7 juillet 2014

Antonine Maillet : Pélagie-la-Charrette

Ah que coucou !

Aujourd'hui je vous propose d'aller faire un tour en Acadie et de voyager avec ces Acadiens qui avaient été déportés dans les états du sud des Etats-Unis et qui regagnent la terre de leurs aïeux où les Anglais sont les nouveaux maîtres... oui, nous allons les accompagner dans cette période de l'après Grand Dérangement (pour avoir plus d'information concernant cette période de l'histoire québécoise, cliquez ici) :
 
pour une question de droits d'auteur,
je ne peux pas proposer cet ouvrage gratuitement
Par contre je vous en propose le prologue comme extrait, en dessous de ma signature
 
Dans lequel nous faisons connaissance de Pélagie (surnommée Pélagie-la-Charrette), la chef de cette caravane, le capitaine Beausoleil-Broussard (amoureux de Pélagie il tente à ce qu'elle le rejoigne sur son quatre-mâts), Bélonie-le-Vieux (le chroniqueur de la caravane), Célina la guérisseuse, Catoune l'orpheline, et diverses personnes comme Jeanne Bourgeoise, Jeanne Aucoin, Bélonie-le-Jeune, Alban, Pacifique, etc. Pendant ces quelques années que durent leur odyssée, nous les accompagnons dans leur vie quotidienne, dans leurs joies, leurs malheurs, leurs peines, leurs rires... depuis la Géorgie jusqu'en Acadie où ils se séparent afin de rejoindre chacun leur coin d'Acadie...
 
Bonne lecture !
 
Bisous,
@+
Sab
 
PROLOGUE
 
Au dire du vieux Louis à Bélonie lui-même, ce rejeton des Bélonie né comme moi de la charrette, seuls ont survécu au massacre des saints innocents, les innocents qui ont su se taire. N’éveille pas l’ours qui dort, qu’il dit, surtout pas l’ours qui dort sur le marchepied de ton logis. C’est pourquoi l’Acadie qui s’arrachait à l’exil, à la fin du XVIIIe siècle, est sortie de ses langes tout bas, sans vagir ni hurler, sans même se taper dans les mains. Elle est rentrée au pays par la porte arrière et sur la pointe des pieds. Quand le monde s’en est aperçu, il était trop tard, elle avait déjà des ressorts aux jambes et le vent dans le nez.
Un nez comme celui de Pélagie-la-Gribouille, entre autres, qui sort du bois un siècle plus tard pour renifler l’air une petite affaire, le temps de sentir le temps qu’il fait. Le temps est au beau, la vie peut recommencer. Et la gueuse crie aux autres de sortir de leur trou et de venir prendre leur place au soleil. Elle a entendu la trompette des oies sauvages qui rentrent du Sud, on peut commencer à remuer la terre et jeter ses seines à l’eau.
- Grouillez-vous, bande de flanc-mous ! qu’elle leur crie, la Pélagie ; personne viendra vous nourrir à la louche ni vous border au lit.
Pélagie-la-Gribouille, troisième du nom, aimait à dire qu’elle descendait en droite ligne de son ancêtre directe. Et comme si cet aphorisme ne suffisait pas à convaincre le cercle des gicleux assis en demi-lune devant la maçoune – que certains appellent l’âtre – elle reprenait son lignage du début, chaque mauvais soir d’hiver, de Pélagie à Madeleine, à Pélagie, à elle, Pélagie-la-Gribouille, rien que pour faire enrager les Desprès et les Gallant qui, à son dire, ne figuraient pas au nombre des déportés de la charrette.
Bélonie, père de Louis à Bélonie, conteur et chroniqueur de son métier de père en fils, ricanait à ces défrichages d’amateur qui ne savait même pas distinguer l’aller du retour, dans cette Déportation, et qui n’aurait pas su nommer, pou sûr, la goélette du capitaine Broussard dit Beausoleil qui, en longeant les côtes du Nord au Sud et du Sud au Nord, aurait fait autant pour rassembler les lambeaux d’Acadie que la fameuse charrette et ses quarante-six charretons. Voilà pour Pélagie !
Et pcht ! dans la maçoune.
- Ah oui ? C’est peut-être bien par rapport que les Bélonie étiont au sec au fond d’une cale, durant tout le voyage, qu’aucun de ces effrontés a aperçu l’ombre de la charrette de nos aïeux qui remontait au pays sans même grincer des roues ?
Bélonie n’était pas un obstineux, pas plus que son père, que son grand-père, que son aïeul Bélonie qui ne se cachait pas au fond d’une cale de goélette, pardon, Pélagie! Mais qui s’appuyait aux ridelles de la charrette, la vraie, à côté de cette Pélagie première du nom, ancêtre en droite ligne de Pélagie-la-Gribouille qui, après cent ans, n’avait pas encore pardonné à son arrière d’avoir accueilli ce bâtard dans la famille…
- Bâtard ! peuh ! Le seul nom de Bélonie fait encore rêver trois quarts du pays et frissouner l’autre quartier… Et puis je suis point obstineux.
Et il ne répondit pas davantage à la Gribouille.
Mais la Gribouille n’avait pas besoin de réponse pour comprendre, pas besoin d’explications ni de cours d’histoire du pays. Et elle renvoya Bélonie et tout le cercle de la maçoune à leurs pipes.
- Si vous vous figurez que vous me ferez des accroires à moi !
Depuis cent ans déjà qu’on se passait la charrette, de Bélonie en Bélonie, en Bélonie comme un fief, alors que la charrette n’avait appartenu à nul autre qu’à son légitime et unique maître, Pélagie, première du nom, LeBlanc de par son homme, sortie vivante des flammes de la Grand’ Prée.
- Et vous viendrez encore me raconter à moi la charrette des aïeux ?
On la lui raconterait encore, et encore, car sans ces conteux et défricheteux de Bélonie, fils de Bélonie, l’Histoire aurait trépassé à chaque tournant de siècle. Combien de fois elle s’est arrêtée, butée, effondrée sur le bord de la route. Et sans l’un de ces Bélonie qui passe par là, un soir d’hiver… Il l’aperçoit à temps, la moribonde, et la ramasse, et la redresse, et la ramène pantelante mais encore chaude au logis. Et là, à coups de bûches dans la maçoune et de gicles de salive, pcht !... on la ravigote, la garce, et l’Histoire continue.
… Elle continue encore dans la bouche de mon cousin Louis à Bélonie, qui la tient de son père Bélonie à Louis, qui la tenait de son grand-père Bélonie – contemporain et adversaire de la Gribouille – qui l’avait reçue de père en fils de ce propre Bélonie, fils de Thaddée, fils de Bélonie premier qui, en 1770, fêtait ses nonante ans assis au fond de la charrette même de Pélagie, première du nom.
Après ça, venez me dire à moi, qui fourbis chaque matin mes seize quartiers de charrette, qu’un peuple qui ne sait pas lire ne saurait avoir d’Histoire.

1 commentaire:

  1. Tant pis pour les Acadiens ! Je vais aller voir le blog de ta maman à toi … Bisous

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