4 décembre 2015

Thomas Keneally : La Liste de Schindler

Ah que coucou !

Aujourd'hui je vous propose un livre que je ne peux partager gratuitement avec vous pour des raisons de droits d'auteur. Il s'agit du livre rendu célèbre par son adaptation cinématographique signée Steven Spielberg :

Ce récit, poignant (beaucoup plus que le film car il a fallu que je m'y prenne à plusieurs fois avant de parvenir à le lire jusqu'à la fin), retrace la vie d'un résistant tchèque allemand au régime nazi : Oskar Schindler, et plus particulièrement et de façon plus détaillée, le déroulement de sa vie aux portes du ghetto de Cracovie, aux portes du camp de Plaszow, aux portes de l'enfer concentrationnaire... grâce à différents témoignages des ses proches (sa femme, sa secrétaire, "ses juifs" qu'il sauva de la mort) qui nous narrent sa prise de conscience face à la réalité cachée nazie petit à petit, son ras-le-bol de la situation, son dégoût des exactions (tous ces crimes commis soi-disant au nom du peuple allemand), sa volonté de lutter contre cet ordre établi et ses abus, pour finir sur SA victoire : celle d'avoir sauver de la mort quelques centaines de juifs polonais...

De ce livre, nous pouvons en dire beaucoup, il nous fait réfléchir sur de nombreux points qui sont malheureusement à nouveau d'actualité aujourd'hui... je laisse donc Thomas Keneally en faire la présentation (que vous trouverez en dessous de ma signature) qui sera suivi, non pas par un passage de la vie d'Oskar Schindler ou d'une de ses émotions, mais par un passage tiré du chapitre 20 concernant la liquidation du ghetto de Cracovie (âme trop sensible, s'abstenir).

Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab


A la mémoire d’Oskar Schindler et de Leopold Pfefferberg dont la persévérance a permis à ce livre d’exister


En 1980, je m’apprêtais à faire l’achat d’une valise dans un magasin de Beverly Hills, en Californie. La boutique appartenait à Leopold Pfefferberg, un des survivants du groupe Schindler. C’est là, au milieu des articles de cuir importés d’Italie, que j’ai entendu parler pour la première fois d’Oskar Schindler, Allemand bon vivant, gentleman-traficoteur, qui réussit à sauver de la mort quelques milliers d’individus appartenant à une race condamnée dans une période où l’Histoire s’écrivait Holocauste. Ce récit, je l’ai écrit après avoir interrogé cinquante des survivants du groupe Schindler dans sept pays différents – Australie, Israël, Allemagne fédérale, Autriche, Etats-Unis, Argentine et Brésil. Accompagné de Leopold Pfefferberg, je me suis rendu sur les lieux où se sont déroulés les événements : Cracovie, la ville d’adoption d’Oskar ; Plaszow, où Armon Goeth avait fait ériger son camp de travail concentrationnaire ; Zablocie, où l’on peut encore voir l’usine d’Oskar. Auschwitz-Birkenau, où Oskar recrutait sa main-d’œuvre féminine. J’ai compulsé les documents d’époque et me suis entretenu avec les quelques associés d’Oskar encore joignables et le petit groupe de ses amis d’après-guerre. Les nombreux témoignages recueillis à Yad Vashem par les « juifs de Schindler », la haute autorité du souvenir des martyrs et les héros, des écrits de sources privées ainsi que des notes et des lettres d’Oskar – quelques-unes puisées à Yad Vashem, d’autre fournies par les amis d’Oskar – m’ont servi à documenter ce récit.

Comme beaucoup d’auteurs modernes, j’ai choisi d’écrire cette histoire sous la forme d’un roman. Parce que le talent de romancier est le seul auquel je puisse prétendre, mais aussi parce que la technique du roman semblait particulièrement appropriée pour tenter de cerner un personnage aussi complexe et fascinant qu’Oskar. Cela m’a amené à relater des conversations aussi vraisemblables que possible sur la base de documents parfois très brefs. Mais la plupart des dialogues et tous les événements sont tirés des témoignages des « Schindlerjuden » (« les juifs de Schindler), de Schindler lui-même et de tant d’autres qui furent témoins des actions courageuses et secourables d’Oskar.

