14 septembre 2013

Mythes et Légendes de la Grèce antique : Oreste

Ah que coucou !
 
Vous avez certainement gardé en mémoire la narration d’Eduard Petiška sur la guerre de Troie (pour y accéder directement, cliquez ici) qui n’est certes pas aussi longue que celle qu’Homère avait faite à son époque tout en restant assez complète… le narrateur nous avait laissés sur un résumé succinct de ce qu’advint de ces Grecs victorieux quand ils revinrent chez eux après dix années d’absence. Et bien aujourd’hui je vous propose le récit un peu plus détaillé du retour de ce grand monarque mycénien qu’était Agamemnon qui se fit assassiner quasi dès son arrivée par sa femme et son cousin et que son fils Oreste vengea quelques longues années plus tard…
 
Les ruines de la cité vaincue de Troie se profilaient tristement dans le ciel et seuls les oiseaux de proie à la recherche de charognes rompaient le silence de leurs cris. Pourtant la côté était encore animée. Les Grecs chargeaient leur butin sur les navires qui débordaient d’or, de vêtement précieux et d’objets en argent. Les troupes de femmes emmenées en esclavage encombraient les ports. Les uns après les autres, les bateaux fendaient les vagues écumantes et quittaient à jamais le rivage dévasté.
Le roi Agamemnon, descendant de la famille de Tantale, et qui avait commandé l’expédition punitive contre Troie, rentrait aussi chez lui avec sa suite. Pendant les dix années qu’avaient duré le siège de la ville, il n’avait pas vu son pays natal de Mécènes. Il ne pouvait imaginer que ce retour serait sa perte.
Egisthe, cousin d’Agamemnon, avait longtemps convoité son trône et cherché le moyen de s’en emparer. Il n’avait pas pris part à la guerre mais était resté à Mycènes. L’absence du roi avait favorisé ses projets. Grâce à de fourbes conseils et à de sournoises flatteries, il avait gagné les faveurs de la reine Clytemnestre au point que celle-ci lui promit son aide. En son cœur, elle ne pouvait pardonner à son époux le sacrifice de leur fille Iphigénie.
Pour servir ses noirs desseins, Egisthe plaça des sentinelles le long de la côte.
« Surveillez attentivement l’horizon et la mer, » leur recommanda-t-il. « Et allumez un feu si vous apercevez dans le lointain les voiles de la flotte royale. La fumée me signalera, au palais, qu’Agamemnon revient. »
Bientôt des flammes s’élevèrent sur le rivage. Le traître comprit alors que le moment fatal approchait. Clytemnestre, prévenue à temps, décora promptement le palais pour célébrer le retour de son mari et ordonna aux serviteurs de dérouler des tapis rouges sur le chemin menant à la demeure royale. La grande nouvelle se répandit à travers toute la ville et le peuple se rassembla sur le passage du fameux guerrier.
Aussitôt débarqué, Agamemnon embrassa son sol natal. Un char l’attendait sur le port. Le roi arriva bientôt à Mycènes, où l’acclamait une foule nombreuse. La reine, souriante, sortit l’accueillir en simulant une joie profonde. Elle l’invita à fouler le tapis pourpre et à faire dans son palais une entrée solennelle. Le souverain, agréablement surpris par tant d’honneurs, entra dans le palais.
« Tu dois être épuisé après ton voyage », lui dit Clytemnestre, « aussi ai-je ordonné aux servantes de te préparer un bain. »
Agamemnon, touché par la sollicitude de sa femme, la remercia. A peine s’était-il dévêtu et avait-il déposé ses armes qu’Egisthe et la reine se jetèrent sur lui et le mirent à mort.
Les cris du roi franchirent les murailles du palais et créèrent une grande confusion parmi le peuple. Les plus prudents conseillèrent d’appeler les autres citoyens à la rescousse, mais les plus téméraires se saisirent de leurs épées et se précipitèrent dans le palais.
« Ils ont assassiné le roi ! » criaient-ils tous, « Egisthe veut s’emparer du pouvoir ! »
Mais le traître avait prévu une telle révolte et s’était bien préparé à y faire face. Ses hommes armés repoussèrent facilement les assaillants mal organisés et firent triompher la volonté de leur maître.
Egisthe s’était emparé du trône par la force : c’est sur elle qu’il assit son pouvoir. Il prit la place du défunt souverain et épousa Clytemnestre.
