Ah que coucou !
Voici le dernier épisode de l'Histoire des Treize... où l'on retrouve Ferragus...
Comme vous le constatez en vous remémorant l'ordre des œuvres dans La Comédie Humaine tel que l'éditeur l'a choisi (pour ceux qui l'auraient oublié, lire l'article du 27 octobre 2013 : Honoré de Balzac & la Comédie Humaine en cliquant ici et concernant les explications quant à cet "ordre", lire la Préface du 1er volume : Honoré de Balzac : Avertissement du Gars et Les Chouans (accessible en cliquant ici, mis en ligne le 5 novembre 2013), nous sautons du n° 35 (La Duchesse de Langeais) au n°42 car cette "fin" a été terminée 1 an après les deux premiers "épisodes" de l'Histoire des Treize. Donc, fatalement, entre le second épisode et celui-là, il y a un autre volume, avec une Préface que je vous mets à la fin de ce billet (pour ceux qui veulent comprendre la chronologie de ce monument littéraire qu'est la Comédie humaine...) et qui apparaîtra dans les 6 e-books prochains qui forment le tome 7/24 de l'Edition Rencontre 1968, 1969, 1970...
Mais revenons à la Fille aux Yeux d'Or...
Qui est-elle ? une jeune fille, ainsi nommée par les jeunes élégants parisiens qui ignorent qui elle est, où elle habite... tout ce qu'ils savent, c'est que d'après leur critères, il s'agit là de la fille la plus belle qu'ils aient vue et dont les yeux ressemblent à ceux d'un felin... voilà les seuls renseignements que possède Henri de Marsay au moment où débute cette histoire...
Elle ? elle est originaire des Antilles, de La Havane plus précisément... et habite chez le marquis de San-Réal dont l'épouse séjourne "à Londres". Et comme l'apprend Henri de Marsay grâce à son valet Laurent, elle s'appelle Paquita Valdès et est la maîtresse du marquis qui, vieux et jaloux, l'emprisonne chez lui - elle peut sortir mais sous très bonne garde, et son hôtel est plus qu'un fortin où y entrer est quasi impossible pour un étranger... Pourtant Henri de Marsay a décidé de surmonter tous ces obstacles pour accéder à la belle Paquita... Comment va-t-il s'y prendre ? eh bien, lisez ce roman ;)...
accessible au téléchargement en cliquant ici
Format : pdf
Langue : Français
Et comme promis ci-dessus, voici maintenant la Préface du tome 7 qui regroupe les œuvres suivantes :
36. Eugénie Grandet
37. La Recherche de l'Absolu
38. L'Illustre Gaudissart
39. Un Drame au Bord de la Mer
Le tome 8 commençant avec le Père Goriot, Gobseck puis La Fille aux Yeux d'Or...
Au début de La Duchesse de Langeais, le long morceau sur la psychologie du faubourg Saint-Germain éclaire le caractère d’Antoinette. A ces pages, on demande un secret, comme, par exemple, à la Maison du Chat-qui-pelote dans la nouvelle e ce nom. Mais le ménage des Sommervieux était passif, il attendait l’épreuve du temps ; d’un bout de l’œuvre à l’autre, la vieille maison donnait le mot du caractère d’Augustine. Au contraire, dès que la duchesse de Langeais a quitté son boudoir, qu’elle échappe à sa prison de conventions, à l’univers sans consistance où elle s’est créé une existence artificielle, et que, poursuivant un dialogue passionné avec elle-même, elle revendique son irrémédiable solitude, la métaphysique du faubourg s’abolit. Ou son rôle n’est plus que de fixer un décor moral, de soutenir un contraste. C’est contre l’hypocrisie d’une société sans cœur que la duchesse découvre l’amour vrai. Mais, quand on s’attendrait au débat de la passion et de la société, voici que Balzac escamote les développements dramatiques du conflit et laisse s’envoler son héroïne.Certes, les visages fortement caractérisés du conseil de famille, dans lesquels Proust admirait la puissante empreinte de la vérité [Marcel Proust, Contre Sainte-Beuve, Gallimard, 1954], sortent de l’ombre au moment où on a besoin d’eux, mais c’est pour y retomber aussitôt leur rôle joué. En définition, le magnifique préambule du roman est trop spéculatif pour qu’une intrigue puisse s’y enraciner solidement, et