20 octobre 2014

Pierre Corneille : Rodogune, Princesse des Parthes

Ah que coucou !

Aujourd'hui nous nous rendons au théâtre pour faire connaissance avec la tragédie cornélienne suivante :

accessible à la lecture / téléchargement en cliquant ici
Format : pdf
(logiciel fourni gratuitement par son concepteur : Adobe)
Langue : Français

dont la source d'inspiration a été la fin d'Appian Alexandrin, Livre des Guerres de Syrie (dont vous trouverez quelques pages à la fin de cette tragédie de 5 actes). Mais qui mieux que Corneille peut expliquer cette œuvre ? Je vous laisse donc avec ses mots à lui (que vous trouverez après ma signature) pour vous expliquer et le titre, et le contenu, et pourquoi sa tragédie change un peu des faits historiques...

Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab



Le sujet de cette tragédie est tiré d’Appian Alexandrin dont vous pourrez trouver quelques pages à la fin de la pièce, dont voici des paroles, sur la fin du livre qu’il a fait des Guerres de Syrie : « Démétrius, surnommé Nicanor, entreprit la guerre contre les Parthes et vécus quelque temps prisonnier dans la cour de leur roi Phraates, dont il épousa la sœur, nommée Rodogune. Cependant Diodotus, domestique des rois précédents, s’empara du trône de Syrie et y fit asseoir un Alexandre, encore enfant, fils d’Alexandre le bâtard et d’une fille de Ptolomée. Ayant gouverné quelque temps comme tuteur sous le nom de ce pupille, il s’en défit et prit lui-même la couronne sous un nouveau nom de Tryphon, qu’il se donna. Antiochus, frère du roi prisonnier, ayant appris sa captivité à Rhodes et les troubles qui l’avaient suivie, revint dans la Syrie, où, ayant défait Tryphon, il le fit mourir. De là, il porta ses armes contre Phraates, et, vaincu dans une bataille, il se tua lui-même. Démétrius, retournant en son royaume, fut tué par sa femme Cléopâtre, qui lui dressa des embûches sur le chemin, en haine de cette Rodogune qu’il avait épousée, dont elle avait conçu une telle indignation qu’elle avait épousé ce même Antiochus, frère de son mari. Elle avait deux fils de Démétrius, dont elle tua Séleucus, l’aîné, d’un coup de flèche sitôt qu’il eut pris le diadème après la mort de son père, soit qu’elle craignît qu’il ne la voulût se venger sur elle, soit que la même fureur l’emportât à ce nouveau parricide. Antiochus, son frère lui succéda et contraignit cette mère dénaturée de prendre le poison qu’elle lui avait préparé. »
Justin, en son trente-sixième, trente-huitième et trente neuvième livre, raconte cette histoire plus au long, avec quelques autres circonstances. Le premier des Machabées, et Josèphe, au treizième des Antiquités judaïques, en disent aussi quelque chose qui ne s’accorde pas tout à fait avec Appian. C’est à lui que je me suis attaché pour la narration que j’ai mise au premier acte, et pour l’effet du cinquième, que j’ai adouci du côté d’Antiochus. J’en ai dit la raison ailleurs. Le reste sont des épisodes d’invention, qui ne sont pas incompatibles avec l’histoire, puisqu’elle n dit point ce que devint Rodogune après la mort de Démétrius, qui, vraisemblablement, l’amenait en Syrie prendre possession de sa couronne. J’ai fait porter à la pièce le nom de cette princesse plutôt que celui de Cléopâtre, que je n’ai même osé nommer dans mes vers, de peur qu’on ne confondit cette reine de Syrie avec cette fameuse princesse d’Egypte qui portait même nom, et que l’idée de celle-ci, beaucoup plus connue que l’autre, ne semât une dangereuse préoccupation parmi les auditeurs.
On m’a souvent fait une question à la cour : quel était celui de mes poèmes que j’estimais le plus ; et j’ai trouvé tous ceux qui me l’ont faite si prévenus en faveur de Cinna ou du Cid, que je n’ai jamais osé déclarer toute la tendresse que j’ai toujours eue pour celui-ci, à qui j’aurais volontiers donné mon suffrage si je n’avais craint de manquer, en quelque sorte, au respect que je devais à ceux que je voyais pencher d’un autre côté. Cette préférence est peut-être en moi un effet de ces inclinations aveugles qu’ont beaucoup de pères pour quelque uns de leurs enfants plus que pour les autres ; peut-être y entre-t-il un peu d’amour-propre, en ce que cette tragédie me semble être un peu plus à moi que celles qui l’ont précédée, à cause des incidents surprenants qui sont purement de mon invention, et n’avaient jamais été vus au théâtre ; et peut-être enfin y a-t-il un peu de vrai mérite qui fait que cette inclination n’est pas tout