8 décembre 2021

Jules Janin : Une Visite académique (Les Annales : Pages Oubliées)

Ah que coucou !
 
Texte trop court pour le présenter sans plagier l'auteur. Vous le découvrez donc sous ma signature.
 

 
Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab
 

Alfred de Musset s’était paré comme aux plus beaux jours de sa première jeunesse. Il était content de lui-même et des autres, et s’en allait, tout radieux, faire une tournée électorale… académique, veux-je dire. Il avait été déjà le bien reçu par les hommes lettrés de l’Académie, et ces messieurs, étonnés de trouver ce parfait gentilhomme, en avaient été très contents. Bientôt, quittant Paris pour la campagne, il s’arrêtait à quatre ou cinq lieues de Paris, sur le seuil d’un antique château situé dans un lieu magnifique.

Le château d’Etioles était une glorieuse maison, bienveillante et lettrée, où l’ordre et le bon sens et la grande renommée avaient posé leurs tabernacles. Comme il entrait dans la longue avenue, en repassant ce qu’il voulait dire au maître de céans, le poète est abordé par un chien errant qui, trouvant l’homme à son gré, se met à le suivre à tout hasard. O misère ! à peine la porte est ouverte, cette bête immonde entre, et voilà ce bohémien de l’auberge et du grand chemin qui, sans façon, s’installe en un coin, sur le carreau brodé par la petite-fille pour sa grand’mère. Il se faisait si petit que pas un ne l’aperçut.

L’instant d’après, voici venir le maître de céans qui reçoit le poète à merveille. Il n’était pas, non, certes, de ces dédaigneux qui disent aux meilleurs écrivains : « Nous ne lisons plus, nous relisons ». Il était juste et lisait tout ce qu’il faut lire. Il était honnête homme et ne rebutait pas les juvenilia de la jeunesse. Il avait lu tous les vers du poète. « Voulez-vous, lui dit-il, faire un tour dans mon jardin ? » Ils vont au jardin ; ils parcourent le parc séculaire écorné par la Révolution française ; mais le vieillard pardonne à la Révolution, qui donnait la liberté à trente millions d’hommes. Un bel arbre où sa famille est à l’abri des ardeurs de l’été suffit au sage. Ils allèrent ainsi, le jeune homme et le vieillard. Cependant, le chien se prélassait dans le salon. Ce vagabond connaissait la campagne, et de reste ; il eût donné Meudon, Saint-Germain, Bellevue et Saint-Cloud pour un os à ronger.

En devisant, l’heure approchait où toute la famille allait se réunir.

Le vieillard présente le jeune homme à tous les siens qui lui font grand accueil.

Nous comptons bien, disait le châtelain, que M. Alfred de Musset nous fera l’honneur de dîner avec nous ?

Au mot : dîner ! voilà le maudit chien, ce pelé, ce galeux qui relève la tête et s’en vient flatter le maître du logis. Ce galant homme, s’imaginant que cette affreuse bête appartient à son hôte, lui fait à regret une petite caresse. « Il faut avouer que les poètes ont de vilains compagnons », se disait le seigneur d’Etioles. Le poète, de son côté, se disait : « Que vient faire ici ce vilain dogue ? un boucher n’en voudrait pas. »

Le dîner est servi, la dame prend le bras du poète, et le chien suit dans la salle à manger. Timide encore, il s’arrêtait sur le seuil, car c’était l’heure où d’ordinaire on le chassait à coups de pied.

La première honte étant passée, il suivit hardiment le dernier convive, et comme ils étaient gens bien élevés, pas un, de l’aïeule à l’enfant, ne témoigna la moindre surprise de cet hôte effronté. Les domestiques, se réglant sur la réserve de leurs maîtres, ne parurent pas s’apercevoir de l’introduction de cet horrible animal, déchiré aux deux oreilles, velu, crotté, pelé, avec un reste de gale au museau.