la pauvre duchesse, tournant le dos à ce monde qu’elle renie, courra seule après sa destinée, tandis que Montriveau courra après la duchesse. Que Balzac tire de la solitude de ces héros de beaux effets, peut-être est-ce donc un pis-aller. Qui sait même si l’habile construction de l’œuvre n’est pas un artifice pour faire oublier que, faute d’intrigue, le roman psychologique s’est dénaturé en roman d’aventures, et qu’à la duchesse encadrée dans son faubourg a fait place un héros de cape et d’épée grimé en aventurier du XIXe siècle.De l’enlèvement de la duchesse à l’ultime rencontre des amants en Espagne, toute l’action tient à ce personnage.La structure dramatique de l’œuvre est ainsi d’une extrême et peut-être excessive sobriété. Si le récit de cet amour malheureux nous atteint comme un chant ininterrompu, lancinant, et d’une grande intensité, l’harmonie ne semble pas digne du contrepoint. Un chant, un récit, n’est-ce pas à dire qu’il manque à ce livre admirable une dimension qui justifie entièrement son appellation de roman ? La Duchesse de Langeais conserve en effet la linéarité de la nouvelle, l’œuvre entière se condense autour de l’histoire d’une destinée, comme si l’auteur avait craint d’en altérer le puissant courant temporel, en le laissant s’infiltrer dans une réalité ambiante. Il n’est pour s’en convaincre que de comparer cette œuvre avec La Princesse de Clèves. Là, tout est simplicité, équilibre, concision classique, mais le récit reste ouvert et l’auteur montre, bien au-delà du couple des amants, les effets meurtriers d’un sentiment. Il s’agit maintenant pour Balzac de faire la synthèse harmonieuse de ses inventions.Concilier la solitude de la passion avec l’existence des choses et des êtres, concilier sa mobilité avec l’immobilité d’un décor. Eugénie Grandet et La Recherche de l’Absolu, les chefs-d’œuvres publiés en 1834, lèvent ces dernières difficultés techniques et ouvrent directement la voie au Père Goriot.Ici encore constations l’extrême rigueur de la création balzacienne. En 1834, ces deux romans inédits doivent prendre place dans les Etudes de Mœurs, nouvelle édition des œuvres de Balzac publiée par la veuve Béchet. Il aurait pu exploiter l’engouement provoqué par Ferragus et La Duchesse. Mais s’il aime tirer parti des « modes » pour les dépasser, rien ne lui répugne autant que de s’imiter lui-même.En dépit des sollicitations du public, l’œuvre poursuit donc la croissance harmonieuse dont nous montrons ici les principales étapes. Cette nécessité esthétique interne oriente l’imagination romanesque et, à plus forte raison, la mise en œuvre des données réelles.L’édition d’Eugénie Grandet que P. Castex a établie (Garnier, 1965), a renouvelé l’étude de ce chef-d’œuvre. Les érudit s’étaient contentés jusque-là de spéculations gratuites sur un certain Nivelleau, riche avare de Saumur, que l’auteur ne connut sans doute jamais. La piété, même balzacienne, fait des miracles ; elle retrouva la maison du père Grandet. C’en est fini de ces légendes (et d’un lieu de pèlerinage) : un Tourangeau, M. de Savary, vieux viticulteur de Vouvray, chez qui Honoré passa l’été de 1823, fut le modèle du bonhomme de Saumur ; modèle privilégié, dont on relève la trace dans Les Deux Amis, Madame Firmiani, Le Curé de Tours et L’Illustre Gaudissart. Une source réelle est toujours multipliée dans l’œuvre par un jeu de miroirs.L’origine de La Recherche de l’Absolu demeure plus obscure. En 1832 et 1833, Balzac fait parfois allusion dans sa correspondance à un projet de roman : Les Souffrances d’un Inventeur [Par exemple : Lettre datée de Paris, 13 octobre 1833, Lettres à l’Etrangère, Calmann-Lévy, tome I], dont le héros serait Bernard de Palissy [Par exemple : Lettre datée de Saché, 10 juin 1832, Correspondance (Ed. Pierrot), Garnier, tome II]. Comme tant d’autres, ce roman n’aura jamais vu le jour ; seul son beau titre reparaît en tête du troisième épisode des Illusions