Je témoigne d’abord ma reconnaissance à trois survivants de la bande Schindler – Leopold Pfefferber, Moshe Bejski membre de la Cour suprême d’Israël, et Mieczyslaw Pemper – qui non seulement m’ont apporté leurs témoignages sur Oskar et m’ont fourni des documents contribuant à la rigueur de ce récit, mais qui ont aussi lu les bonnes feuilles de ce livre et suggéré des corrections. Beaucoup d’autres survivants ou associés d’Oskar après la guerre m’ont accordé des interviews et fourni des lettres et des documents. Je les cite : Frau Emilie Schindler, Mrs Ludmila Pfefferberg, Dr Sophia Stern, Mrs Helen Horowitz, Dr Jonas Dresner, Mr et Mrs Henry et Mariana Rosner, Leopold Rosner, Dr Alex Rosner, Dr Idek Schindel, Dr Danula Schindel, Mrs Regina Horowitz, Mrs Bronnisslawa Karakulska, Mr Richard Horowitz, Mr Schmuel Springmann. Certains sont décédés : Mr Jakob Sternberg, Mr Jerzy Sternberg, Mr et Mrs Lewis Fagen, Mr Henry Kinstlingre, Mrs Rebecca Bau, Mr Edward Heuberger, Mr et Mrs M. Hirschfeld, Mr et Mrs Irving Glovin, et tant d’autres. Dans ma ville même, Mr et Mrs E. Korn m’ont fourni leur témoignage sur Oskar et m’ont été d’un soutien de tous les instants. A Yad Vashem, le Dr Josef Kermisz, le Dr Schmuel Krakowski, Vera Prausnitz, Chana Abells et Hadassah Mödlinger m’ont généreusement facilité l’accès aux témoignages des survivants et aux documents vidéo et photographiques.

Enfin je salue tout particulièrement les efforts déployés par Mr Marttin Gosch, aujourd’hui décédé, pour que le nom d’Oskar Schindler reste gravé dans nos mémoires. Et je dis toute ma gratitude à sa veuve pour l’aide qu’elle m’a apportée.

Grâce à tous ces gens, l’histoire étonnante d’Oskar Schindler peut être aujourd’hui racontée.