Agamemnon laissait comme descendance un jeune fils et deux filles. L’aînée, Electre, craignant pour la vie de son jeune frère, le fit partir en cachette chez un parent éloigné en lui demandant de l’élever. La plus jeune, qui avait un caractère plus faible que sa sœur, obéit à sa mère sans se poser trop de questions. Mais à Electre chaque pièce du palais rappelait le meurtre de son père et elle ne pouvait voir sans horreur Egisthe revêtir le manteau de pourpre du défunt. Sans cesse, elle reprochait son forfait à Clytemnestre tandis que celle-ci la traitait en esclave. Personne n’aurait pu croire que cette maigre jeune fille aux vêtements minables était l’enfant du roi Agamemnon ; elle travaillait au palais comme une servante.
Pendant sept ans l’usurpateur régna avec Clytemnestre, pendant sept ans Electre supporta ses souffrances.
Seule la pensée de son frère la soutenait dans son chagrin. Elle était sûre qu’Oreste reviendrait venger son père. Mais les jours, les mois et les années passaient et Electre commençait à perdre confiance.
Alors qu’elle allait atteindre le fond du désespoir, elle vit un vieillard inconnu pénétrer dans la ville. Deux jeunes gens l’accompagnaient, et bien que tous trois fussent recouverts de poussière, et vinssent manifestement de faire un long voyage, ils ne s’arrêtèrent dans aucune auberge mais allèrent droit au palais royal, devant lequel ils s’arrêtèrent. Le vieillard se tourna vers l’un de ses compagnons et lui dit :
« Ecoute bien, Oreste, ce que je vais te dire, moi, ton père nourricier. Tu ne reconnais pas ta patrie et les citoyens ne se souviennent pas de toi. Pourtant tu es devant le palais de ton père, le fameux Agamemnon. C’est le félon Egisthe, dont les mains sont tachées de sang, qui règne à sa place. Mais la vengeance est proche. Va avec Pylade t’incliner devant la tombeau du roi défunt. Moi, je vais m’introduire chez la reine ainsi que nous en avons convenu. »
Oreste obéit à son père adoptif et partit avec Pylade, son fidèle ami d’enfance, se prosterner devant le coin de terre qui avait reçu la dépouille d’Agamemnon.
Le vieillard surprit la reine au palais tandis qu’à son habitude elle réprimandait Electre.
« Je cherche le roi, » dit-il, « j’ai de bonnes nouvelles pour lui ».
« Egisthe est absent », répondit-elle, « mais si les révélations que tu veux lui faire sont agréables pour lui, elles le sont aussi pour moi puisque je suis sa femme. »
« Rien ne pourrait te faire davantage plaisir, » rétorqua-t-il dans un sourire : « Oreste est mort. »
A ces mots, Electre poussa un cri et éclata en sanglots. Elle apprenait la disparition de son frère, alors que depuis tant d’années elle attendait son retour ! Qui donc allait venger son père ?
Quant à Clytemnestre, elle réprima difficilement un soupir de soulagement. Depuis sept ans elle craignait qu’il ne revienne la punir de son forfait. La veille même, elle avait rêvé de son châtiment et s’était réveillée le front trempé de sueur. Mais elle s’était inquiétée inutilement, puisqu’Oreste était mort !
« Parle, parle ! » pressa-t-elle le vieillard, « raconte-moi la mort de mon pauvre fils. »
« Il gagnait très souvent les compétitions sportives, mais la dernière lui a été fatale. Pourtant au début nous pensions tous qu’il serait une fois de plus victorieux, car il était le champion des conducteurs de chars à deux roues. Les chevaux s’étaient élancés en soulevant un nuage de poussière, Oreste et les autres concurrents étaient en train de contourner le poteau qui marquait le point le plus éloigné du circuit et revenaient au triple galop. Alors l’attelage de l’un des participants devint fou et entra en collision avec celui qui le suivait. Les autres jeunes conducteurs en purent s’arrêter à temps à éviter de se mêler à l’accident. Ce fut bientôt une bouillie de chars, d’hommes et de bêtes. Seul Oreste échappa au massacre et il se hâta de gagner l’arrivée. Ses chevaux s’élancèrent comme des flèches, mais son char heurta le poteau et se fracassa. Oreste tomba. Dans sa chute, il s’empêtra dans ses brides qui lui serrèrent le cou. Ce fut long et difficile d’arrêter son attelage, et c’est ainsi qu’il mourut couvert de sang et traîné dans la poussière par ses propres chevaux. »
Electre ne put supporter cette description et s’enfuit du palais pour pleurer seule sans être vue.
A la fin de ce récit, Clytemnestre rayonnait de bonheur. Elle invita le messager à sa table et ordonna qu’on lui apporte à manger et à boire. Le père adoptif d’Oreste accepta sans sourciller ces marques d’honneur.
« Je serais heureux d’attendre le retour du roi, » dit-il, « et de lui confirmer la nouvelle. D’ailleurs deux jeunes gens vont apporter l’urne contenant les cendres d’Oreste.