perdues. Mais il n’est pas interdit de voir dans ce projet la première idée de La Recherche de l’Absolu. Sainte-Beuve, lui, retrouve le sujet dans l’Hermès dévoilé, un petit volume anonyme paru en 1832. Un chercheur a découvert à Douai le nom d’un certain Thomassin Balthazar. Et d’échafauder un roman sur cette homonymie [Voir un article de Maurice Serval dans la « Revue bleue », 1929. En outre, de Maurice Bardèche, Balzac romancier, Plon, 1943 (chapitre X, pages 292-294)]. Balthazar Claës… Avec sa manie un peu ridicule de l’anagramme prophétique, Pierre Bézoukhov eût sans doute entendu : Balzac, peut-être même eût-il torturé ce beau nom jusqu’à lui faire dire Balzac l’artiste/ De fait, au même titre que Le Médecin de Campagne, La Recherche de l’Absolu est un roman symbolique de la création. Aussi devine-t-on plus d’un trait autobiographique dans cette peinture pathétique de l’homme de génie, que sa vocation oblige à renoncer à la famille, à l’amour et au bonheur. « Un grand homme ne peut avoir ni femme, ni enfants. Allez seuls dans vos voies de misère / vos vertus ne sont pas celles des gens vulgaires, vous appartenez au monde, vous ne sauriez appartenir ni à une femme, ni à une famille. Vous desséchez la terre à l’entour de vous comme font de grands arbres ! » C’est Madame Claës qui parle. Exactement ce que Balthazar n’ose pas dire ! Ni Balzac, qui vient d’éprouver auprès de Madame Hanska les félicités de l’amour heureux, mais aussi ses servitudes.
L’exposition balzacienne – ces longues préparations sur lesquelles s’appuient les plus grands romans – trouve sa forme définitive dans Eugénie Grandet. Au lieu de la répartir sur l’ensemble du texte, Balzac en concentrera l’essentiel au début dans un immense prologue, dont Le Colonel Chabert ou Le Curé de Tours donnent les premières esquisses. Conscient de la surprise que ces innovations peuvent provoquer, l’auteur s’en explique avec éloquence dans La Recherche de l’Absolu : « Peut-être faut-il établir dans l’intérêt des écrivains la nécessité de ces préparations didactiques contre lesquelles protestent certaines personnes ignorantes et voraces qui voudraient des émotions sans en subir les principes générateurs, la fleur sans la graine, l’enfant sans la gestation. » Et plus loin : « L’archéologie est à la nature sociale ce que l’anatomie comparée est à la nature organisée. Une mosaïque révèle toute une société, comme un squelette d’ichtyosaure [(ch se prononce k) n.m. XIXe siècle, ichthyosaure. Emprunté du latin scientifique ichthyosaurus, de même sens, composé à partir du grec ikhthus, « poisson », et sauros, « lézard ». Paléont. - Grand reptile fossile de l’ère secondaire, carnassier et adapté à la vie marine. (Source : Dictionnaire de l’Académie Française)] sous-entend toute une création. De part et d’autre, tout se déduit, tout s’enchaîne. » La fonction du décor, on le voit, ne sera plus purement explicative, ou le sera de façon plus subtile. La Maison du Chat-qui-pelote expliquait les Guillaume, parce que sa vieille façade était l’histoire d’un milieu, et qu’on est toujours son passé ; désormais l’auteur montrera autant la relation inverse, la marque des êtres sur les choses. C’est déjà ce qu’il faisait en décrivant le salon de la Gamard, la chambre de Chabert, le boudoir d’Antoinette de Navarreins, mais il va maintenant plus loin, suscitant une sorte d’entente affective, de mystérieuse harmonie entre les êtres et les objets, entre Eugénie et le verre de cristal à six pans, la petite cuillère dorée, le flacon antique dont elle décore la chambre de son cousin, parce que sans doute ils sont pleins de son enfance, entre les deux pauvres femmes et leur place invariable dans l’embrasure de la fenêtre. Ces affinités poétiques ne sauraient être confondues avec les sentiments des personnages, avec ce culte de monomane, par exemple, que rendait l’abbé Birotteau aux petites aises de son existence, et qui représentait une passion à