6 juillet 2021

Gabriel Ferry : Les dernières années d'Alexandre Dumas

Ah que coucou !
 
Tout le monde connaît aussi bien Alexandre Dumas père qu'Alexandre Dumas fils... Ici il s'agit du père et de sa fin de vie qui devient financièrement difficile...
Ce texte étant assez court, je vous le propose ici en dessous de ma signature.

Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab



La vieillesse d’Alexandre Dumas fut attristée par de cruels besoins d’argent.

Cette gêne qui envahissait de plus en plus le foyer du maître l’attristait, et il s’efforçait de l’écarter dans la mesure de ses moyens.

Déjà l’activité de ses démarches avait provoqué à l’Odéon une intéressante reprise de la Conscience, drame de Dumas qui avait obtenu un grand succès quelque temps auparavant.

Victor Leclerc avait été trouver, de la part de Dumas, Chilly – alors directeur de l’Odéon ; il lui avait représenté que la Conscience, reprise avec Laferrière, avait toutes les chances de rencontrer de nouveau le succès d’autrefois, Chilly se laissa persuader, et cette reprise donne raison aux prévisions de Dumas.

Ce drame avait été représenté pour la première fois le 4 novembre 1854.

Il sut rendre intéressante cette reprise de la Conscience en 1869.

Elle fournit encore une belle carrière à l’Odéon.

Ce précédent inspira à Victor Leclerc l’idée de porter au directeur du Châtelet la première partie de les Blancs et les Bleus, et de solliciter la commande d’un drame pour ce vaste théâtre.

Le directeur du théâtre était alors M. Fischer.

Il venait de monter, avec un grand luxe de mise en scène, le Théodoros, de Théodore Barrière.

La lecture du premier volume de les Blancs et les Bleus l’empoigna ; il vint prier Dumas de tirer un drame de son ouvrage et lui promit de le représenter immédiatement après Théodoros.

Dumas se mit immédiatement à la besogne, et, en quelques jours, il eut écrit le drame.

Chez lui, le roman est toujours si mouvementé, si scénique, que la pièce sort facilement.

Comme le Châtelet ne possédait pas une troupe d’ensemble suffisante pour jouer un drame de l’importance de les Blancs et les Bleus, on alla chercher des interprètes au-dehors.

Laray fut embauché spécialement pour remplir le rôle de Pichegru.

Taillade fut demandé à l’Odéon pour tenir le personnage de Saint-Just.

Dumas avait placé dans son drame Charles Nodier enfant. On confia ce rôle à Mle Gabrielle Gautier, qui s’y montra pleine de naturel et de gentillesse.

Un sergent loustic de l’armée du Rhin, appelé Falou, personnifiait la partie comique de la pièce.

Ce rôle, très franc, très gaulois, échut à l’acteur Courtès.

Ce comédien consciencieux, qui a acquis une légitime notoriété sur le boulevard, était une vieille connaissance pour Dumas. En 1865, il avait fait partie de la troupe que le romancier recruta alors pour jouer d’abord son drame des Gardes forestiers sur le théâtre de la rue de Lyon.

Ce souvenir nous rappelle une anecdote rétrospective qui aurait dû prendre sa place plus haut.

Dumas, avons-nous dit, avait fait une mauvaise opération commerciale en louant pour son compte cette salle, qui devait rester perpétuellement enguignonnée sous le nom de Grand Théâtre-Parisien. L’élévation de la température et l’indélicatesse d’un secrétaire lui frustrèrent des recettes qu’il pouvait espérer de la représentation des Gardes forestiers.

Il dut fermer le théâtre et arrêter les représentations.

Il restait débiteur de cinq ou six cents francs envers chacun de ses artistes, et il n’avait pas alors les ressources nécessaires pour les désintéresser.

Du jour au lendemain, ces artistes se trouvèrent sur le pavé, sans engagement. Cette situation émut le romancier.