à fait injuste. Je veux bien laisser chacun en liberté de ses sentiments ; mais certainement on peut dire que mes autres pièces ont peu d’avantages qui ne rencontrent en celle-ci : elle a tout ensemble la beauté du sujet, la nouveauté des fictions, la force des vers, la facilité de l’expression, la solidité du raisonnement, la chaleurs des passions, les tendresses de l’amour et de l’amitié et cet heureux assemblage est  ménagé de sorte qu’elle s’élève d’acte en acte. Le second passe le premier, le troisième est au-dessus du second, et le dernier l’emporte sur tous les autres. L’action y est une, grande, complète ; sa durée en est le plus illustre qu’on puisse imaginer, et l’unité de lieu s’y rencontre en la manière que je l’explique dans le troisième de mes discours, et avec l’indulgence que j’ai demandée pour le théâtre.
Ce n’est pas que je me flatte assez pour présumer qu’elle soit sans taches. On a fait tant d’objections contre la narration de Laonice au premier acte qu’il et malaisé de ne donner pas les mains à quelques-unes. Je ne la tiens pas toutefois si inutile qu’on l’a dit. Il est hors de doute que Cléopâtre, dans le second, ferait connaître beaucoup de choses par sa confidence avec cette Laonice, et par le récit qu’elle en a fait à ses deux fils, pour leur remettre devant les yeux combien ils lui ont d’obligation ; mais ces deux scènes demeureraient assez obscures si cette narration ne les avait précédées, et du moins les justes défiances de Rodogune à la fin du premier acte, et la peinture que Cléopâtre fait d’elle-même dans son monologue qui ouvre le second, n’auraient pu se faire entendre sans ce secours.
J’avoue qu’elle est sans artifice et qu’on la fait de sang-froid à un personnage protatique, qui se pourrait toutefois justifier par les deux exemples de Térence que j’ai cités sur ce sujet au premier discours ; Timagène, qui l’écoute, n’et introduit que pour l’écouter, bien que je l’emploie au cinquième à faire celle de la mort de Séleucus, qui se pouvait faire par un autre. Il l’écoute sans y avoir aucun intérêt notable, et par simple curiosité d’apprendre ce qu’il pouvait avoir su déjà en la cour d’Egypte, où il était en assez bonne posture, étant gouverneur des neveux du roi, pour entendre des nouvelles assurées de toute ce qui se passait dans la Syrie, qui en est voisine. D’ailleurs, ce qui ne peut recevoir d’excuse, c’et que, comme il y avait déjà quelque temps qu’il était de retour avec les princes, il n’y a pas d’apparence qu’il ait attendu ce grand jour de cérémonie pour s’informer de sa sœur comment se sont passés tous ces troubles, qu’il dit ne savoir que confusément. Pollux, dans Médée, n’est qu’un personnage protatique qui écoute sans intérêt comme lui ; mais sa surprise de voir Jason à Corinthe, où il vient d’arriver, et son séjour en Asie, que la mer en sépare, lui donnent juste sujet d’ignorer ce qu’il en apprend. La narration ne laisse pas de demeurer froide comme celle-ci, parce qu’il ne s’est encore rien passé dans la pièce qui excite la curiosité de l’auditeur, ni qui lui puisse donner quelque émotion en l’écoutant ; mais, si vous voulez réfléchir sur celle de Curiace dans l’Horace, vous trouverez qu’elle fait tout un autre effet. Camille, qui l’écoute, a intérêt, comme lui, à savoir comment s’es faite une paix dont dépend leur mariage ; et l’auditeur, que Sabine et elle n’ont entretenu que de leurs malheurs et des appréhensions d’une bataille qui se va donner entre deux partis, où elles voient leurs frères dans l’un et leur amour dans l’autre, n’a pas moins d’avidité qu’elle d’apprendre comment une paix si surprenante s’est pu conclure.
Ces défauts dans cette narration confirment ce que j’ai dit ailleurs, que, lorsque la tragédie a son fondement sur des guerres entre deux Etats, ou sur d’autres affaires publiques, il est très malaisé d’introduire un acteur qui les ignore et qui puisse recevoir le récit qui en doit instruire le spectateurs en parlant à lui.
J’ai déguisé quelque chose de la vérité historique en celui-ci : Cléopâtre n’épousa Antiochus qu’en haine de ce que son mari avait épousé Rodogune chez les Parthes, et je fais qu’elle ne l’épouse que par la nécessité de ses affaires, sur un faux bruit de la mort de Démétrius, tant pour ne la faire pas méchante sans nécessité, comme Ménélas dans l’Oreste d’Euripide que pour avoir lieu de feindre que Démétrius n’avait pas encore épousé Rodogune, et venait l’épouser dans son royaume pour la mieux établir en la place de l’autre par le consentement de ses peuples et assurer la couronne aux enfants qui naîtraient de ce mariage. Cette fiction m’était absolument nécessaire, afin qu’il fût tué avant que de l’avoir épousée, et que l’amour que ses deux fils ont pour elle ne fît point d’horreur aux spectateurs, qui n’auraient pas manqué d’en prendre une assez forte, s’ils les eussent vus amoureux de la veuve de leur père, tant cette affection incestueuse répugne à nos mœurs !