sa mesure.Que quelque affection profonde touche la sensibilité ou l’âme d’un héros, loin de disparaître, ce décor quotidien s’y attachera en lui donnant pour ainsi dire un corps. En vertu de ce phénomène, que Balzac appelle la mnémotechnie des passions, Charles n’oubliera jamais les feuilles pâles qui tombaient dans le petit jardin de Saumur le jour que Grandet lui a appris la mort de son père, et Eugénie tiendra comme à une part d’elle-même au petit banc, au mur croulant, au dé de sa mère, « cet or plein de souvenirs », parce qu’ils ont vu naître son amour.Proust a poussé beaucoup plus loin l’analyse de cette mémoire, qui est non seulement comme la vie du sentiment, mais la condition même de la conscience, ce lien d’identité entre les morts successives qui forment le tissu de notre vie. Une aubépine fleurie, une petite madeleine, un clair de lune sur une place de Paris, quelques mesures d’une sonate recèlent un message secret de soi-même à soi-même, qu’on y a laissé, puis oublié, et l’écrivain tâche à le déchiffrer. Chez l’auteur du Temps retrouvé, cette mnémotechnie est un secret du faire romanesque autant qu’une loi de la mémoire du cœur, et davantage encore : le principal sujet de l’œuvre. Le style infuse l’expérience intime dans quelques images contingentes du décor extérieur, qui continueront à la porte ; le « je » du récit rend alors presque indissociable la relation de l’expérience et sa formulation simultanée dans un langage qui reflète une conscience. C’est dans une conscience qu’entre le lecteur de Proust, dans ce langage ; et quand d’autres personnages que le narrateur plongent à leur tour dans le passé, à l’instant exceptionnel où le hasard fait vibrer leur mémoire obscurcie, c’est encore la musique du texte qui nous permet de les suivre.Si La Grenadière, le Te Deum de La Duchesse de Langeais, Le Lys dans la Vallée peut-être prouvent que leur auteur connaissait l’art des analyse poétiques où le style est l’instrument qui révèle et réveille le passé, Balzac a pourtant préféré explorer d’autres voies que Proust, Nerval ou Chateaubriand, et il vise le plus souvent à restituer un univers brut avec lequel le lecteur puisse conserver des rapports d’altérité.Proust n’a vu que des défauts là où le romancier cachait des intentions et, pour une fois, ses critiques tombent à faux : « dans Balzac (…) coexistent, non digérés, non encore transformés, tous les éléments d’un style à venir qui n’existe pas » [Marcel Proust, œuvre citée au début de cette Préface], déclare-t-il. Il est bien évident que, dans une œuvre où la vision déborde largement le style, Balzac tire le parti le plus original et le plus heureux de l’incohérence qu’on lui reproche.Constatant la mnémotechnie des passions, il essaie de tourner à de nouvelles fins les curieuses propriétés de ce phénomène. Au lieu que, dans la vie, la rencontre d’un sentiment et d’un objet tient au hasard immense de l’univers, l’écrivain est libre de la diriger et surtout de la répéter. Etroitement associés, décor, choses, personnages gardent pourtant leur individualité distincte dans un style qui ne les fond pas en une substance homogène. Mais que l’auteur fasse régulièrement reparaître les mêmes associations, l’amour d’Eugénie, par exemple, et le jardin désolé, le banc moussu, la salle sombre, qui en retentissent, une fusion s’opère progressivement entre ces éléments dans l’action même de lire. Alors, d’une seule image : le jardin, le banc, la salle, l’auteur provoque, non plus au niveau du style, mais au-delà, au cœur même du lecteur, ce choc inattendu de la mémoire qui lui fera éprouver dans toute sa profondeur temporelle le sentiment d’Eugénie, grâce à un véritable transfert de conscience.Il arrive même qu’un mot prenne, comme un objet, un rayonnement insolite, parce que sa répétition concorde avec le thème de la passion. Dès la première page, les quatre syllabes de mélancolie, par exemple, se chargent de toutes les