25 janvier 2013

Texte à méditer…


97456c02

Ah que coucou !
 
Oui, aujourd’hui je ne vais rien ajouter aux propos de ce célèbre écrivain qu’était J-K. Huysmans car ce texte est beaucoup trop riche…
 
Il s’agit d’un passage du roman « A rebours » qu’il a écrit en 1884. Si vous ne connaissez pas encore ce livre, je vous le conseille.
 
En attendant je laisse la parole à J.K. Huysmans…
 
[…]
 
De toutes les formes de la littérature, celle du poème en prose était la forme préférée de des Esseintes. Maniée par un alchimiste de génie, elle devait, suivant lui, renfermer, dans son petit volume, à l’état d’of meat, la puissance du roman dont elle supprimait les longueurs analytiques et les superfétations descriptives. Bien souvent, des Esseintes avait médité sur cet inquiétant problème, écrire un roman concentré en quelques phrases qui contiendraient le suc cohobé des centaines de pages toujours employées à établir le milieu, à dessiner les caractères, à entasser à l’appui les observations et les menus faits. Alors les mots choisis seraient tellement impermutables qu’ils suppléeraient à tous les autres ; l’adjectif posé d’une si ingénieuse et d’une si définitive façon qu’il ne pourrait être légalement dépossédé de sa place, ouvrirait de telles perspectives que le lecteur pourrait rêver, pendant des semaines entières sur son sens tout à la fois précis et multiple, constaterait le présent, reconstruirait le passé, devinerait l’avenir d’âmes des personnages, révélés par les lueurs de cette épithète unique.
 
Le roman, ainsi conçu, ainsi condensé en une page ou deux, deviendrait une communion de pensée entre un magique écrivain et un idéal lecteur, une collaboration spirituelle consentie entre dix personnes supérieures éparses dans l’univers, une délectation offerte aux délicats, accessible à eux seuls.
 
En un mot, le poème en prose représentait, pour les Esseintes, le suc concret, l’osmazôme de la littérature, l’huile essentielle de l’art.
 
Cette succulence développée et réduite en une goutte, elle existait déjà chez Baudelaire, et aussi dans ces poèmes de Mallarmé qu’il humait avec un si profonde joie.
 
Quand il eut fermé son anthologie, des Esseintes se dit que sa bibliothèque sur ce dernier livre, ne s’augmenterait probablement jamais plus.
 
En effet, la décadence d’une littérature, irréparablement atteinte dans son organisme, affaiblie par l’âge des idées, épuisée par les excès de la syntaxe, sensible seulement aux curiosités qui enfièvrent les malades et cependant pressée de tout exprimer à son déclin, acharnée à vouloir réparer toutes les omissions de jouissance, à léguer les plus subtils souvenirs de douleur, à son lit de mort, s’était incarnée en Mallarmé, de la façon la plus consommée et la plus exquise.
 
C’étaient, poussées jusqu’à leur dernière expressions, les quintessences de Baudelaire et de Poe ; c’étaient leurs fines et puissantes substances encore distillées et dégageant de nouveaux fumets, de nouvelles ivresses.
 
C’était l’agonie de la vieille langue qui, après s’être persillée de siècle en siècle, finissait par se dissoudre, par atteindre ce deliquium de la langue latine qui expirait dans les mystérieux concepts et les énigmatiques expressions de saint Boniface et de saint Adhelme.
 
Au demeurant, la décomposition de la langue française s’était faite d’un coup. Dans la langue latine, une longue transition, un écart de quatre cents ans existait entre le verbe tacheté et superbe de Claudien et de Rutilius, et le verbe faisandé du 8e siècle. Dans la langue française aucun laps de temps, aucune succession d’âge n’avaient eu lieu ; le style tacheté et superbe des de Goncourt et le style faisandé de Verlaine et de Mallarmé se coudoyaient à Paris, vivant en même temps, à la même époque, au même siècle.
 
Et des Esseintes sourit, regardant l’un des in-folios ouverts sur son pupitre de chapelle, pensant que le moment viendrait où un érudit préparerait pour la décadence de la langue française, un glossaire pareil à celui dans lequel le savant du Cange a noté les dernières balbuties, les derniers spasmes, les derniers éclats, de la langue latine râlant de vieillesse au fond des cloîtres.

Joris-Karl Huysmans
 

huysmans-signature
Alors, vous en pensez quoi ? A quoi cela vous fait-il penser ?

Bisous,
@+
Sab

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire