18 août 2017

Richard Brautigan [Vengeance de la Pelouse] : L'Elastique de Thoreau

Ah que coucou !

Nouvelle trop courte, je vous la propose à la suite de ma signature...

Bisous,
@+
Sab


La vie est aussi simple que de traverser le Nouveau-Mexique à bord d’une Jeep d’emprunt, avec, près de moi, une fille si jolie que, chaque fois que je la regarde, je me sens bien des pieds à la tête. Il a neigé beaucoup et nous avons dû faire deux cent quarante kilomètres de plus, parce que la neige, comme un sablier, a bloqué la route que nous devions prendre.
Pour tout dire, je suis tout content parce que nous entrons dans la petite ville de Thoreau, au Nouveau-Mexique, pour voir si l’autoroute 56 qui va à Chaco Canyon est ouverte. Nous voulons aller y voir les ruines indiennes.
Le sol est couvert d’une couche de neige si épaisse qu’on dirait qu’il vient de toucher sa pension du gouvernement et qu’il y savoure à l’avance une retraite longue et joyeuse.
Nous voyons un café qui repose dans l’indolence de la neige. Je descends de la Jeep, où je laisse la fille, et j’entre dans le bistrot pour me renseigner sur l’état de la route.
La serveuse a une quarantaine d’années. Elle me regarde entrer, comme si j’étais un film étranger sorti de la neige, avec en vedette Jean-Paul Belmondo et Catherine Deneuve. Il y a dans le café l’odeur d’un petit déjeuner de quinze mètres vingt de long ; devant lequel sont attablés deux Indiens, qui mangent du jambon et des œufs.
Ils sont silencieux et pleins de curiosité à mon égard. Ils me regardent de côté. Je m’enquiers de la route auprès de la serveuse, et elle me répond qu’elle est fermée. Elle dit cela en une seule phrase rapide et définitive. Eh bien, voilà qui est réglé.
Je m’apprête à sortir, mais l’un des Indiens se retourne et me glisse :
- La route est ouverte. J’y suis passé ce matin.
Je lui demande :
- C’est ouvert jusqu’à l’autoroute 44, celle qui va à Cuba ?
- Oui.
La serveuse s’empresse soudain autour de son café. Le café, juste à ce moment précis, réclame toute son attention et elle la lui consacre, dans l’intérêt de générations de buveurs de café à venir. Sans son dévouement, le café pourrait être en voie de disparation à Thoreau, dans le Nouveau-Mexique.

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