tristesses de la vieille maison. Plusieurs fois repris, le mot s’insinue alors dans la description de l’amour. En attendant Charles, Eugénie contemple de sa fenêtre une « vue mélancolique ». Quand elle comprend que Grandet ne voudra jamais de son neveu pour gendre, elle respire dans la vieille rue « la mélancolie que les temps et les choses y avaient imprimée ». Puis, sur le visage d’Eugénie prisonnière se peignent « une mélancolie et une douceur angéliques ». Restée seule après la mort de son père, son unique amour est pour elle « un principe de mélancolie ». Et le roman se clôt sur l’image du début, auréolée cette fois par toute l’existence de la jeune fille : « La maison de Saumur, maison sans soleil, sans chaleur, sans cesse ombragée, mélancolique, est l’image de sa vie. »Grâce à des procédés de ce genre, le livre ne vit pas seulement à la crête d’un présent que la lecture fait passer sur l’œuvre comme le doigt de l’enfant qui suit les mots, indiquant l’étroit faisceau de conscience dont s’éclaire pour lui le texte bouché par l’ombre du futur et prêt à retomber dans celle du passé qui le talonne. Au contraire, il n’est de moment où le roman, création vivante de la lecture, ne puisse se tourner vers sa propre mémoire. Par exemple, si l’écrivain semble abandonner l’histoire d’Eugénie pour les dernières années de Grandet, l’amour de sa fille reste présent dans chaque pierre de la vieille maison, et, quand ce thème réapparaît, nous n’avons pas l’impression de l’avoir quitté.La découverte de ce qu’on pourrait appeler une mnémotechnie de la lecture permet donc à Balzac de jouer avec notre inconscient. Nous avions montré dans Le Médecin de Campagne les premiers essais de cet art magique dont l’écrivain connaît maintenant les secrets. Certes, jamais la lecture n’aura mérité davantage la belle définition qu’il en donne : une création à deux.L’ampleur de l’exposition a rendu possible cette transformation du langage. Son rôle ne se borne pas à cela. Perdant, quoi qu’en dise Balzac, une partie de son caractère didactique, elle crée un véritable milieu, au sens où l’entendent les naturalistes, milieu naturel, social et humain. C’est que l’auteur se donne d’emblée un univers, au lieu d’y frayer progressivement un chemin à la narration. Aussi, tant de liens existeront entre les personnages, avant même que l’intrigue ne se dessine, que la destinée de chacun réagira sur celle des autres.Jusqu’alors, ou bien Balzac ne mettait qu’un seul héros au premier plan, comme dans Sarrasine, Une Passion dans le Désert, La Grenadière, les autres « Etudes de femmes », ou bien deux amants, Marie de Verneuil et le Gars, Antoinette et Montriveau, se répondaient exactement, l’un étant toujours l’objet de la passion de l’autre. Ailleurs dans les Scènes de 1830 surtout ou Ferragus, un couple succombait soit au temps, soit à une force étrangère. Ailleurs encore, si plusieurs passions se liguaient, c’est qu’elles avaient trouvé une victime commune, et nous avions Le Curé de Tours. Ici rien de tel. Le drame s’annonce sur plusieurs plans : deux clans avides se disputent une héritière, une jeune fille s’éprend de son cousin, un vieillard est dévoré par son vice, et chaque personnage, égoïste, sur ses gardes, seul de la solitude de la passion semble poursuivre sa propre voie. Ces héros se rencontrent pourtant, ces destinées se croisent et s’enchevêtrent.Il faut revenir aux premières œuvres philosophiques pour comprendre le comment de cette rencontre. Balzac y montrait l’existence des passionnés égarée dans un objet, la peau de chagrin de Raphaël, le chef-d’œuvre de Frenhofer ou le trésor de Cornélius, et de ces symboles il faisait l’expression romanesque de phénomène invisibles. Sur l’or de Grandet se projetteront de même toutes les espérances de la petite société avide décrite dans le roman. Bien que leurs rivalités soient le prétexte d’une peinture ironique des mœurs provinciales, les Cruchotins et les Grassinistes ne forment pas un simple arrière-fond social, tel le conseil de famille dans La Duchesse Langeais. Comme l’amour en donne si souvent l’exemple, ils se disputent un bien qu’ils ne possèdent pas. Tous leurs gestes s’expliquent par une idée fixe ; abandonnés par leurs âmes qui tournent autour du trésor comme les papillons autour de la chandelle, ces personnages mesquins, « le président, qui ressemblait à un grand clou rouillé », l’abbé Cruchot, « dodu, grassouillet, à perruque rousse et plate, à figure de vieille femme joueuse », nous sont montrés comme petits pantins pittoresques. Grandet ne s’y trompe pas : « Ils sont là pour mes écus. Ils viennent s’ennuyer ici pour ma fille. Hé ! ma fille ne sera ni pour les uns ni pour les autres, et tous ces gens-là me servent de harpons pour pêcher ! » Voici donc déjà, sous les apparences de la comédie, un premier élément du drame. Ce petit monde est solidement amarré à l’or du père Grandet.Celui-ci, devant ces insectes, fait figure de géant, et Balzac ne cache pas sa prédilection pour le « sublime tonnelier ». L’exigence réaliste qui préside à l’invention de l’avare est telle, que l’histoire de sa fortune, P. Castex l’a montré, vaut un document. Pourtant, ce vigneron lourd de vérité concrète a une âme trempée comme celle du Dante des Proscrits, et sa passion obéit aux lois morales (et esthétiques) illustrées par les récits philosophiques : « Suivant une observation faite sur les avares, sur les ambitieux, sur tous les gens dont la vie a été consacrée à une idée dominante, son sentiment avait affectionné plus particulièrement un symbole de sa passion. La vue de l’or, la possession de l’or était devenue sa monomanie. »Passion jusqu’à la mort, qui projette déjà sur cette étude de mœurs provinciales un reflet de tragédie.Et Eugénie ? Comment vivra-t-elle dans ce monde où son destin l’a fourvoyée ? Trop fière pour accueillir les bassesse de ses courtisans, trop faible pour tenir tête à Grandet, quelle autre solution pour elle que de s’enfermer avec mère muette dans une solitude à deux ? Le hasard se manifeste au bon moment, qui lui envoie un beau cousin ruiné. Elle l’aime de toutes les forces de son premier amour, puis elle le perd. Tout n’est pas perdu puisqu’il lui reste une passion, ses titres de noblesse dans l’univers balzacien. Mais Eugénie qui ne veut que vivre avec son chagrin, comment rencontrerait-elle jamais la passion de son père ? Ici encore l’exposition permet à l’écrivain de disposer les premiers jalons de l’intrigue de manière à orienter ces deux destinées vers la fatale rencontre où culminera le drame.Il s’agit de rendre l’or aussi indispensable à l’amour désintéressé d’Eugénie qu’à l’avarice de Grandet. Par une série d’interventions discrètes, l’écrivain canalisera ces deux sentiments qui semblaient condamnés à la solitude ; il emprunta le rôle du hasard sans jamais brider la puissante autonomie de ses créatures, il provoquera des situations matérielles où, en réagissant selon son propre caractère, chaque personnage déviera un peu du chemin idéal de sa passion. D’où un roman qui procède principalement par scènes. On comprend alors l’importance dramatique du « douzain ». Grandet, explique Balzac, n’a fait que passer son or d’une caisse dans une autre. Ou il le croit. Faute impardonnable ! L’avare, pris à son propre jeu, fonde la liberté d’Eugénie par une garantie en or. Dans cette contradiction est une puissance toute une « tragédie bourgeoise sans poison, ni poignard, ni sang répandu ; mais, relativement aux acteurs, plus cruelle que tous les drames accomplis dans l’illustre famille des Atrides ». Quand Charles s’en va tenter la fortune, Eugénie lui a donné son or, c’était tout son amour, c’était le don symbolique d’elle-même, et quoi de plus symboliquement vital dans la maison de Grandet ! Vienne le jour de l’an, où l’avare veut voir son trésor, et le ressort dramatique dissimulé dans la petite scène