Saint-Michel détachait ses profils sombres au-devant de l’incendie allumé par le soleil couchant, qui mettait le géant de granit ciselé dans une gloire de pourpre et d’or.

C’était au temps où il y eut un déluge en Bretagne ; non pas le déluge de tout le monde, mais celui qui fut exprès pour les Bretons.

Le mont Saint-Michel faisait alors partie de la terre ferme, et encore au-delà se trouvait, sur la rivière du Couesnon, la paroisse de Saint-Vinol qui est maintenant à cent brasses sous l’eau de la baie de Cancale.

Amel, fils de Raoul, gardait les troupeaux du seigneur de Saint-Vinol. Quand il eut vingt-cinq ans, il prit pour femme Penhor la Blonde, qui était dans la dix-huitième année de son âge.

Ils s’aimaient bien. Elle était bonne et jolie. Il était grand et fort, et ne craignait point sa peine : c’était lui qui portait la Vierge de l’église à la fête du mois d’août.

Elle était tout en argent, la Vierge de Saint-Vinol ; et elle était riche parce que les gens de la contrée croyaient racheter leurs péchés avec le lin, le blé et la laine qu’ils déposaient à ses pieds. Ils se trompaient ; on ne rachète les péchés que par le repentir.

Amel et Penhor n’avaient point d’enfants. Quand Amel était aux champs et que Penhor restait seule à la cabane, tristement elle pensait :

« Si j’avais sur mes genoux un cher petit qui serait le portrait vivant de mon ami, combien je serais plus heureuse ! »

Et Amel songeait en gardant les troupeaux de son seigneur :

« Si Penhor, ma bien-aimée, me donnait un cher enfant, son vivant portrait, que de joie chez nous et que d’espoir ! »

Une fois qu’Amel revenait tout soucieux des pâturages, il dit :

« Penhor, ma femme, vois-tu, ce serait de tisser un beau voile à Sainte Marie toujours vierge, elle te donnerait peut-être un petit ange à bercer. »

Croyez-vous qu’un homme puisse jamais penser le premier ? Non. C’est toujours la femme. Penhor alla chercher le voile qui d’avance était tissé plus blanc que neige et transparent comme les brumes d’été.

La mère de Dieu quand elle le vit, fut contente et l’accepta. Amel et Penhor eurent un petit enfant et s’aimèrent davantage auprès de son berceau.

Dès que l’enfant eut neuf jours, Penhor, qui était encore bien faible, le prit dans ses bras et se rendit à l’autel de la Vierge.

« Marie, dit-elle agenouillée, voici le petit trésor que vous nous avez donné ; nous vous le rendons, ô mère ! qu’il soit à vous et qu’il grandisse, promis à votre couleur céleste. Regardez-le, bonne Vierge ; nous l’avons appelé Raoul, comme le père de son père. Regardez-le bien pour le reconnaître au jour où il aura besoin de vous. »

On ne sait pas si ce fut à cause des péchés de la paroisse de Saint-Vinol ou à cause des péchés de toutes les paroisses, mais voilà qu’une nuit de grand malheur, l’eau de la rivière s’enfla comme le lait bouillant qui franchit les bords du vase. Le vent soufflait en tempête, la pluie tombait à torrents, la terre tremblait la fièvre. Toute la plaine se couvrit d’eau, et quand vit le matin on vit que ce n’était pas la rivière qui débordait, mais bien la mer.

Elle arrivait sombre, houleuse et révoltée. Elle avait rompu les barrières posées à son courroux par la main de Dieu.

Elle arrivait ; elle ne s’appelait plus la mer, mais le déluge.

L’église de Saint-Vinol étant située sur une hauteur, les inondés s’y réfugièrent, mais Amel et Penhor restèrent à la porte de leur maison, bâtie plus haut encore que l’église.

Et quand l’eau vint à eux, ils montèrent au premier étage avec le petit Raoul. Et quand l’eau les y suivit, ils grimpèrent sur le toit. L’eau les y suivit encore.

« Mon mari, dit Penhor, nous allons mourir tous ensemble.

– Non, répondit Amel.

– Eh quoi ! s’écria-t-elle, songerais-tu à nous abandonner ?

– Non », dit encore le pasteur.

L’eau venait. Il ajouta, debout qu’il était sur l’arête du toit :

« Prends notre petit Raoul, je vais t’aider à grimper le long de moi ; tu mettras tes pieds sur mes épaules et tu te tiendras ferme... »

Penhor se jeta à son cou en pleurant.

« Jamais ! dit-elle.

– Dépêche-toi, c’est pour l’enfant. En te soutenant sur moi, tu dureras un instant de plus, et peut-être que l’eau s’arrêtera. Adieu, ma chère femme ; si je meurs et que tu sois sauvée, ce sera bien… Dis-lui qu’il se souvienne de son père. »

Penhor obéit, et dès qu’elle fut montée l’eau passa sur la tête d’Amel.

Penhor, pleurant tout son cœur par ses yeux, tenait l’enfant. Quand l’eau toucha sa ceinture, elle éleva le petit Raoul, après l’avoir pressé contre sa poitrine et lui dit :

« Grimpe le long de moi, je vais t’aider. Tu mettras tes petits pieds sur mes épaules et tu tiendras ferme…

– O mère !… fit l’enfant. Je ne veux pas !

– Dépêche-toi, je le veux, peut-être que l’eau s’arrêtera. En te soutenant sur moi, tu dureras un instant de plus, et si tu es sauvé, ce sera bien… Adieu, chéri de moi, mon fils, mon cœur, souviens-toi de ton père et de ta mère. »

Elle ne parla plus, parce que l’eau couvrit sa bouche.

Au-dessus des vagues, il ne resta que la tête blonde du petit Raoul et un pli de sa robe azurée qui flottait au courant.

Or, la Vierge de Saint-Vinol, juste en ce moment, sortait par la plus haute fenêtre de l’église où tout était noyé, abandonnant sa niche submergée pour se réfugier au ciel. Elle emportait toutes ses offrandes avec elle. En prenant son vol, elle aperçut la tête blonde du petit Raoul et le pli de sa robe bleue. La Vierge s’arrêta.

« Cet enfant est à moi, dit-elle, je veux l’emporter aussi. »

Et, en effet, elle le prit par ses doux cheveux, croyant soulever aisément ; mais l’enfant était lourd, lourd pour un si petit corps, si lourd que la Sainte Vierge fut obligée de lâcher toutes ses offrandes et d’y mettre les deux mains.

Quand elle eut tout lâché, le lin, les tissus et les fleurs, elle put enfin soulever l’enfant,et alors elle ne s’étonna plus du poids qu’il pesait. Penhor, sa mère, s’attachait à lui de ses doigts mourants, et de ses doigts mourants le père s’attachait à la mère.

« Oh ! dit la Vierge, émue et joyeuse à la vue de cette grappe de cœurs, Dieu a fait de belles choses sur la terre ! »

Et dans un pan de sa robe étoilée elle mit le père avec la mère, la mère avec l’enfant ; trois amours qui n’ont qu’un seul nom : la famille.

9 janvier 2022

Pierre Bernard [Scènes de la Vie privée et publique des Animaux] : Les Animaux médecins

Ah que coucou !

Médor, un chien boiteux et mal en point, vient narrer sa mésaventure à la rédaction du journal des Animaux. Ce jour-là, c'est Renard qui est en charge de la Rédaction... naturellement il reçoit et écoute attentivement Médor, venu plutôt se plaindre pour les mauvais traitements qu'il a reçus des animaux en charge de le soigner...

Suite à cette "prise de liberté" des Animaux, ceux-ci ont décidé de suivre l'exemple des Hommes en fondant la "médecine"... évidemment, comme il s'agit là d'un domaine qu'ils n'ont jamais étudié, il faut bien débuter avec quelque chose et c'est ainsi que certains d'entre eux s'auto-proclament médecins et donnent même des cours à des animaux-étudiants...
Leurs premiers résultats sont pires que la "médecine-vétérinaire" proposée par les Hommes, selon les propos de Médor, et il semble, d'après ce que nous pouvons déduire du comportement de Renard, qu'il soit mal vu de dénoncer ces débuts non-prometteurs qui seraient plutôt, par nous, Humains, qualifiés de "mauvais traitements à animaux"...

accessible au téléchargement en cliquant ici
Format : pdf
Langue : Français


Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab

7 janvier 2022

Désiré Nisard : La Fable aux différents âges de la vie (Les Annales : Pages Oubliées)

Ah que coucou !
Pour info : le serveur où sont stockés les e-books mis en ligne sur ce blog signale un arrêt de ses serveurs ce samedi 8 janvier 2022 pour cause de maintenance "Scheduled system maintenance: Saturday, Jan 8th from 2:00 AM - 2:00 PM CDT. The system will be unavailable during this time." (si je ne fais pas erreur dans mes calculs concernant le décalage horaire, cela commence vers 10 heures et se terminera vers 22 heures). Sorry pour la gêne occasionnée indépendante de ma volonté.

Texte trop court afin d'en faire la présentation sans risque de plagier l'auteur (cliquez ici pour accéder à sa fiche personnelle de présentation sur le site de l'Académie Française), vous le trouverez en dessous de ma signature.

Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab


On lit des fables à tous les âges de vie, et les mêmes fables ; et à chaque âge elles donnent tout le plaisir qu’on peut tirer d’un ouvrage de l’esprit, et un profit proportionné.

Dans l’enfance, ce n’est pas la morale de la fable qui frappe, ni le rapport du précepte à l’exemple ; mais on s’y intéresse aux propriétés des animaux et à la diversité des caractères. Les enfants y reconnaissent les mœurs du chien qu’ils caressent, du chat dont ils abusent, de la souris dont ils ont peur ; de toute la basse-cour, où ils se plaisent mieux qu’à l’école. Pour les animaux féroces ils y retrouvent tout ce que leur mère leur en a dit, le loup dont on menace les méchants enfants, le renard qui rôde autour du poulailler, le lion dont on leur a vanté les mœurs clémentes. Ils s’amusent singulièrement des petits drames dans lesquelles figurent ces personnages ; ils y prennent parti pour le faible contre le fort, pour le modeste contre le superbe, pour l’innocent contre le coupable. Ils en tirent ainsi une première idée de la justice. Les plus avisés, ceux devant lesquels on ne dit rien impunément, vont plus loin : ils savent saisir une première ressemblance entre les caractères des hommes et ceux des animaux ; et j’en sais qui ont cru voir telle de ces fables se jouer dans la maison paternelle.

L’esprit de comparaison se forme insensiblement dans leurs tendres intelligences. Ils apprennent par le livre à reconnaître leurs impressions, à se représenter leurs souvenirs. En voyant peint si au vif ce qu’ils ont senti, ils s’exercent à sentir vivement. Ils regardent mieux et avec plus d’intérêt. C’est là, pour cet âge, le profit proportionné dont j’ai parlé.

Les fables ne sont pas les livres des jeunes gens. Ils préfèrent les illustres séducteurs qui les trompent sur eux-mêmes et leur persuadent qu’ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent, que leur force est sans bornes et leur vie inépuisable. Ils sont trop superbes pour goûter ce qu’enfants on leur a donné à lire. C’était une lecture de père de famille, dans le temps de conseils minutieux et réitérés, où le fabuliste était complice des réprimandes, et le docteur de la morale de ménage. Mais si dans cet orgueil de la vie il en est un qui, par désœuvrement ou par fatigue de quelque plaisir que son imagination avait grossi, ouvre le livre dédaigné, qu’elle n’est pas sa surprise, en se retrouvant parmi les animaux auxquels il s’était intéressé enfant, de reconnaître par sa propre réflexion, non plus sur la parole du maître ou du père, la ressemblance de leurs aventures avec la vie, et la vérité des leçons que le fabuliste en a tirées.

Le temps d’ivresse passé, quand chacun a trouvé enfin la mesure de sa taille en s’approchant d’un plus grand, de ses forces en luttant avec un plus fort, de son intelligence en voyant le prix remporté par un plus habile ; quand la maladie, la fatigue lui ont appris qu’il n’y a qu’une mesure de vie ; quand il est arrivé à se défier même de ses espérances, alors revient le fabuliste qui savait tout cela, et qui le lui dit,et qui le console, non par d’autres illusions, mais en li montrant son mal au vrai, et tout ce qu’on peut ôter de points par la comparaison avec le mal d’autrui. Vieillards enfin, arrivés au terme « du long espoir et des vastes pensées », le fabuliste nous aide à nous souvenir. Il nous remet notre vie sous nos yeux, laissant la peine dans le passé et nous réchauffant par les images du plaisir. Enfermés dans ce petit espace de jours précaires et comptés, quand la vie n’est plus que le dernier combat contre la mort, il nous en rappelle le commencement et nous en cache la fin. Tout nous y plaît : la morale, qui se confond avec notre propre expérience, de telle sorte que lire le fabuliste, c’est ranimer l’art, dont nous sommes touchés jusqu’à la fin de notre vie comme d’une vérité supérieure et immortelle ; les mœurs et les caractères des animaux, auxquels nous prenons le même plaisir qu’étant enfants, soit ressouvenir des imperfections des hommes, soit l’effet de cette ressemblance justement remarquée entre la vieillesse et l’enfance. Il est peu de vieillards qui n’aient quelque animal familier ; c’est quelquefois le dernier ami ; celui-là du moins est connu. Il souffre nos humeurs et joue avec la même grâce pour le vieillard que pour l’enfant. Le maître du chien n’a ni âge, ni condition, ni fortune ; le faible est pour le chien le seul puissant de ce monde ; le vieillard lui est enfant aux fraîches couleurs ; le pauvre lui est roi.