Tom Keneally


*
*****

L’hôpital des convalescents avait été installé dans ce qui avait été, avant-guerre, un commissariat de police polonais. depuis la création du ghetto, on y avait entassé des malades sur ses trois étages. Son directeur, le Dr B…, était un médecin très réputé. Le matin du 13 mars, les Drs B… et H… avaient réussi à renvoyer la plupart des malades chez eux à l’exception de quatre, tous intransportables. L’un était un jeune travailleur atteint de phtisie galopante ; le deuxième, un musicien de talent souffrant d’une maladie incurable. Le Dr H… voulait à tout prix leur éviter le traumatisme final d’une salve meurtrière. C’était peut-être encore plus important dans le cas de l’aveugle qui venait d’être frappé d’une congestion cérébrale ou du vieillard totalement épuisé qui avait été opéré d’une tumeur intestinale.
Tous les membres de cette équipe médicale étaient d’une rare compétence. Les premiers rapports établis en Pologne sur la maladie érythroblastique de Weil et sur le syndrome Wolf-Parkinson-White avaient été faits dans cet hôpital pourtant complètement démuni. Mais, ce matin-là, c’était le problème du cyanure qui préoccupait le Dr H…
Pensant qu’il devrait peut-être recourir au suicide, le Dr H… avait constitué une petite réserve de solution d’acide cyanhydrique. Il savait que d’autres médecins avaient fait la même chose. Il faut dire que l’état de dépression mentale qui s’était abattu sur les habitants du ghetto au cours de l’année écoulée avait fini par contaminer le Dr H… un homme jeune et remarquablement vigoureux. Mais l’Histoire elle-même semblait atteinte de cancer. Savoir qu’il pouvait avoir accès au cyanure l’avait réconforté dans les moments les plus dramatiques. A cette période tardive de l’histoire du ghetto, c’était le seul produit pharmaceutique dont les médecins pouvaient encore disposer. Il n’y avait pratiquement jamais eu de sulfamides. Emétiques, éther, aspirine, tout cela avait disparu depuis un bon moment. Le cyanure était en fait le seul produit élaboré qui leur restât.
Ce matin-là, un peu avant 5 heures, le Dr H… qui dormait dans sa chambre de la rue Wit-Stowsz, avait été réveillé par le bruit des camions qui s’alignaient le long des immeubles. En s’approchant de sa fenêtre, il avait vu les Sonderkommandos en train de se rassembler près de la rivière et avait immédiatement pensé qu’une action décisive était imminente. Se précipitant à l’hôpital, il avait trouvé le Dr B… et son équipe d’infirmiers en pleins préparatifs. Les malades qui pouvaient être transportés étaient descendus au rez-de-chaussée et confiés à la famille ou aux amis. Quand tous furent partis, hormis les quatre déjà mentionnés, le Dr B… demanda aux infirmières de quitter les lieux. Ce qu’elles firent à l’exception de l’infirmière en chef. Il ne restait plus désormais dans l’hôpital, presque désert, que les Drs B… et H…, cette infirmière et les quatre malades.
Les Drs B et H… n’échangèrent que quelques rares paroles pendant toute la période d’attente. Ils avaient tous deux accès à la réserve de cyanure et chacun savait que l’autre avait eu la même idée. Le suicide, bien sûr. Mais aussi l’euthanasie. Cette idée terrifiait le Dr H… dont le visage exprimait la finesse et la sensibilité. Pour lui, l’éthique médicale n’était pas un vain mot. Il savait que n’importe quel médecin doté d’un peu de bon sens, et muni d’une seringue, pouvait établir un diagnostic extrêmement rapide du moindre mal à envisager : le cyanure ou l’abandon des malades entre les mains du Sonderkommando. Quand on en arrivait à ce point, il n’était plus question de diagnostic mais de morale. Et la morale pouvait avoir parfois des côtés bien tordus.
De temps à autre, le Dr B… allait vers une fenêtre pour voir si l’Aktion avait débuté. Ses yeux ne reflétaient rien d’autre qu’un calme professionnel. H… devinait bien que son confrère était en train de ruminer les mêmes pensées, échafaudant les mêmes solutions et ne se résignant pas à choisir. Suicide. Euthanasie. Une solution : rester, se tenir debout au milieu des lirs comme Rosalia Blau. Une autre : cyanure pour tous. B… penchait pour cette idée. Au moins, ils ne resteraient pas passifs. De plus, les trois nuits de veille qu’il venait de passer l’avaient conforté dans l’idée d’en finir.