des mœurs du début se détend brusquement. Grandet, qui n’avait fait que le geste de donner, ressent l’acte de sa fille comme une blessure, comme une tentative d’assassinat et, tel Harpagon dans la scène de la cassette, il hurle sa rage, son désespoir et sa douleur.Mais chaque épisode comporte le détail qui permettra de faire rebondir l’action, et le drame avancera par saccades, les scènes alternant avec le récit, les crises avec des périodes d’accalmie apparente, tandis que les sentiments poursuivent leur croissance continue. Ainsi Charles a laissé à sa cousine, en gage de son amour, un nécessaire en or dont il lui a confié le dépôt sacré. Grandet le voit, y retrouve le compte de ses écus, s’en empare, essaie avec son couteau de faire sauter une plaque d’or. Ce couteau touche Eugénie en plein cœur. Le nécessaire, maintenant, c’est sa vie, elle va se tuer. Grandet arrête son geste. Dans une convulsion les destinées du père et de la fille se sont nouées une seconde fois. La mère bouleversée par le spectacle de cette lutte en mourra. De là une troisième et dernière crise, car la mort de sa femme menace Grandet d’une licitation [n.f. XVIe siècle. Emprunté du latin licitatio, « vente aux enchères ». – Droit. - Vente, qui se fait généralement par adjudication, d’un immeuble ou d’un bien appartenant à plusieurs copropriétaires, ou sur lequel coexistent plusieurs droits. Vendre un terrain, un immeuble indivis par licitation. Licitation de gré à gré. Une licitation amiable, par accord entre les propriétaires. Licitation judiciaire, organisée en vertu d’une décision de justice, et dans des formes réglées par la loi. (Source : Dictionnaire de l’Académie Française)]. « Je serai dépouillé, trahi, tué, dévoré par ma fille », on reconnaît le langage de l’homme aliéné par sa passion. Si pour Eugénie une poignée d’or était tout, l’énorme fortune paternelle ne lui est rien. Elle signera toutes les renonciations qu’on voudra. Les deux passions se déprennent alors, et chacune ira s’abîmer dans son propre désastre, la folie et la mort, ou le mariage avec Cruchot. Les Cruchotins l’ont emporté, et du même coup trouve sa conclusion la lutte de clans sur laquelle se détachait le motif central du drame.Négligeant l’analyse du caractère de Grandet, dont il a été souvent parlé, nous nous sommes borné à montré comment Balzac, grâce à la nouvelle structure de l’exposition et de l’intrigue, réussit à donner à son œuvre l’ampleur et la densité dramatique qui manquaient encore à La Duchesse de Langeais.
Les mêmes considérations pourraient s’appliquer, pour l’essentiel, à La Recherche de l’Absolu. On y retrouve la longue exposition où Douai a remplacé Saumur, la maison des Claës celle des Grandet ; les mœurs flamandes succèdent aux mœurs angevines, la passion de l’alchimie à celle de l’or. La lumière tamisée et mélancolique d’une cour intérieure s’attache à la tragédie de Balthazar, comme les ombres d’une vieille demeure entouraient l’amour d’Eugénie.D’importante différences toutefois : un long historique du ménage Claës, qui interrompt l’exposition, et rappelle les « retours en arrière » des Scènes de 1830. Surtout un texte d’une extrême compacité ; peu de scènes, très peu de dialogues. c’est la conséquence d’une architecture dramatique nouvelle. En effet, au lieu de donner au début plusieurs destinées isolées, et d’en provoquer la rencontre par une intrigue analogue à celle d’Eugénie Grandet, l’écrivain campe au milieu du roman un héros qui le domine, mais auquel sont étroitement liés les autres personnages. Ainsi La Recherche de l’Absolu sera l’étude d’une passion et de ses répercussions tragiques sur la vie d’une famille. Bien que l’auteur ne renonce à la scène, la fore analytique du récit conviendra mieux à un sujet de ce genre, dès l’abord clairement centré, au lieu qu’une technique en quelque sorte théâtrale était plus efficace dans Eugénie Grandet. A ces deux techniques, aux deux types de