Bientôt… comme il vit que les bâtons le laissaient au repos, au contraire, enhardi par la bonne réception et par la bonne chair, et comprenant confusément qu’il y avait en tout ceci un quiproquo dont il devait profiter, cet hôte immonde envahit la salle à manger. Il se frôlait contre la vieille dame, et, d’horreur, la vieille dame laissait tomber, dans cette gueule horrible l’aile de poulet qu’elle portait à sa bouche. Il aboyait à l’enfant qui, de ses belles dents fraîches, allait mordre à sa pitance, et l’enfant se laissait dérober son dîner. Que vous dirai-je ? il n’y avait plus ni repos, ni sécurité pour personne en cette salle ou régnaient, naguère, la grâce affable et la charmante bonne humeur, si faciles à ces antiques maisons.

Seul, le bouledogue effronté régnait sur les convives, étrange roi de ce festin ! Il mangeait le pain, il buvait la viande, il aboyait… il hurlait si quelque victuaille excitait son insatiable voracité.

Au moment où l’on apportait sur un plat d’argent le rôti cuit à point, l’affreuse bête, en grognant, s’empara du rôti et disparut… « Voilà un chien de bon appétit ! », dit M. de Saint-Aulaire avec un léger soupir.

Vous pensez si l’aimable et douce causerie était dérangée par cette bête féroce ; le vieillard restait muet, le poète était interdit ; jamais repas si triste au château d’Etioles ! Et lorsqu’enfin on se leva de table, ô misère ! ô malheur ! ce parasite affreux, pour montrer sa joie, renversait un plateau de la plus belle porcelaine aux armes de Mme la duchesse du Maine ; ce chef-d’œuvre avait aussi appartenu à M. de Malézieux. « Ah ! ma tasse ! Hélas ! mon sucrier, ma soucoupe ! » Et voilà toute cette famille au désespoir, ramassant quelqu’un de ces débris précieux.

Rentré au salon, le chien vainqueur, voyant sur le canapé une mantille en dentelle noire, sauta sur la mantille et fit : « Ouf ! ah ! respirons enfin ! » Le drôle est endormi. Cette fois, le poète était perdu, bien perdu, sans un rayon d’en haut qui l’éclaira. « Monsieur le comte, s’écria-t-il, et vous, mesdames, avez-vous donc pensé que cette bête affreuse était à moi ? Et moi, stupide, je l’ai prise pour le chien de la maison ! » Un soupir d’allégeance, à cette nouvelle un peu tardive, s’exhala de ces poitrines oppressées. « Comment donc, monsieur de Musset, reprit le seigneur d’Etioles avec un charmant sourire, il est donc vrai que cette horrible bête n’est pas à vous ? »

Et, d’un geste, il ordonnait au maître d’hôtel de mettre à la porte ce mendiant fougueux. Pensez donc si le maître à l’instant fut obéi ! Réveillé en sursaut, le chien regardait tous ces gens d’un œil hagard, et ne comprenant pas comment, après tant de politesse, on le pouvait traiter avec ce sans-gêne. Aussitôt qu’il eut compris qu’il fallait déguerpir, il prit la fuite, à la façon des parasites, sans honte et sans vergogne. On les chasse, ils se consolent en songeant qu’on pouvait les chasser avant le dîner.

Délivrés de cet hôte incommode, et toute chose étant remise à sa place accoutumée, il advint que les habitants de cette maison retrouvèrent bientôt leur bonne grâce et leur sang-froid de tous les jours. Tout reparut, l’à-propos, l’enjouement, le bel esprit reprirent bien vite leur toute-puissance.

Enfin, le sourire et le rire éclatant se montrèrent de nouveau dans cette troupe heureuse de jeunes femmes et d’enfants jaseurs, pendant que le poète, à l’aise enfin dans cette hospitalière maison, s’abandonnait volontiers à son inspiration naturelle, se voyant écouté et compris.

Quand Alfred de Musset eut pris congé de son hôte illustre : « Il a bien fait, disait le vieillard, de n’être pas le propriétaire de ce triste animal ! En dépit de toute sa poésie, il n’aurait jamais eu ma voix… Et voilà à quoi cela tient ! et comme on est juste chez nous ! » disait-il en souriant.

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