Pour un homme aussi sérieux que le Dr H… cet état dépressif était une raison supplémentaire pour ne pas prendre le poison. On ne joue pas avec le suicide. Il l’avait appris dans son enfance studieuse, quand son père avait lu le récit des zélotes de la mer Morte qui avaient décidé de tous se donner la mort plutôt que de se rendre aux Romains. On ne devait pas entrer dans la mort comme dans un havre. Les zélotes s’étaient donné la mort en vertu d’un principe : le refus absolu de se rendre. Les principes sont les principes, bien sûr, et la terreur qui frappe une ville au petit matin est tout autre. Mais H… était un homme de principe.
Et il avait une femme. Il savait qu’il restait une issue pour lui et sa femme : les égouts qui débouchaient au coin des rues Piwna et Krakusa. Les égouts et la fuite aléatoire en direction des forêts d’Ojcow. Il redoutait cette solution plus encore que la fin rapide avec le cyanure. Si, cependant, les Allemands ou la police polonaise lui mettaient la main dessus, il passerait « l’examen », grâce au Dr Lachs. Le Dr Lachs était un célèbre chirurgien esthétique qui avait appris à un certain nombre de jeunes juifs de Cracovie à se refaire un prépuce sans acte chirurgical en attachant à la verge un poids – une bouteille contenant un certain volume d’eau qu’on augmentait chaque jour – pendant leur sommeil. Cette recette, disait Lachs, avait déjà été utilisée par les juifs au moment des persécutions romaines et il avait cru bon de la remettre au goût du jour depuis que les SS faisaient la chasse aux juifs de Cracovie. Le Dr H… avait utilisé la méthode qui s’était révélée satisfaisante. Raison de plus pour ne pas se suicider.
L’infirmière, une femme pondérée qui pouvait avoir quarante ans, vint faire son rapport matinal au Dr H… Le jeune homme se reposait calmement, mais l’aveugle frappé de congestion semblait très agité. Quant au musicien et au vieillard souffrant d’une fistule anale, ils avaient eu une nuit épouvante.
Pourtant, tout était calme à présent. On n’entendait que quelques chuintements des malades encore à demi endormis et quelques râles de douleur. Le Dr H… se rendit sur le balcon situé au-dessus de la cour pour fumer une cigarette et ressasser le problème.
L’année précédente, le Dr H… avait exercé dans l’ancien hôpital des maladies contagieuses, situé dans la rue Rekawka, quand les SS décidèrent de boucler cette partie du ghetto et de transférer l’hôpital. Ils avaient aligné le personnel contre un mur pendant qu’ils précipitaient les malades au rez-de-chaussée. H… avait vu la vieille Mme Reisman, une jambe coincée entre deux montants de l’escalier, tandis qu’un SS continuait à tirer sur l’autre jambe jusqu’à ce qu’on entendit le craquement sec de l’os qui cassait. C’était leur façon de déplacer les malades du ghetto. Mais, l’an dernier, personne ne songeait au suicide. Chacun espérait encore que les choses iraient en s’améliorant.
Aujourd’hui même si lui et le Dr B… parvenaient à une décision, H… ne savait pas s’il aurait le courage d’administrer le cyanure aux malades. Son débat intérieur était aussi absurde que celui du jeune homme qui se demande s’il doit aller faire une proposition à la fille dont il est éperdument amoureux. Une fois qu’il a pris sa décision, il n’en est pas plus avancé pour autant. Il faut encore passer à l’acte.
C’est là, sur le balcon, qu’il entendit les premiers bruits, les raus ! raus ! hurlés dans les mégaphones, les mensonges habituels à propos des bagages auxquels certains voulaient encore croire. Dans les rues désertes et même au plus profond des logements où chacun se tenait figé, on pouvait percevoir une rumeur sourde et terrifiante qui montait de la Place Zgody jusqu’à la rue Nadwislanka, le long du fleuve. H… lui-même fut pris de frissons.
Puis il entendit la première salve. Ensuite quelques cris stridents, des hurlements au mégaphone pour faire taire une voix de femme. Les gémissements furent interrompus par une nouvelle salve, remplacés par d’autres gémissements d’une nature différente, que laissait échapper le troupeau affolé poussé par les SS, par les auxiliaires OD anxieux de se faire bien voir, et par les retardataires qui voulaient échapper aux coups. Le bruit diminua peu à peu au fur et à mesure qu’on poussait le troupeau vers l’autre bout du ghetto, là où se trouvait le portail. Même le musicien plongé dans sa torpeur pré-comateuse ne pouvait pas ne pas avoir entendu.