plans qui leur correspondent, celui d’Eugénie et celui de La Recherche, pourront se ramener presque tous les grands romans de Balzac. En étudiant La Cousine Bette, nous montrerons comment ces deux méthodes de composition se combinent.Contentons-nous de quelques notes sur Claës. Celui-ci, mieux que Raphaël, Chabert, la duchesse de Langeais, ou Grandet, est l’image du grand héros balzacien. Une passion dévoreuse d’or. Sur l’or encore s’articuleront toutes les situations de ce roman. Claës, qui vendrait corps et âme pour satisfaire à son génie, se ruine, ruine sa famille consternée dont les millions s’envolent avec la petites fumée qui s’échappe du laboratoire. Telle est la donnée fondamentale. Le drame ne tarde pas à se manifester sur un plan plus profond. Madame Claës affronte les démon qui lui a enlevé son mari. Elle succombe dans cette lutte inégale. Les enfants se dressent alors contre leur père, parce qu’ils le jugent, et, derrière l’action proprement dite, se profile un nouveau thème : l’humiliation de la puissance paternelle.Claës est au cœur de ces drames. Tué par une idée, certes, comme beaucoup de personnages des Etudes philosophiques, mais pas que cela. Il faut se garder de simplifier les héros de Balzac, en dépit de la définition lapidaire qu’il aime à en donner depuis La Peau de Chagrin. Leurs passions, si inéluctables soient-elles, ne tuent pas l’homme en eux, ne le tuent pas d’emblée. A quoi tiendrait le pathétique de Lambert, de Vautrin, de Hulot ? Des victimes de la science, de la révolte ou de l’amour, mais aussi des martyrs. Balthazar a été un mari chevaleresque, un père tendre mais imbu de sa dignité, un esprit curieux, un riche Flamand, amateur d’art, de tulipes, de tranquillité et de luxe. Les paroles d’un mystérieux officier polonais lui ont révélé sa vocation, il est né pour chercher l’Absolu. De ce jour, Balthazar, enfermé dans son laboratoire de chimiste, s’est montré égoïste, sublime et cruel comme un saint du Moyen Age qui abandonne femme et enfants pour proclamer seul la gloire de Dieu.Cette sainteté – ou cette cruauté – a des éclipses. Il arrive que Balthazar se retrouve mari ou père. On attend ces moments où il redescend sur la terre, on l’attache à force de serments à sa famille, on le séduit à force d’amour, parfois il se laisse faire, reprend sa vie parmi les hommes. Ces retours deviennent rares. La destinée du passionné présente une suite d’oscillations morales de plus en plus amples, dont la dernière, celle qui tue, se dessine souvent dans un geste magnifique qui signifie la victoire de la passion sur la tentation de la vie : Balthazar, qui a trouvé, surmonte la paralysie en agitant sa main crispée de rage, Grandet saisit le crucifix en vermeil que le prêtre lui présente, Goriot mourant caresse les têtes de Rastignac et de Bianchon qu’il prend pour ses filles.Tout le sens de La Comédie humaine dépend du double éclairage que Balzac projette sur ces intermittences de la passion. S’il les juge comme une alternance de rechutes et de rémissions, c’est le moraliste qui décrit une maladie de l’âme. S’il y voit au contraire l’exercice difficile d’une vocation, c’est l’écrivain épique qui chante l’héroïsme de l’homme, la vocation fût-elle absurde comme celle de Grandet. (C’est bien à travers la plus absurde de toutes les passions, celle de la guerre, et malgré elle, qu’Homère a dit les grandeurs de notre condition misérable.) Balzac ne choisit jamais la façon définitive, d’où le visage troublant du héros qu’il nous présente, suspendu entre l’espérance et le néant. La Comédie humaine, c’est l’homme en question. Et c’est pourquoi nous aimons Balzac.Dans La Recherche de l’Absolu, comme dans Eugénie Grandet, la conception et la technique romanesque sont dignes l’une de l’autre. La période de formation est terminée. Balzac peut écrire Le Père Goriot.
Roland Chollet
Bonne lecture !
Bisous,
@+
Sab
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