La reine servit elle-même son invité et continua à le questionner. Chacune des réponses de l’étranger la rassurait sur son avenir.
Pendant ce temps Electre, cachée dans une pièce du palais, se demandait si elle ne ferait pas mieux de mourir. Elle aurait volontiers vengé son père elle-même si sa fatigue ne l’avait pas empêchée de soulever une épée. Sa sœur la découvrit ainsi accablée par ses tristes pensées.
« Electre », s’écria-t-elle joyeusement, « je suis allée sur la tombe de notre père, et devine ce qu’il y avait dessus ? Quelqu’un y avait apporté des fleurs et au milieu des guirlandes il y avait une bouche de cheveux exactement de la même couleur que les tiens. Personne d’autre qu’Oreste n’aurait pu faire cela. Qui d’autre aurait sacrifié une mèche ? Je suis follement heureuse, ma chère sœur. Nous allons sûrement voir notre frère aujourd’hui et tu cesseras de te tourmenter ! »
Electre l’écouta avec stupéfaction. Fallait-il la croire ou faire confiance à l’étranger ? Et qui aurait pu déposer une boucle de cheveux sur la tombe de son père ?
Ce nouvel espoir lui donna de nouvelles forces. Si Oreste était là, l’heure de la revanche avait sonné. C’est pourquoi elle ne troubla pas sa cadette avec le récit du vieillard. Dans son agitation et son espoir de revoir son frère, elle sortit sur les marches du palais.
C’est juste à ce moment qu’arrivèrent Oreste et Pylade. La jeune fille ne put reconnaître, après tant d’années de séparation, celui qu’elle attendait. Lui non plus ne prêta pas attention à sa sœur si pauvrement vêtue, mais il lui adressa la parole comme à une servante :
« Emmène-nous chez la reine et dis-lui que nous lui rapportons l’urne funéraire de son fils. »
Alors Electre remarqua l’urne que le jeune homme tenait dans ses mains et ses yeux se remplirent de larmes. Elle enlaça le récipient aussi tendrement qu’elle aurait enlacé son frère, et gémit :
« Ainsi c’est donc bien vrai ! Mon frère revient, mais il n’est que cendres et silence. Pourquoi ne suis-je pas morte à sa place ? Le robuste Oreste est mort et la faible Electre vit. Quelle sera la joie du palais ! Les meurtriers peuvent dormir tranquilles, moi seule étoufferai de chagrin. »
Le jeune homme reconnut alors sa sœur et devant sa douleur ne put continuer à jouer la comédie.
Prenant pitié d’elle, il lui chuchota :
« N’embrasse pas l’urne, les cendres d’Oreste n’y sont pas. »
« Mais où sont-elles donc, où est-il enterré ? » demanda-t-elle avec surprise.
« Nulle part, parce que l’usage interdit que l’on enterre les vivants. »
« Oreste est vivant ? » répéta-t-elle avec méfiance en regardant l’étranger.
Alors celui-ci lui montra sa main ornée d’une bague qu’elle lui avait donnée au moment de son départ. Electre le dévisagea avec insistance et reconnut son frère. Une joie folle s’empara d’elle et elle cria :
« Oreste est vivant, il est vivant ! »
Le vigilant père adoptif l’entendit et se précipita hors du palais. L’exclamation d’Electre avait hâté l’accomplissement du plan.
« Dépêche-toi, Oreste, ton heure est venue ! » cria-t-il à son protégé. Le jeune homme dégaina son épée et bondit à l’intérieur du palais suivi de sa sœur.
Clytemnestre se tenait pétrifiée au milieu de la pièce comme si elle avait été taillée dans le marbre. Elle aussi avait entendu le cri de sa fille et à la vue d’Oreste qui accourait suivi de sa sœur, elle comprit que le fils venait venger son père.
Le prince s’arrêta devant elle mais son père adoptif et Electre s’employèrent à raviver sa haine, alors il leva son épée et tua sa mère.
Etourdi par l’acte affreux qu’il venait de commettre, il tenait toujours son arme à la main quand Egisthe entra précipitamment. Il avait appris par les serviteurs la mort d’Oreste et se hâtait de venir écouter le récit de sa fin. Mais à la place de l’urne il vit la malheureuse Clytemnestre avant de tomber, frappé à son tour, par le bras vengeur.
A peine le peuple de Mycènes avait-il appris le retour du jeune prince et le châtiment qu’il avait infligé aux meurtriers d’Agamemnon que la foule commença à se rassembler aux portes du palais. Tous voulaient souhaiter la bienvenue au fils de leur roi héroïque.