Cléopâtre a lieu d’attendre ce jour-là à faire confidence à Laonice de ses desseins et des véritables raisons de tout ce qu’elle a fait. Elle eût pu trahir son secret aux princes ou à Rodogune, si elle l’eût su plus tôt ; si cette ambitieuse mère ne lui en fait part qu’au moment qu’elle veut bien qu’il éclate, par la cruelle proposition qu’elle va faire à ses fils. On a trouvé celle que Rodogune leur fait à son tour indigne d’une personne vertueuse comme je la peins ; maison on n’a pas considéré qu’elle ne la fait pas, comme Cléopâtre, avec espoir de la voir exécuter par les princes, mais seulement pour s’exempter d’en choisir aucun, et les attacher tous deux à sa protection par une espérance égale. Elle était avertie par Laonice de celle que la reine leur avait faite, et devait prévoir que, si elle se fût déclarée pour Antiochus, qu’elle aimait, son ennemie, qui avait seule le secret de leur naissance, n’eût pas manqué de nommer Séleucus pour aîné afin de les commettre l’un contre l’autre et d’exciter une guerre civile qui eût pu causer sa perte. Ainsi elle devait s’exempter de choisir, pour les contenir tous deux dans l’égalité de prétention, et elle n’en avait point de meilleur moyen que de rappeler le souvenir de ce qu’elle devait à la mémoire de leur père, qui avait perdu la vie pour elle, et leur faire cette proposition, qu’elle savait bien qu’ils n’accepteraient pas. Si le traité de paix l’avait forcée à se départir de ce juste sentiment de reconnaissance, la liberté qu’ils lui rendaient la rejetait dans cette obligation. Il était de son devoir de venger cette mort ; mais il était de celui des princes de ne pas charger de cette vengeance ; elle avoue elle-même à Antiochus qu’elle les haïrait s’ils lui avaient obéi que, comme elle a fait ce qu’elle a dû par cette demande, ils font ce qu’ils doivent par leur refus ; qu’elle aime trop la vertu pour vouloir être le prix d’un crime, et que la justice qu’elle demande de la mort de leur père serait un parricide si elle la recevait de leurs mains.
Je dirai plus : quand cette proposition serait tout à fait condamnable en sa bouche, elle mériterait quelque grâce, et pour l’éclat que la nouveauté de l’invention a fait au théâtre, et pour  l’embarras surprenant où elle jette les princes, et pour l’effet qu’elle produit dans le reste de la pièce qu’elle conduit à l’action historique. Elle est cause que Séleucus, par dépit, renonce au trône et à la possession de cette princesse que la reine, le voulant animer contre son frère, n’en peut rien obtenir, et qu’enfin elle se résout par désespoir de les perdre tous deux plutôt que de se voir sujette de son ennemie.
Elle commence par Séleucus, tant pour suivre l’ordre de l’histoire que parce que, s’il fût demeuré en vie après Antiochus et Rodogune, qu’elle voulait empoisonner publiquement, il les aurait pu venger. Elle ne craint pas la même chose d’Antiochus pour son frère, d’autant qu’elle espère que le poison violent qu’elle lui a préparé fera un effet assez prompt pour le faire mourir avant qu’il ait pu rien savoir de cette autre mort, ou du moins avant qu’il l’en puisse convaincre, puisqu’elle a si bien pris son temps pour l’assassiner que ce parricide n’a point eu de témoins. J’ai parlé ailleurs de l’adoucissement que j’ai apporté pour empêcher qu’Antiochus n’en commît un en la forçant de prendre le poison qu’elle lui présente, et du peu d’apparence qu’il y avait qu’un moment après qu’elle a expiré presque à sa vue il parlât d’amour et de mariage à Rodogune. Dans l’état où ils rentrent derrière le théâtre, ils peuvent le résoudre quand ils le jugeront à propos. L’action est complète, puisqu’ils sont hors de péril et la mort de Séleucus m’a exempté de développer le secret du droit d’aînesse entre les deux frères, qui d’ailleurs n’eût jamais été croyable, ne pouvant être éclairci que par une bouche en qui l’on n’a pas vu assez de sincérité pour prendre aucune assurance sur son témoignage.
 

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