25 mars 2017

Richard Brautigan [La Vengeance de la Pelouse] : Incendie de radio, au bord du Pacifique

Ah que coucou !

A nouveau une trop courte nouvelle pour vous la proposer au téléchargement. Vous la trouverez donc au-dessous de ma signature :


Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab

Le plus grand océan au monde commence ou finit à Monterey en Californie. Ca dépend quelle langue on parle. La femme de mon ami venait de le quitter. Elle est simplement sortie, sans même dire au revoir. Nous sommes allés acheter deux bouteilles de porto, et nous nous sommes mis en route pour le Pacifique.
C’est une vieille chanson que l’on entend sur tous les juke-boxes en Amérique. Ca fait si longtemps qu’on l’entend que la poussière elle-même de l’Amérique s’en est imprégnée, et elle est posée sur toute chose, et a transformé les chaises, les voitures, les jouets, les lampes et les fenêtres en des millions de tourne-disques qui reversent cette chanson dans nos cœurs brisés.
Nous nous sommes assis sur une petite plage qui formait comme un coin, entourée de gros rochers de granite et de l’immensité de l’océan Pacifique avec tous ses vocabulaires.
Nous écoutions de la musique rock and roll sur son transistor, en buvant du porto, l’air sinistre. Nous étions tous les deux désespérés. Je ne savais pas ce qu’il allait faire du reste de sa vie.
J’ai pris une autre gorgée de porto. Il passait à la radio une chanson des Beach Boys sur les filles de Californie. Ils les aimaient bien.
Ses yeux étaient des tapis humides et meurtris.
Comme une espèce d’étrange aspirateur, j’ai essayé de le consoler. Je récitais les sempiternelles litanies que l’on répète quand on essaie d’aider un cœur brisé, mais les mots n’y font rien.
Ce qui fait la différence, c’est d’entendre une autre voix humaine. Rien de ce qu’on peut dire ne rendra jamais heureux le type qui se sent dans une merde noire parce qu’il a perdu celle qu’il aime.
Il a fini par mettre le feu au poste. Il a empilé du papier tout autour. Il a craqué une allumette. Assis là, nous l’avons regardé. Je n’avais encore jamais vu personne mettre le feu à un poste de radio.
Tandis que la radio se consumait doucement, les flammes se sont mises à modifier les chansons que nous écoutions. Un disque qui était numéro un au hit-parade des quarante premiers rentrait en lui-même et tombait à la treizième place. Une chanson qui était neuvième devenait vingt-septième au milieu d’un refrain qui parlait d’amour. Elles dégringolaient ainsi que leur popularité comme des oiseaux blessés. Puis il fut trop tard pour toutes.

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