7 janvier 2022

Désiré Nisard : La Fable aux différents âges de la vie (Les Annales : Pages Oubliées)

Ah que coucou !
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Texte trop court afin d'en faire la présentation sans risque de plagier l'auteur (cliquez ici pour accéder à sa fiche personnelle de présentation sur le site de l'Académie Française), vous le trouverez en dessous de ma signature.

Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab


On lit des fables à tous les âges de vie, et les mêmes fables ; et à chaque âge elles donnent tout le plaisir qu’on peut tirer d’un ouvrage de l’esprit, et un profit proportionné.

Dans l’enfance, ce n’est pas la morale de la fable qui frappe, ni le rapport du précepte à l’exemple ; mais on s’y intéresse aux propriétés des animaux et à la diversité des caractères. Les enfants y reconnaissent les mœurs du chien qu’ils caressent, du chat dont ils abusent, de la souris dont ils ont peur ; de toute la basse-cour, où ils se plaisent mieux qu’à l’école. Pour les animaux féroces ils y retrouvent tout ce que leur mère leur en a dit, le loup dont on menace les méchants enfants, le renard qui rôde autour du poulailler, le lion dont on leur a vanté les mœurs clémentes. Ils s’amusent singulièrement des petits drames dans lesquelles figurent ces personnages ; ils y prennent parti pour le faible contre le fort, pour le modeste contre le superbe, pour l’innocent contre le coupable. Ils en tirent ainsi une première idée de la justice. Les plus avisés, ceux devant lesquels on ne dit rien impunément, vont plus loin : ils savent saisir une première ressemblance entre les caractères des hommes et ceux des animaux ; et j’en sais qui ont cru voir telle de ces fables se jouer dans la maison paternelle.

L’esprit de comparaison se forme insensiblement dans leurs tendres intelligences. Ils apprennent par le livre à reconnaître leurs impressions, à se représenter leurs souvenirs. En voyant peint si au vif ce qu’ils ont senti, ils s’exercent à sentir vivement. Ils regardent mieux et avec plus d’intérêt. C’est là, pour cet âge, le profit proportionné dont j’ai parlé.

Les fables ne sont pas les livres des jeunes gens. Ils préfèrent les illustres séducteurs qui les trompent sur eux-mêmes et leur persuadent qu’ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent, que leur force est sans bornes et leur vie inépuisable. Ils sont trop superbes pour goûter ce qu’enfants on leur a donné à lire. C’était une lecture de père de famille, dans le temps de conseils minutieux et réitérés, où le fabuliste était complice des réprimandes, et le docteur de la morale de ménage. Mais si dans cet orgueil de la vie il en est un qui, par désœuvrement ou par fatigue de quelque plaisir que son imagination avait grossi, ouvre le livre dédaigné, qu’elle n’est pas sa surprise, en se retrouvant parmi les animaux auxquels il s’était intéressé enfant, de reconnaître par sa propre réflexion, non plus sur la parole du maître ou du père, la ressemblance de leurs aventures avec la vie, et la vérité des leçons que le fabuliste en a tirées.

Le temps d’ivresse passé, quand chacun a trouvé enfin la mesure de sa taille en s’approchant d’un plus grand, de ses forces en luttant avec un plus fort, de son intelligence en voyant le prix remporté par un plus habile ; quand la maladie, la fatigue lui ont appris qu’il n’y a qu’une mesure de vie ; quand il est arrivé à se défier même de ses espérances, alors revient le fabuliste qui savait tout cela, et qui le lui dit,et qui le console, non par d’autres illusions, mais en li montrant son mal au vrai, et tout ce qu’on peut ôter de points par la comparaison avec le mal d’autrui. Vieillards enfin, arrivés au terme « du long espoir et des vastes pensées », le fabuliste nous aide à nous souvenir. Il nous remet notre vie sous nos yeux, laissant la peine dans le passé et nous réchauffant par les images du plaisir. Enfermés dans ce petit espace de jours précaires et comptés, quand la vie n’est plus que le dernier combat contre la mort, il nous en rappelle le commencement et nous en cache la fin. Tout nous y plaît : la morale, qui se confond avec notre propre expérience, de telle sorte que lire le fabuliste, c’est ranimer l’art, dont nous sommes touchés jusqu’à la fin de notre vie comme d’une vérité supérieure et immortelle ; les mœurs et les caractères des animaux, auxquels nous prenons le même plaisir qu’étant enfants, soit ressouvenir des imperfections des hommes, soit l’effet de cette ressemblance justement remarquée entre la vieillesse et l’enfance. Il est peu de vieillards qui n’aient quelque animal familier ; c’est quelquefois le dernier ami ; celui-là du moins est connu. Il souffre nos humeurs et joue avec la même grâce pour le vieillard que pour l’enfant. Le maître du chien n’a ni âge, ni condition, ni fortune ; le faible est pour le chien le seul puissant de ce monde ; le vieillard lui est enfant aux fraîches couleurs ; le pauvre lui est roi.

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