7 septembre 2021

Paul de Saint-Victor : Les Nains (Les Annales : Pages Oubliées)

Ah que coucou !
 
Nouvelle trop courte pour vous la présenter sans plagier son auteur :
 

Vous la trouverez sous ma signature...

Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab


Les rois du Moyen Âge jouèrent au pantin avec leurs nains familiers. Ils en firent des marottes vivantes que, d’un geste, ils mettaient en branle. La Renaissance raffola des nains ; elle s’en servit dans ses fêtes comme de repoussoirs pittoresques. La marionnette humaine enrubannée, brodée, attifée de perles et de brimborions exotiques, eut alors le prix d’un rare objet d’art. Le nain figure dans tous les galas de l’Europe ; il porte la queue du manteau doré de Venise, il tient le papegai de ses patriciennes sur le poing. Il se roule avec les chats, sous la table des Banquets de Paul Véronèse ; il galope à califourchon sur les lévriers des rois et des princes. Il taquine leurs singes, il nargue leurs courtisanes, il a sa niche sous le trône et son escabeau au festin royal. La femme en fait son garde-du-corps ; elle aime à traîner en laisse après elle un nabot aux jambes torses et au nez camard. Cela rehausse sa taille de nymphe et sa beauté de déesse ; cela lui donne l’air d’une fée servie par un monstre. Un nain fut servi ans un pâté au repas nuptial d’un électeur de Bavière. Il en sortit armé de pied en cap, par la brèche du gâteau brisé, tira sa rapière, s’escrima contre les plats, tailla en pièces un verre de Bohême, coupa la tête d’un faisan, et alla offrir son trophée à l’électeur, un genou en terre, aux éclats de rire germaniques de l’assistance avinée. On faisait toutes sortes d’expériences in animâ vili sur ces bestioles à deux pieds, on essayait de perpétuer leur race exiguë. La femme d’un électeur de Brandebourg collectionnait des nains et des naines qu’elle accouplait comme des colibris. Au XVIIesiècle, la cour de Russie, toute barbare encore, mit en action un conte de Perrault. La princesse Nathalie, sœur de Pierre Ier, maria solennellement son nain et sa naine. Tous les myrmidons de l’empire furent conviés aux noces ; on les affubla d’habits de cérémonie, on les emballa, quatre par quatre, dans quinze carrosses microscopiques, et le petit cortège, escorté de grenadiers gigantesques, défila solennellement par la ville. Le soir, il y sut au Kremlin grande dînette et bal enfantin. Cela rappelle ces bonbonnières enchantées que les fées donnent à leurs filleules. De la boîte ouverte s’échappent, en sautillant, des chambellans rabougris, toute une cour atomistique ; la miniature d’une maison princière.

Il y eut aussi des nains héroïques. Corneille Lithuanie, le bouffon de Charles Quint, bataillait bravement dans ses guerres. Un insigne exploit fut le duel du nain de la reine Henriette d’Angleterre, Jeffery Hudson, surnommé lord Minimus, avec un colosse allemand nommé Croft, qui pouffait de rire chaque fois que le petit passait à la hauteur de sa botte. Jeffery se fâche et défia son adversaire en champ clos. L’Allemand se présenta sur le terrain armé d’une seringue. Mais, à cette insulte nouvelle, le nain prit feu comme un grain de poudre, et entra dans une si furieuse bouffée de colère que Croft fut obligé de prendre au sérieux son cartel. On se battit à cheval et au pistolet. La pierre à fusil de l’arme du nain était sans doute un morceau de caillou qui tua Goliath, car il étendit, du coup, le Titan mort sur le carreau.

La mode des nains passa comme celle des carlins. Le dernier fut le Bébé du roi Stanislas qui, après avoir régné en Pologne, vint s’asseoir à Nancy sur un bout de trône. Cet à-peu-près d’homme était en harmonie avec cet abrégé de royaume ; le favori était proportionné à la cour. Un nain et un roitelet, cela doit s’entendre et faire bon ménage. Aussi Stanilas pleura-t-il Bébé, lorsqu’il mourut à vingt-trois ans d’une maladie d’oiseau-mouche. « Pauvre fou, dit le roi Lear à son bouffon fidèle qui tremblote de froid derrière lui, pauvre fou ! Il est encore une partie de mon cœur qui souffre pour toi ! »

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