Un homme titubait en sortant du parc. Il ne faisait pas attention à personne mais agitait les bras pour chasser des démons invisibles. Cet homme était Oreste : dès qu’il avait accompli sa vengeance, les Erinyes, déesses chargées de punir les parricides, s’étaient emparées de lui. Elles tournoyaient autour de sa tête en lui chantant un chant affreux au sujet de la mort de sa mère et des larmes de sang coulaient de leurs yeux.
Le peuple fut confondu d’horreur à la vue du malheureux prince. Les Erinyes le pourchassaient partout. Il dut quitter Mycènes, et erra à travers le monde. Le terrible chant des déesses l’accompagnait partout et le remplissait de désespoir.
Son fidèle ami Pylade ne l’abandonna pas. Ensemble, ils allèrent consulter l’oracle de Delphes pour savoir comment se débarrasser des cruelles Erinyes.
« Allez en Tauride », leur fut-il répondu, « et rapportez la statue d’Artémis qui est tombée des cieux ».
Suivant ce conseil les deux compagnons se mirent en route vers le lointain pays. Un roi cruel y régnait. Tous les étrangers qui étaient capturés sur ses terres étaient sacrifiés à la déesse Artémis. Oreste et Pylade savaient quel sort les attendait s’ils échouaient dans leur mission, aussi restèrent-ils cachés pendant le jour et ne marchèrent-ils que pendant la nuit. Aidés par l’obscurité, ils se préparaient à enlever la statue.
Ils se glissèrent dans le temps mais commirent l’imprudence d’échanger quelques paroles qui éveillèrent les gardes. Ainsi ils furent capturés et traînés devant le souverain dès le lendemain matin. Celui-ci les condamna aussitôt à être sacrifiés à la déesse Artémis.
Sans plus attendre, ils furent emmenés jusqu’à l’autel devant lequel ils durent s’agenouiller tandis qu’une prêtresse brandissait au-dessus de leurs têtes un glaive acéré. A cet instant Oreste, se souvenant de sa sœur Iphigénie qui avait été aussi autrefois immolée à la même divinité, murmura comme un adieu à la vie :
« Iphigénie ».
La prêtresse entendit son nom et sa main retomba, inerte. Elle se retourna vers le roi et lui dit :
« De mauvais présages m’ordonnent de remettre le sacrifice à plus tard. Que les gardes reconduisent les prisonniers. Demain, la déesse acceptera sûrement ton offrande. »
Le roi fut déçu mais il ne voulut pas s’opposer à la volonté divine.
Oreste et Pylade se relevèrent. La prêtresse s’approcha d’eux et demanda doucement au malheureux prince :
« Comment connais-tu ce nom ? »
« Iphigénie était ma sœur », répondit-il, « et elle mourut de la même façon que nous allons périr demain. »
La jeune femme se retint difficilement d’embrasser Oreste et lui murmura avec émotion :
« Je suis ta sœur Iphigénie. Au moment de mon exécution la déesse m’a fait transporter ici par un nuage et depuis des années je lui sers de prêtresse. N’aie pas peur, ô mon frère, je te sauverai ! »
Cette nuit-là, les étoiles scintillèrent pour montrer leur chemin à trois fugitifs : Oreste, Pylade et Iphigénie fuyaient la Tauride en emportant la statue de la déesse Artémis pour que l’âme du prince trouve enfin la paix.
Mais pendant longtemps les Erinyes chantèrent encore leur horrible chant aux oreilles d’Oreste. Enfin Pallas Athéna prit pitié de lui et fit cesser son châtiment. Les déesses s’envolèrent et Oreste monta sur le trône de Mycènes.
Le chant des Erinyes ne s’éleva plus, mais celui qui l’avait entendu une fois peut-il l’oublier ?
 
Que nous enseigne ce mythe à nous, les Hommes du 21e siècle ? D’abord il illustre bien cette maxime populaire qui dit « qui va à la chasse, perd sa place » (que nous pourrions transposer ici par « qui part à la guerre, perd famille et couronne »), tout comme l’absence n’atténue pas la douleur/colère mais l’amplifie au point qu’on veuille tuer cet être qui était cher (illustré par la reine Clytemnestre qui s’allie avec Egisthe, le cousin d’Agamemnon… tandis que la première pense venger le meurtre de sa fille Iphigénie, le second vole le trône… ce qui met en danger les descendants d’Agamemnon (surtout son fils Oreste qui aurait dû hériter du trône de son père)). Ce mythe insiste aussi sur le fait que même si un enfant a de bonnes raisons pour tuer un de ses parents (Oreste tue Clytemnestre, sa mère car elle a tué Agamemnon, son père), il est toutefois coupable de parricide et doit être châtié en conséquence (les Erinyes chantent aux oreilles d’Oreste leurs chansons affreuses).
 
La prochaine fois nous verrons l’histoire de cette fameuse odyssée que fit Ulysse pour regagner son royaume d’Ithaque… qui, elle aussi, est très riche d’enseignement…
 
Bisous,
@+
Sab

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