Quand le Dr H… revint dans la salle, il vit que tous le regardaient, y compris le musicien. Il pouvait sentir plutôt que voir les corps tendus à l’extrême dans les lits. Le vieillards opéré des intestins se mit à haleter d’une voix faible : « Docteur, docteur ! » D’autres gémissaient. « Allons, s’il vous plaît », dit le médecin. Ce qui voulait dire : « Je suis là, et ils sont encore loin ». Il regarda le Dr B… qui fronça les sourcils au moment où le bruit repris, plus rapproché cette fois-ci. Le Dr B… lui fit un signe de tête, puis se dirigea vers le petit placard à pharmacie situé au fond de la salle pour revenir avec une bouteille de cyanure. Après un bref moment, H… s’approcha de son collègue. Il aurait pu rester là où il était et laisser à B… le soin de faire le sale boulot. Il devinait que l’homme avait suffisamment d’énergie pour agir seul sans avoir besoin de sa caution. Mais pouvait-il s’abstenir ?
- Bon, dit le Dr B… en montrant la bouteille à H…
Les cris et les ordres qui parvenaient maintenant de la rue Jozefinska avaient noyé cette simple parole. Le Dr B… appela l’infirmière.
- Donnez à chacun quarante gouttes dilues dans un peu d’eau.
- Quarante ? dit-elle.
Elle savait quel type de remède c’était.
- C’est cela, répondit le Dr B…
Le Dr H… lança un long regard à l’infirmière comme pour dire qu’il approuvait désormais, qu’il avait recouvré ses esprits, qu’il aurait pu administrer les doses lui-même. Mais s’il le faisait, les malades seraient sur leurs gardes. Ce sont les infirmières qui donnent les médicaments.
Pendant que l’infirmière préparait le mélange, H… traversa la salle pour aller réconforter le vieillard.
- J’ai quelque chose qui va vous soulager, Roman, dit-il en lui posant la main sur le bras.
Comment ce vieil homme a-t-il pu en arriver là ? s’étonnait-il au contact de sa peau ridée. Il s’imaginait le jeune Roman usant ses fonds de culotte sur les bancs d’école de la Galicie rattachée à l’empire austro-hongrois, puis l’adolescent roulant les mécaniques dans les rues de Cracovie, la petite Vienne de la Vistule, et encore la jeune recrue partant en manœuvres sous l’uniforme de François-Joseph. Sans doute avait-il ensuite emmené des jeunes filles dans les salons de thé de Kazimierz, la ville célèbre pour ses dentelles et ses pâtisseries ! Sans doute avait-il grimpé avec certaines d’entre elles sur la colline de Kosciuszko dans l’espoir de leur voler un baiser derrière les buissons ? Comment le monde avait-il pu basculer si vite en l’espace d’une vie ? Comment avait-on pu passer de François-Joseph au sous-officier qui avait la caution de ses chefs pour tuer Rosalia Blau et les petites filles atteintes de rougeole ?
- S’il vous plaît, Roman, dit le médecin pour que le vieil homme se décontracte.
Il pensait que le Sonderkommando serait là dans moins d’une heure. Le Dr H… fut un moment tenté de mettre Roman dans le secret, mais y renonça. Le Dr B… avait prescrit plus que la dose nécessaire. Le souffle coupé pendant quelques secondes, une stupeur passagère, tout cela ne devrait pas constituer des sensations biens nouvelles ou trop intolérables pour le vieux Roman.
Quand l’infirmière arriva avec ses quatre verres, aucun des malades ne lui demanda ce qu’ils contenaient. Le Dr H… ne saurait jamais si l’un d’entre eux avait compris. Il se retourna et regarda sa montre. Il craignait qu’au moment où ils allaient ingurgiter la dose, il n’y ait des bruits anormaux, différents de ceux que fait ordinairement un malade quand il absorbe un quelconque médicament. Il entendit l’infirmière murmurer : « Tenez, c’est pour vous », puis quelqu’un prendre une grande inspiration. Etait-ce l’infirmière ? Etait-ce un malade ? « Cette femme est vraiment l’héroïne du jour », pensa-t-il.
Quand il se retourna à nouveau, il vit l’infirmière en train de réveiller le musicien pour lui donner le verre. Le Dr B… qui avait enfilé une nouvelle blouse blanche regardait la scène à l’autre bout de la salle. Le Dr H… vint au chevet de Roman pour lui prendre son pouls. Il ne battait plus. Un peu plus loin le musicien s’efforçait d’ingurgiter cette curieuse mixture au goût d’amande.
Tout alla aussi simplement que H… l’avait espéré. Il les regarda – la bouche entrouverte mais pas de façon obscène, les yeux vitreux et désormais immunisés, les têtes en arrière et les mentons dressés vers le ciel – avec ce sentiment d’envie que tous les habitants du ghetto devaient ressentir pour ceux qui avaient réussi à s’échapper.


La Liste de Schindler, chapitre 20,
Thomas Keneally

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