Le lendemain de la fermeture, il réunit ses acteurs dans le foyer du théâtre, et leur tint à peu près le langage suivant :

« Mes enfants, vous savez pourquoi je suis obligé de fermer le théâtre. Vous êtes sans engagement ; mais il m’est venu une idée qui, si vous l’adoptez, peut remédier à la situation. Cette idée, la voici :

« Les Gardes forestiers sont faciles à jouer partout, en raison de leur peu de mise en scène ; formez-vous en société et allez jouer mon drame dans toutes les villes des départements limitrophes. Je vous autorise à prendre sur l’affiche le nom de troupe dramatique de M. Alexandre Dumas ; et, quand vous jouerez dans une ville voisine de Paris, télégraphiez-moi le matin.

» Je vous promets d’arriver le soir pour la représentation.

» Je crois donc fermement que vous aurez du succès et que vous ferez de l’argent, si vous vous ralliez à mon projet. »

L’idée, en effet, était pratique, originale. Les artistes l’adoptèrent.

Ils se constituèrent en société, et allèrent jouer les Gardes forestiers dans les départements de Seine-et-Oise, de Seine-et-Marne, de l’Oise et de l’Aisne.

Quand on jouait, on envoyait quelquefois une dépêche à Dumas.

Il arrivait le soir, et assistait à la représentation dans une loge bien en vue.

On faisait salle comble.

Quelquefois, les artistes faisaient une seconde représentation du drame ; car tous les empressés ne trouvaient pas toujours de la place pour la première audition.

Un jour, la troupe donnait une représentation à Laon. On avait envoyé une dépêche au romancier, et le bruit de sa venue se répandit rapidement dans la ville.

Sept heures sonnent, la salle est bondée de spectateurs, et Dumas n’est pas encore arrivé.

Cependant, on lui avait envoyé une dépêche.

On attend encore une demi-heure : personne ! Alors les artistes pensant que le maître ne viendra pas, se décident à faire lever le rideau, et commencent la représentation.

Mais les spectateurs, qui comptaient sur la présence de Dumas, croient à une mystification et deviennent furieux.

Cette fureur se traduit par un vacarme qui remplit l’enceinte du théâtre.

Sur la scène, les acteurs étaient consternés ; et le commissaire de police de la ville se montrait inquiet des suites de ce tapage.

Au moment de lever la toile sur le second acte, un grand bruit se fait dans la salle, des acclamations retentissent de toutes parts : c’est Dumas qui entre dans sa loge et qui salue le public.

Il avait manqué le train, de là son retard.

Les artistes respirèrent.

Ils allaient entamer le deuxième acte, quand tous les assistants s’écrièrent :

« Le premier acte ! nous voulons le premier acte ! »

Comme ils n’y avaient pas fait la moindre attention, ils désiraient qu’on le recommençât.

Les acteurs obéirent, et la représentation se poursuivit sans encombre.

Villers-Cotterets – patrie de Dumas et lie de la scène des Gardes forestiers – fut une des étapes de la tournée dramatique.

Les habitants reçurent avec enthousiasme Dumas et ses artistes.

Ils réclamèrent une seconde représentation du drame pour le lendemain.

Les acteurs, électrisés par cet accueil, se surpassèrent.

Dumas, ravi de la cordialité de ses compatriotes et du zèle de ses interprètes, rayonnait. Parfois, la joie lui inspirait des idées originales.

A l’issue de la représentation, il alla dans les coulisses serrer la main de tous ses artistes.

« Mes enfants, leur dit-il, vous avez admirablement bien joué ce soir ; aussi, demain matin, j’irai à l’hôtel où vous êtes descendus, et je vous ferai moi-même à déjeuner. »

Il tint parole ; le lendemain, il s’installait devant les fourneaux de la cuisine de l’hôtel, et confectionnait un excellent déjeuner pour ses interprètes.

Il avait même poussé la couleur locale jusqu’à coiffer le bonnet de chef et à ceindre le tablier blanc.

Les fenêtres de la salle à manger étaient au rez-de-chaussée, et ouvraient sur la rue.

Pendant deux heures, les habitants de Villers-Cotterets défilèrent devant ses fenêtres pour voir Dumas servant lui-même ses artistes en tablier blanc.

Ces derniers récupérèrent largement, pendant cette tournée, les appointements qu’ils avaient perdus au Grand Théâtre-Parisien.

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